Présentation
Il est difficile d’appréhender les conséquences qu’aura le « changement climatique » sur notre environnement. Vous trouvez ici une contribution qui décrit les dégâts qui sont d’ores et déjà causés aux arbres et aux forêts. Ce texte a été publié dans le n° 78 de « l’Alternative Rouge & Verte » journal trimestriel publié par les collectifs d’Ensemble ! Bourgogne Franche Comté. Il établit un constat lucide de la situation et ébauche quelques pistes pour faire face à ces changements d’ampleur qui s’annoncent. Jean Marie, son auteur, est un professionnel de la nature, par ailleurs militant engagé sur le terrain social et environnemental.
Ecologie : gestion et conséquences des menaces naturelles sur les arbres et les forêts.
Les arbres meurent dans notre région, par dizaines, par centaines et par milliers…
Il faut avant tout garder à l’esprit que, quelles que soient les espèces, les dépérissements constatés aujourd’hui sont, en partie, la résultante des canicules et sécheresses qui ont sévi en 2015, 2017 et 2018… Le constat actuel n’a que peu de lien avec la canicule et la sécheresse de 2019. Il aurait très bien pu pleuvoir plus cette année que cela n’eût pas changé grand-chose …
La canicule et la sécheresse de cette année se paieront cash en 2020 – 2021… voire 2022 ou 25 ou plus tard, selon les essences.
Ainsi, les cèdres expriment les stress subits parfois au-delà de 5 années après un événement climatique extrême, les séquoias de 8 à 10 ans…
Nous n’avons encore pas pris la mesure de la catastrophe climatique. Si certains pensent qu’il est encore possible de changer la donne, je pense personnellement qu’il est déjà fort tard… Nous ne pourrons que limiter à la marge, même en prenant des mesures drastiques, la catastrophe climatique qui s’annonce.
Les « petits « aléas climatiques successifs affaiblissent les arbres qui deviennent plus sensibles aux différentes maladies et parasites. Ces maladies affectent à leur tour la vigueur des arbres qui deviennent, en retour, plus sensibles aux aléas climatiques…
La boucle est bouclée. C’est la spirale du dépérissement, à laquelle les arbres, du fait d’un développement lent, ne savent pas répondre.
S’ensuit une courbe exponentielle de dépérissement dont aucun ordinateur, aucun algorithme ne peut mesurer l’ampleur tant on est devant l’inconnu et tant la multitude des facteurs est grande.
Petit tour d’horizon, Grand Frisson
– Dépérissement massif des sapins dans les Vosges,
– Dépérissement de l’épicéa partout. L’épicéa a été planté massivement dans le Doubs en dessous de 500 mètres, (alors que on biotope idéal- milieu naturel- se situe au-dessus de 800 m). Il n’est pas surprenant qu’il dépérisse aux premiers aléas climatiques ! S’ajoute à ce facteur, la présence de cette sale bestiole appelée scolyte qui se disperse et se multiplie. Lors des épisodes secs, chauds, en l’absence de pluie, le scolyte vole d’épicéa en épicéa, y dépose sa progéniture qui détruit les arbres.
A ces deux facteurs du dépérissement de l’épicéa, s’ajoute l’action des marchands de bois. Ces derniers profitent du prétexte de la maladie des bois pour fixer des prix bas, provoquant la peur du propriétaire. Lorsqu’il constate une attaque dans ses bois, il se dépêche d’abattre les bois sains de peur que la totalité du peuplement soit atteint et que leur valorisation se fasse à la baisse !
Ce dernier facteur de la disparition des arbres vaut pour presque toutes les essences, même si les causes initiales en sont différentes.
– Les frênes dépérissent à cause d’un champignon appelé Chalara Fraxinéa. Là aussi les ravages sont massifs. Là aussi l’abattage représente la réponse irraisonnée : on abat massivement sans attendre de voir quels sujets sont résistants à cette maladie. On se prive ainsi de toute possibilité de sélectionner les sujets résistant puisqu’abattus prématurément. Il semblerait que la ville de Besançon mette en place un protocole de recherche en ce sens, (j’aime ma ville !).
