Le 4 octobre dernier, l’association Pourparlers en Picardie débattait de la nature et de la portée des contrôles à l’encontre des réfugié.e.s. Ce 14 décembre, l’association sollicitait cette fois Richard Kempf, avocat, pour effectuer un bilan législatif des obligations de respect des libertés fondamentales.
Visites et saisies : les nouvelles prérogatives de police administrative
Les perquisitions menées en dehors du cadre judiciaire sont désormais entrées dans le droit français. L’article L. 229-1 du code de sécurité intérieure établit en effet que tout préfet peut faire procéder à des « visites et saisies ». La personne qui les subit est ensuite privée de recours judiciaire : le magistrat pénal ne peut pas être saisi, mais seul le juge administratif est compétent. Autrement dit, « l’administration juge l’administration » : celle-ci est à la fois juge et partie.
Attaqué au tribunal administratif, le préfet y bénéficie par ailleurs d’une large latitude pour se justifier. La loi du 30 octobre 2017 lui enjoint en effet d’agir « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes. »
Le texte parle de comportement et non pas d’acte ; de manifestation de soutien mais aussi d’adhésion ; et de fréquentation d’un lieu enfin : chacune de ces trois entrées policières a pour caractéristique de définir une voie d’accusation dépourvue d’éléments objectifs, mais propice à toutes les interprétations subjectives d’indice. Les juges administratifs valideront ils les « visites et saisies » sur une telle voie d’accusation ?
Le juge judiciaire, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention, n’est par ailleurs pas totalement dessaisi. Si vous faites l’objet d’une décision préfectorale de « visite et saisie », la police doit encore – une fois vos supports de données numériques saisis – solliciter le juge des libertés et de la détention pour casser vos mots de passe en toute légalité, ou encore pouvoir légalement appuyer par des traces informatiques la procédure pénale qu’elle demande au procureur d’engager à votre encontre.
Application pratique : un client de Richard Kempf a ainsi vu une cour d’appel valider a posteriori le décryptage intégral de son smartphone. Une application sur ce qui est et ce qui n’est pas certifié halal, une inscription du possesseur du smartphone sur des listes e-mails avaient suffi aux juges de la cour d’appel pour déterminer que la présomption de suspicion de la police était valide.
Contrôles d’identité abusifs : la police maître de la géographie
Le second élément d’élévation de l’arbitraire policier, et d’abaissement corrélatif du statut de citoyen.ne, s’attaque quant à lui à la liberté d’aller et venir. Détenant le record de garde-à-vue européen (un million par an), la police française vient de convaincre le législateur de l’affranchir de toute présomption d’acte délictueux pour procéder à l’identification d’une personne.
Dans un rayon de dix kilomètres à partir d’un point d’entrée sur l’hexagone (gare SNCF, aéroport, port, poste frontière) elle a désormais toute latitude pour vérifier l’identité de quiconque et le retenir le temps nécessaire. Toutes les gares SNCF et les aéroports franciliens sont visées, soit la totalité de la Seine-Saint-Denis, la quasi-totalité du Val de Marne et des Hauts de Seine. Les agglomérations de Lille, Nice, Marseille, Calais, Le Havre… également.
Périmètre déclaré : protection du public ou droit de la police de harceler ?
Le troisième élément constitue une autre brèche dans la liberté d’aller et venir : il s’agit du pouvoir octroyé au préfet, un fonctionnaire d’autorité décidément omnipotent, d’instituer un « périmètre de protection » d’une manifestation quelconque sur la voie et l’espace publics. Quiconque pénétrant dans ce périmètre a l’obligation d’autoriser la fouille de son bagage ou son véhicule.
L’absence de responsabilité démocratique, voire de lucidité intellectuelle, des nouveaux parlementaires frappe là encore : la perspective de contentieux est grande ouverte. Que se passe-t-il en effet quand un contrevenant à la fouille se rend dans le périmètre préfectoral pour une raison étrangère à la manifestation qui a été déclarée, pour une raison de santé, pour une raison familiale ou parce qu’il y a son domicile légal ? Ce dernier cas fait l’objet de réserves expresses du Conseil constitutionnel, une longue jurisprudence protégeant le droit de toutes et tous au respect du domicile.
Dans ce périmètre dit « de protection », le préfet est également en capacité de refuser à une personne le droit de manifester ou de séjourner. Il s’agit là d’un héritage direct de la loi d’exception de 1955 : la disposition visait à l’époque à attribuer au délégué général en Algérie un pouvoir de bannissement. Quelles applications ont été faites sous le régime de l’état d’exception, et qui seraient susceptibles d’éclairer sur la pratique des directions centrales de la place Bauvau ? Le cas du journaliste Gaspard Glantz, également client de Raphaël Kempf, apparaît symptomatique de ce que vise la haute hiérarchie policière. La préfète Fabienne Buccio a interdit de séjour à Calais ce journaliste enquêtant sur les voies de fait à l’encontre des réfugié.e.s, et ce fut le début d’une longue série de harcèlements par voie pénale.
En conclusion
Le 25 septembre, en conférence de presse, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges soulignait, avec à ses côtés Henri Leclerc, « la pollution du droit » par la pérennisation, dans la loi ordinaire, de tous les dispositifs de l’état d’urgence. Les réunions d’alerte comme celle de Pourparlers en Picardie ne montrent que trop la nature et le degré de cette pollution. Elles restent trop rares : le sujet mérite vraiment attention.
Eugène Bégoc