Les salarié-es d’ECOCERT (entreprise de certification de produits biologiques dont le siège social est dans le Gers à L’Isle Jourdain) ont fait six jours de grève du mardi 7 avril au mercredi 15, sur la base de revendications salariales. Ils et elles ont gagné des acquis importants. Plusieurs conflits récents du même type ont entouré la journée d’action nationale du 9 avril 2015, appelée par CGT, FO, Solidaires, FSU (voir nos articles du 8 et du 12 avril).
« Une grève moderne du 21ème siècle », explique Thomas Vacheron, délégué CGT (l’Humanité du 17 avril). C’est une image, mais non dénuée de fondements. Il y a d’abord l’unité syndicale solide  entre CGT et CFDT, les deux syndicats étant condamnés à s’entendre pour gagner, malgré les débats nationaux de leurs directions respectives. Il y a la jeunesse des salariés, dont la moyenne d’âge est de 35 ans, avec 2/3 de femmes, ce qui n’est pas fréquent aujourd’hui dans les entreprises privées. Et c’est un secteur de pointe et « moderne » : l’écologie, l’agriculture biologique. Des salarié-es qui n’avaient jamais fait grève auparavant, et qui se sont rassemblé-es pour agir sur le parking du siège social de leur entreprise. Afin de faire nombre, sur le piquet de grève il y avait bien sur les salarié-es des bureaux, mais aussi des dizaines de collègues de toutes la France qui venaient deux ou trois jours à tour de rôle, de chaque secteur, en train, en moto ou en co-voiturage et ce durant 9 jours. Hébergés chez les grévistes sur place, plus personne ne pouvait reprendre le travail tant que tous n’y retournaient pas !

En effet, ces salariés sillonnent sans cesse les routes pour auditer les exploitations agricoles et industries agroalimentaires, ne se rencontrent que rarement (seulement deux fois par ans) sauf par informatique …ou dans la grève ! En effet, 70 salariés travaillent dans les bureaux à l’Ouest de Toulouse, et plus de 100 autres se répartissent dans toute la France. Dans ce cadre difficile, des réunions d’information et des assemblées générale dans les régions ont été tenues et des listes d’informations électroniques alternatives, construites depuis quelques années afin que les élus du personnel puissent s’adresser de manière directe et rapide à leurs collègues. La méthode d’action a utilisé tous les moyens possible : page Facebook, double caisse de grève (une en interne et une autre en direction de la population) indispensable pour « tenir » (6500 euros récoltés), adresse à tous les syndicats (CGT, CFDT et Solidaires ont répondu présents), les partis politiques (Le NPA, Le Front de gauche et EELV ont communiqué leur solidarité), les producteurs bio, les personnalités (Jean-Luc Mélenchon et José Bové ont apporté leur soutien). Comme le dit encore Thomas Vacheron : « Nous avons été combatifs, pas radicaux ». Le slogan rassembleur de la grève  était : « Nous voulons travailler comme il faut et nous voulons aussi pouvoir manger bio ».

Ce sont des salariés souvent très qualifiés pour leur métier, mais peu reconnus dans leur bulletin de salaire. Une secrétaire, après 4 ans d’ancienneté, gagne 1217 euros net, un chargé de certification 1398 euros après 4 ou 5 ans de boite, un ingénieur-auditeur ayant 5 ans d’expérience 1500 euros. Sur une base 35 heures bien sûr, mais non respectée dans l’entreprise. Puisque les grévistes dénoncent des semaines de plus de 40 heures. La direction prétend que leurs salaires dépassent les 2000 euros, au lieu des 70% du personnel à moins de 1600 euros dénoncés par les syndicats. Elle compte en effet les parts variables de rémunérations, mais incertaines et fluctuantes, et des indemnités diverses dues à un travail en déplacement permanent, mais toutes gagnées par de précédentes actions syndicales. Chaque salarié parcourt en effet chaque année des dizaines de milliers de kilomètres, éloigné de sa famille.