– Les hêtres, très sensibles au manque d’eau, dépérissent massivement dans le Jura, et partout dans le nord de l’Europe.
– Les platanes: touchés par la maladie du chancre coloré. Cette dernière a été importée en 1945 par les Américains lors du débarquement à Marseille dans des caisses contaminées emballant l’armement et les munitions.
C’est un champignon de la même famille que celui qui a provoqué la quasi-disparition de l’orme en France et qui a entrainé l’abattage de centaines de milliers de platanes dans le sud. Les foyers d’infections ont atteint Bourg en Bresse, Genève et Paris ces dernières années.
Le platane se montre également sensible à un autre champignon: l’anthracnose. Lequel provoque le dépérissement des jeunes feuilles.
Si cette maladie est endémique et peu impactant en termes de santé, l’attaque d’anthracnose a été très sévère cette année. Fin juin on peut considérer que la densité du feuillage des platanes en port libre à Besançon était inférieure de 30% à la normale.
C’est autant de réserve que l’arbre ne fait pas et qui l’affaiblisse.
– Les buis, doublement agressés : ravagés dans toute la France par une chenille : la pyrale du buis. La Franche comté a été sévèrement touchée. Ils sont aussi détruits par un champignon : Cylindrocladium buxicola.
– Les châtaigniers : peu présents dans la région. On en trouve néanmoins en forêt de Chailluz. Ils sont dans toutes les régions atteints de la maladie de l’encre, provoquant leur dépérissement. (La région est actuellement épargnée).
– Les pins noirs…
Un champignon appelé Sphaerosis Sapinaé est présent sur tous les pins noirs de France. Il est endémique et vit sans provoquer de dégâts tant que l’arbre n’est pas stressé, (ce champignon provoque le dessèchement des aiguilles)
A compter du moment où l’arbre subit un stress, le champignon prend alors de l’ampleur et provoque la mort de l’arbre en quelques mois ou quelques semaines. Plusieurs centaines de pins noirs ont déjà été abattus ces dernières années à Besançon, pour cette raison.
On peut s’attendre très raisonnablement à un dépérissement massif des pins noirs avant la Noël.
En observant la couronne des arbres en fin de journée vous pourrez remarquer que la couleur du feuillage, naturellement vert sombre, présente pour beaucoup une couleur vert marron, c’est un très mauvais signe.
– Les pins sylvestres :
Je pensais qu’étant donné que l’on rencontre beaucoup cette essence dans le sud, ceux de nos régions étaient à même de bien résister aux fortes chaleurs et au manque d’eau…
Force est de constater que les pins sylvestres en Franche Comté meurent en nombre…
– Les oliviers : ravagés en Italie par une bactérie tueuse : XylellaFastidiosa. Cette maladie a provoqué la disparition de millions d’oliviers dans la région des Pouilles.
Elle s’est répandue en Espagne malgré une surveillance sanitaire très stricte.
Elle a fait son apparition en Corse l’année dernière et ces jours-ci sur le continen.
Les conséquences
Avec la disparition des arbres c’est tout le biotope qui se trouve alors modifié, à commencer par les sols forestiers.
Le dépérissement des arbres a pour première conséquence la baisse d’apport de matière organique par la dégradation des feuilles.
Cette matière organique est essentielle à la structuration du sol et à la rétention de l’eau. Sans matière organique, pas ou peu d’eau n’est retenue par le sol.
Ce phénomène alimente la spirale de dépérissement généralisé des arbres et provoque une érosion des sols et, à terme, la disparition des forêts sans possibilité de reconstitution des massifs forestiers.
Nous assistons, sans le savoir, à une accélération de la désertification.
Hélas le constat dressé ci-dessus n’est pas exhaustif et il est difficile de situer le point de non-retour. Je pense personnellement que nous y sommes.
(Au-delà d’une certaine dégradation d’un biotope il n’y a pas de retour en arrière et la « nature » ne peut plus compenser, réparer les dégâts subis ; le système est condamné définitivement).
