Voilà un nouveau texte écrit par Lucile. Elle l’a dit elle-même lors de la manifestation pour un cessez-le-feu ce samedi 24 février. Ses écrits sont un choc, chaque semaine. Ils nous obligent à regrder en face la terrible réalité quotidienne du peuple de Gaza.

Par Lucile Ali, membre d’une famille franco-palestinienne. Texte dit lors de la manifestation pour un cessez-le-feu organisée, ce samedi 24 février, par le Collectif 05 pour la paix en Palestine.

Il y avait une maison

C’est un devoir de parler de vous, d’avoir le courage de regarder votre histoire, aussi terrible soit-elle…

Et de la raconter, peuple de Palestine assassiné…

Un garçon d’une quinzaine d’années, le visage tuméfié, déformé, ensanglanté. Il est totalement désorienté. Il a été enlevé, battu, humilié, torturé par l’armée puis relâché…

Oui, c’est violent, mais il faut parler de vous, de ce que l’on vous fait endurer, peuple de Palestine torturé, car le silence est complicité…

Un adolescent porte un gros baluchon sur le dos, il marche à contresens. Il presse le pas, il parle seul, sous sa casquette, il a l’air un peu fou… Avec son frère, il était allé chercher à manger, mais ce sont les restes du corps de ce dernier qu’il porte sur son dos dans sa couverture repliée en paquet, les restes de son frère qu’il ramène à la maison au lieu d’un sac de farine de blé…

Oui, une telle souffrance, c’est indécent ! Mais il faut parler de vous, peuple de Palestine assassiné, car c’est le silence qui permet…

Parfois, je ferme les yeux et je me souviens. Il y avait une maison… Il y avait un jardin…

Un garçon est assis dans une rue au milieu des détritus, il lève un bras appelant à l’aide, de profil, il a l’air entier, mais pourquoi reste-t-il exposé sous les tirs de l’armée ? Jusqu’à ce qu’il tente de se relever, découvrant son deuxième bras arraché, au niveau de l’épaule. Il réussit quelques pas en titubant. Puis, il perd l’équilibre, basculant le côté sectionné le premier, dans la poussière et la terre retournée.…

Oui, une telle souffrance, c’est indécent ! Mais il faut parler de vous, peuple de Palestine martyrisé, car le silence du monde ne peut plus durer.

Un homme pleure, à côté d’un petit linceul blanc. Il pleure en décrivant les derniers instants de son enfant, mort de faim et de déshydratation, la couleur de ses lèvres desséchées et le dernier souffle de son petit corps si léger. Il s’en voulait tellement de n’avoir rien pu lui trouver à manger…

Oui, une telle souffrance, c’est indécent ! Mais il faut parler de vous, peuple de Palestine, qu’on affame volontairement. Car le silence est infâme…

Parfois, je ferme les yeux et je me souviens. Il y avait une maison… Il y avait un jardin…

Un papa, agenouillé à côté de sa fille allongée. Ils sont coincés dans une école ou une maison bombardée. À côté d’elle, une grande tache rouge. Elle a le front barré d’un trou béant. Il lui dit ces mots. Elle le regarde. Il n’y a pas d’espoir pour sa petite fille et il le sait. Il lui dit qu’elle va quitter ce monde monstrueux et qu’il la rejoindra bientôt. Il lui demande de lui pardonner de ne pouvoir la sauver, car ils sont encerclés par les chars de l’armée.

Oui, une telle souffrance, c’est indécent ! Mais ce sont quelques exemples parmi des dizaines de milliers, peuple de Palestine génocidé. Et le silence est une violence.

Parfois, je ferme les yeux et je me souviens. Il y avait une maison… Il y avait un jardin…

Et une grande liane, qui donnait des fruits de la passion.

Et des chaises empilées que vous mettiez en cercle pour discuter dans la cour pavée ombragée.

Il y avait les ados assis sur les escaliers, qui écoutaient. Les rires des femmes. Les discussions animées. Les hommes qui fumaient. Les enfants envahissants criaient. Ils passaient, jusqu’à ce qu’un tonton en prenne un sur ses genoux et lui glisse un shekel dans la main. Et les voilà, partant, en bande, acheter un goûter chez le petit marchand d’à côté. Ils couraient dans cette rue qui portait votre nom…

Le petit marchand a été tué dans un bombardement, lui et toute sa famille.

Les enfants ont disparu, comme la rue qui portait votre nom, comme le quartier, comme cette maison.

Et vous êtes en train de mourir, loin. De faim, de soif, privés de soins, bombardés, soumis à tous les dangers dans ce piège insensé.

C’est un devoir de parler de vous, de dire votre histoire, peuple de Palestine assassiné…

C’était une cour intérieure pavée.

Et ça sentait l’été.

Et puis il y avait une grande liane, qui donnait des fruits de la passion…