ECOCERT exploite le secteur bio et écolo

Voici ce que le PDG d’ECOCERT, M. William Vidal, explique sur son site pour soigner son image de marque : « Entreprise militante au service de l’homme et de l’environnement, Ecocert est convaincue qu’une prise de conscience s’impose, tout comme davantage de vertu ». Née en 1991, c’est donc une entreprise qui surfe sur la demande écologique et il est devenu le N°1 français, européen et mondial sur sa « niche » devenu un secteur juteux : « contrôle et certification en agriculture biologique, en cosmétique et textiles bio, commerce équitable, restauration collective, reforestation, compensation carbone ». 181 salariés en France, pour 15 millions de chiffre d’affaires (CA), mais 27 filiales, présence dans 90 pays (880 salariés en tout près de 40 millions d’euros de CA). Les résultats nets sont excellents et en progrès, car la demande explose. Le taux de profitabilité dépasse les 10%. Bienvenue dans le capitalisme vert ! Celui qui transforme les Très petites entreprises (TPE) en multinationale et les pistes d’alternatives en juteux business. Et sur ce marché … capitaliste, le concurrent direct est tout aussi « écologique et social » puisqu’il s’agit du groupe Veritas (plus de 35 000 salariés) dont le dirigeant est le célèbre Baron Ernest Antoine Seillière, patron des patrons européens. Une direction de choc, avec un directeur général de groupe venant de Vivendi et une DRH ayant participé au plan de quasiment 1000 licenciements dans une filiale de Motorola avant d’arriver chez Ecocert. Bref, des dirigeants semblant aussi proche de la bio que Macron de la gauche…

La « vertu » écologique et le « service de l’homme » qui fait la publicité commerciale de l’entreprise ne sont pas au rendez-vous pour la reconnaissance du travail, et c’est ce qui a déclenché ce conflit. Comme disent les grévistes : « Nous sommes transparents sur nos rémunérations, quand la direction le sera-t-elle sur ses salaires, ses primes, ses profits et ses dividendes » ? Ainsi que sur les aides publiques dont elle bénéficie, profitant de l’effet d’aubaine mis en place par les différents gouvernements (allégements Fillon, CICE, Pacte de responsabilité…) : rien que pour la filiale Ecocert France, des centaines de milliers d’euros d’aides fiscales et sociales).

C’est en préparation des NAO (Négociations Annuelle Obligatoire) que les élus ont cherché à fédérer de manière unitaire autour de deux revendications :

-La prise en compte de l’ancienneté et de l’expérience (qui n’existaient pas) ;
-« Une augmentation fixe, égalitaire et substantielle pour toutes et tous » (tract CGT et CFDT) de 120 euros brut de plus par mois en guise de rattrapage.

Mais au bout de plusieurs jours de grève, la direction ne voulait céder que 36 euros net…
La détermination des grévistes et leur campagne de soutien national tout azimuth a finalement eu raison d’une direction qui pensait discréditer le mouvement. Le dernier tract intersyndical annonce une « victoire », avec une augmentation totale équivalente à 70 euros brut par mois, une reconnaissance de l’ancienneté dans le mode de rémunération (les salaires augmenteront en même temps que le « point de la convention collective »), une amélioration du calcul de l’intéressement, ne tenant plus compte des absences pour maladie, et un engagement d’aucune sanction ou rétorsion contre les grévistes.

Cette grève a aussi mis en œuvre la tâche difficile et nécessaire de rassembler une large majorité (70% de grévistes chez les salariés et techniciens pendant neuf jours) : c’est pour cela qu’ils et elles  ont défendu l’unité. Dans leur esprit, vouloir l’unité des organisations syndicales, c’est vouloir l’unité des salariés, et donc la majorité pour gagner. L’unité se fait sur les revendications des salariés, pas sur les exigences patronale. Ce qui explique que ceux qui refusent les revendications ne défendent pas non plus l’unité. Ils font donc la preuve que cette orientation syndicale est la condition pour gagner.

Pas mal d’entreprises privées sont en conflit actuellement sur les salaires, et souvent la revendication uniforme pour tous est chiffrée. Une campagne syndicale interprofessionnelle sur un chiffrage national sur les salaires ou au moins une démarche commune serait utile. Comme dit le tract unitaire CGT et CFDT d’Ecocert : « Si la victoire a été possible ici, elle peut l’être partout ».

Jean-Claude Mamet (avec nos correspondants locaux).