Il est donc temps de prendre la mesure de la catastrophe qui s’annonce et d’exiger des mesures qui s’imposent :
– En zone urbaine chaque arbre doit être défendu. Il est nécessaire de refuser tout abattage d’arbres qui ne soit pas dépérissant ou qui ne présente pas de symptômes de défaut interne du bois.
L’argumentation de compenser l’abattage d’arbres par de nouvelles plantations étant, comme l’exprime si bien Francis Hallé *, une triple arnaque :
« (les arbres) … sont essentiels. On ne pourrait pas vivre dans une ville entièrement minérale. Mais pour nos élus, les arbres sont du mobilier urbain, pas des êtres vivants. Dès qu’ils gênent un peu, on les coupe. Comme les citadins y sont attachés, quand on abat un vieil arbre, on le remplace par trois plus petits. C’est une triple arnaque. Patrimoniale, car rien ne remplace un vieil arbre sur le plan paysager. Financière, car ces jeunes arbres coûtent cher à l’achat, à la plantation et à l’entretien. Et écologique, car la captation des polluants n’est plus la même. C’est une question de surface. Un grand platane couvre 500 hectares si l’on additionne son écorce, ses feuilles et ses racines. Il faudra plusieurs dizaines d’années pour que la surface cumulée des petits arbres remplace celle de l’ancien. Or beaucoup n’atteindront jamais l’âge adulte, car ils n’ont pas la place de se développer. Les beaux arbres qu’on coupe aujourd’hui ont été plantés il y a un siècle dans de bonnes conditions. Cela n’est plus possible à cause de la densité des réseaux souterrains urbains. »
– En forêt. Ii est urgent de ne plus considérer les forêts comme un ressource et de continuer leur exploitation massive, comme à Chailluz ou en Forêt de Chaux.
Les coupes à blanc (c’est-à-dire les coupes rases où tous les arbres sont abattus sur une parcelle) ne sont plus admissibles du simple fait que nous ne savons pas :
– quoi replanter
– et surtout que, techniquement, nous ne pouvons plus replanter en forêt:
Les sujets plantés sont de très jeunes plants : un coup de pioche, mise en place du plant, un coup de pied pour tasser.
Cette technique est très (rustre » et ne permet pas aux jeunes plants de résister aux aléas climatiques les 2 années suivant la plantation. Au premier coup de chaud et au premier manque d’eau le plan meurt (il est très difficilement envisageable d’arroser en forêt).
Ainsi la quasi-totalité des plantations effectuées en forêt de Chailluz en 2017 et 2018 a avorté. Il est envisagé que les dernières coupes blanches de peuplement de frênes abattus dans les coteaux sous la Dame Blanche soient laissées en friches… non replantables !
Chaque Zone Humide doit être défendue pied à pied… comme aux Vaîtes, dans la commune de Besançon.
Mais il est aussi urgent de planter partout où il est possible de planter en tenant compte de la nouvelle donne climatique : c’est à dire avec de réelles fosses de plantation et des gaines d’arrosage ** :
– en bord de route,
– sur les délaissés routiers,
– dans les squares…
A ce propos il est essentiel d’interpeller nos élus et plus particulièrement ceux du Département du Doubs dont la Politique de l’arbre est sidéralement inexistante.
Mais aussi planter dans nos jardins potagers avec des essences à faible ombrage si demain on veut encore des légumes…
Il faut mener le débat et la controverse partout,
Il est bien tard …
Jean Marie Vieille 21/10/19
Taille et soins des arbres.
Des arbres pour l’Homme. Des Hommes pour l’arbre.
* Francis Hallé : botaniste dendrologue, conférencier, auteur de nombreux ouvrages scientifiques et grand public, comme « Plaidoyer pour l’arbre » paru en 2005.
** A Besançon, les rues sont nettoyées et les arbres arrosés avec de l’eau potable. Une réflexion urgente doit être initiée pour que des stations de pompage de l’eau des réservoirs de ruissellement, du Doubs… soient étudiés afin que ce gaspillage cesse.