Après la valse hésitation du gouvernement, sans doute due en partie à la confusion scientifique, « productrice de flou politique » (S. Foucart), sans oublier la pression des lobbys, le couple Hulot-Macron s’en tire bien aux deux niveaux : UE et France, d’une part en ramenant le délai d’arrêt de 10 à 5 ans au niveau européen (plus l’accord de A. Merkel après l’opposition de son ministre de l’agriculture) et en proposant 3 ans pour la France. Mais deux questions se posent : a) comment réaliser l’arrêt du glyphosate, b) au-delà du glyphosate, comment engager une réelle conversion vers une agriculture sans pesticides (ou presque) ?
a) Après l’annonce très politique d’une interdiction du glyphosate d’ici 3 ans, la mise en œuvre s’avère difficile sur deux plans : celui des changements de techniques et souvent de systèmes de production par les agriculteurs, celui de la bataille contre les lobbys agroindustriels et institutionnels.
– Sur le premier plan, il s’agit de réussir l’arrêt. Il faut donc obtenir l’accord du maximum d’utilisateurs, éviter les fausses solutions (usage d’une autre herbicide …), et le développement d’une opposition dangereuse au plan technique et politique. En effet, cette décision intervient après l’échec des politiques mises en place après le Grenelle 2 : au lieu d’une diminution de 50 % de la consommation totale de l’ensemble des pesticides entre 2008 et 2015, leur utilisation a augmenté de 20 %. Certes, il s’agit cette fois d’une mesure coercitive alors que jusque-là, il s’agissait d’objectifs et de règles ou conseils dans le cadre du plan « Ecophyto ». Mais les raisons d’un blocage (difficultés du changement, poids des firmes …) subsistent.
Le rapport que l’INRA a remis au gouvernement décrit les différentes situations dont celles, « orphelines », pour lesquelles l’arrêt du glyphosate sera compliqué et lourd de conséquences (bananeraies …). Côté solutions possibles, le rapport détaille, en viticulture-arboriculture et en grande culture, les techniques (essentiellement passage du désherbage chimique au désherbage mécanique) de lutte contre les adventices. En céréaliculture, des changements plus importants, donc plus difficiles, sont aussi évoqués dans le rapport. Ils devront souvent être réalisés autour de la nécessaire diversification d’un grand nombre d’exploitations, dont majoritairement celles de grande taille : il s’agit souvent, en plus de la mécanisation du désherbage, de l’allongement des rotations, (donc de la réduction de la taille des parcelles culturales), indispensables pour varier les dates de semis, les types de couvert, voire l’introduction de la conduite sarclée. Ces changements de nombreux systèmes de culture et de production, mais aussi des représentations, exigeront également de nombreux changements en amont (semences et matériels adaptés, formation, recherche et appui technique) et en aval de ces systèmes (débouchés, articulation entre exploitations…)
Ces changements nécessitent la mise en œuvre rapide et efficace d’un ensemble de mesures contractuelles et de durée limitée en matière d’appui, de recherche, d’aide à l’organisation, de financement, pour aider les agriculteurs à réaliser les changements nécessaires et affaiblir les forces contraires, organisatrices du blocage sociotechnique qui s’est imposé jusqu’ici. Il s’agit d’éviter la constitution d’une opposition des agriculteurs fortement utilisateurs qui se trouveraient appuyés par ces forces de blocage. Il s’agit aussi de s’opposer à l’arrivée de produits de remplacement tout aussi toxiques, voire plus. Il y a là un véritable challenge politique pour le pouvoir en place, d’autant que l’arrêt du glyphosate n’est réellement possible et efficace que réalisé dans une perspective plus large.
b) Cet élargissement est rendu nécessaire par la place que tient le glyphosate (dont le Roundup de Monsanto) dans les pratiques agricoles actuelles suite aux évolutions que son usage massif, lié à ses nombreux avantages, a contribué à accélérer, conjointement à la place prise par l’ensemble des pesticides dans la production agricole et dans le pouvoir de l’agrobusiness. Réussir l’arrêt du glyphosate constitue à la fois la préparation d’autres changements et la condition de ces autres changements. L’agriculture de « l’après glyphosate » ne peut qu’être très différente de ce qu’elle est actuellement. Cette transformation nécessite de nombreux changements et son inscription dans une réelle transition agricole . Sur ce point, comme sur d’autres, que fera le couple improbable Hulot-Macron ?
Les mouvements écologistes, les courants paysans alternatifs et les forces politiques de transformation écologique et sociale doivent donc rester vigilants pour le court terme en développant des propositions pour le moyen terme. Pour cela, il faut s’appuyer sur la lutte menée jusqu’ici contre le duo Roundup-Monsanto : travail de nombreux scientifiques qui ont mené les recherches adéquates et dénoncé les conflits d’intérêt et les mensonges, des juristes qui ont organisé le tribunal contre Monsanto, les journalistes qui ont publié les « Monsanto pepers », les films de Marie-Monique Robin, la mobilisation citoyenne contre les OGM, le succès de la pétition, et autres … Ces luttes qui ont porté leurs fruits doivent s’élargir pour un abandon effectif du glyphosate et pour une agriculture sans (ou presque) pesticides, écologique, non productiviste.
Avancer dans cette perspective implique l’élaboration par un large mouvement d’un projet de transition en agriculture et alimentation. Ensemble doit y prendre sa part.
Les autres éléments de politique écologique du couple Hulot-Macron
Cette politique est très fortement insuffisante et marquée par des reculades, dont la plus grave est celle, récente, en matière de nucléaire
Sur le plan intérieur, sont proposées diverses mesures à faible portée et de façon fragmentée : un jour le diésel, un autre, les aides pour l’amélioration thermique des logements… Cela ne répond pas aux exigences d’une politique de transition qui doit prendre un ensemble de mesures efficaces dans le cadre d’un projet de moyen et long terme, susceptible, au-delà des nécessités techniques, d’être mobilisateur, notamment vis-à-vis des couches populaires. A noter que c’est sans doute l’absence de propositions en matière d’évolution écologique de l’agriculture qui a conduit N. Hulot à son clash lors la conclusion des EGA.
Sur le plan international, dans le cadre de la COP 23 comme avec l’organisation du sommet très ambigu sur « finance et climat », la France est loin de ce qu’elle doit faire aussi bien en termes d’actions concrètes que de mobilisation des autres pays et d’appui aux pays doublement victimes du dérèglement climatique.
Il est urgent que les forces de transformation écologique et sociale renforcent leur activité et leur poids pour dépasser la très nécessaire explication/dénonciation et engager un travail sur le projet qui articule, contrairement à ce qui domine largement actuellement, les différents volets (ou champs) de la transition, les volets technique et scientifique, économique, social, politique et idéologique.
Michel Buisson