Notre camarade Jean-François Le Dizès – bourlingueur militant – revient de Varsovie. Il a tiré, de son séjour, un certain nombre de constats sur la situation économique et sociale en Pologne. Il nous les livre dans l’article ci-dessous.
Impressions de Pologne à travers Varsovie
Par Jean-François Le Dizès 1Jean-François Le Dizès est l’auteur de Globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et de Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes). Janvier 2025.

En arrivant à Varsovie j’ai constaté que les transports urbains étaient gratuits pour les personnes âgées de plus de 70 ans. Basés sur un dense réseau de tramways, secondés principalement par de nombreuses lignes de bus, les transports publics de cette agglomération de deux millions d’habitants2Varsovie sont efficients.
Mais en discutant avec les Polonais, je me suis rendu compte que l’État providence pris dans son ensemble était relativement restreint.
En matière de logement, comme il n’y a presque plus de logements sociaux, les gens se plaignent de la pénurie. Celle-ci est en effet encore pire qu’en France. Il manquerait 2 millions de logements3https://freedom.pl/en/blog/ile-mieszkan-brakuje-w-polsce/. Rapporté à la population polonaise – forte de 38 millions d’habitants4Pologne – cela donne 5,3 de logements manquants pour 100 habitants. À titre de comparaison, il y a en France 2,7 millions de demandes de logements sociaux non satisfaites5https://www.capital.fr/immobilier/hlm-nombre-de-demandeurs-delai-d-attente-les-5-chiffres-fous-du-logement-social-1502145. Rapporté aux 68 millions d’habitants en France6France, cela donne 4 logements sociaux manquants pour 100 habitants.

En plus, il n’y a pas en Pologne d’allocation logement. À cause de ce manque de logements, les enfants restent longtemps à vivre chez leurs parents. Comme à l’époque communiste, nombre de personnes divorcées sont contraintes de cohabiter avec leur « ex » dans le même logement.
À côté de cette pénurie, on peut voir des bâtisses cossues, notamment à Konstancin, banlieue huppée de Varsovie. Les inégalités ont, m’a-t-on dit, beaucoup augmenté depuis la fin du communisme.
En ce qui concerne les retraites, les pensions, comme on me l’a dit, sont très faibles. Elles sont égales à 24% des derniers salaires7https://accorde.pl/Pensions-in-Poland-upon-reaching-retirement-age.html. S’il existe un minimum vieillesse, il est ridiculement bas : 1 588 zlotys8https://www.gov.pl/web/primeminister/higher-pensions-additional-benefits-and-a-lower-retirement-age—we-take-care-of-our-seniors, soit 377 €. Ce qui oblige les retraités à se faire aider par leurs enfants.
Alors que le gouvernement « centriste » de Donald Tusk avait porté, en 2012, l’âge de départ à la retraite à 67 ans, celui du PIS, qualifié d’extrême-droite, l’a baissé, en 2015, à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes.

La Pologne semble en avance sur la France concernant la diminution des remboursements des médicaments. J’ai pu le constater quand j’ai accompagné une de mes amies dans une pharmacie qui pratiquait pourtant le tiers-payant.
Le taux de chômage est inférieur à celui de la France (5%)9https://ouvaton.link/ZOQMf6. On m’a dit que les indemnités de chômage étaient très faibles. En effet, elles sont au plus de 1 994 zlotys (473 €) par mois10https://lang-psz.praca.gov.pl/en/stawki-kwoty-wskazniki pour une durée d’un an au grand maximum. En plus elles sont dégressives avec le temps. Enfin, il n’y a pas l’équivalent du RSA.
Le nombre de places dans les crèches publiques est très insuffisant. C’est ce que m’a expliqué la présidente du « Centre pour les droit des femmes », que j’ai rencontrée. Il a diminué depuis l’époque communiste.

Ainsi s’explique le fait que les prélèvements obligatoires soient moindres en Pologne qu’en France. Ce malgré l’augmentation du budget de la défense. Il est passé de 2,2%11https://www.gov.pl/web/primeminister/the-prime-minister-in-siedlce-the-polish-budget-is-providing-money-for-developing-the-polish-army du PIB à 4,1%12https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/les-depenses-militaires-dans-l-union-europeenne/ depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie (contre 2,1% pour la France13https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/les-depenses-militaires-dans-l-union-europeenne/).
Ces prélèvements représentent 35% du PIB de Pologne contre 48% en France14https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381410. Est-ce mieux ?
Le salaire minimum brut n’est en Pologne que de 57% de sa valeur en France15https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/le-salaire-minimum-en-europe/ pour une semaine de travail de 40 heures. On peut comprendre pourquoi certaines entreprises françaises se délocalisent en Pologne !
Les problèmes de logement, de garde des enfants et la volonté des Polonaises de faire carrière, sont les raisons qui incitent à vouloir peu d’enfants. En effet, le taux de fécondité est particulièrement bas : 1,2616https://www.la-croix.com/international/Pologne-malgre-aides-natalite-poursuit-baisse-2023-09-30-1201284922. Pourtant, le pourcentage de femmes actives par rapport au nombre de celles en âge de travailler est moindre qu’à l’époque communiste. La création d’allocations familiales par le précédent gouvernement dirigé par le PIS n’a rien changé.

Le cheval de bataille du « Centre pour les droits des femmes » est le droit à l’avortement. Autorisé sous le régime communiste, celui-ci est aujourd’hui restreint à des cas extrêmement particuliers dans ce pays qui reste très catholique. Son adoption par le gouvernement de coalition droite-gauche, mis en place en 2023, dirigé par Donald Tusk se fait toujours attendre. Même s’il était voté par l’Assemblée nationale, il risquerait de se heurter au véto du Président de la République, Andrzej Duda, membre du PIS.
Cependant la répression contre l’avortement est limitée. Aucun médecin l’ayant pratiqué n’a été poursuivi ; seules des personnes ayant aidé à cette pratique l’ont été. Depuis des années, le droit à l’avortement est l’objet de nombreuses manifestations, notamment le 8 mars.
Le Centre pour les droits des femmes fait aussi pression sur le personnel politique pour qu’il adopte une loi créant l’équivalent du PACS français et reconnaissant l’adoption d’enfants par les couples homosexuels.
Au niveau social, les travailleurs qui se manifestent le plus sont ceux qui travaillent dans le secteur du charbon. Ces salariés s’opposent aux desiderata de la Commission européenne qui fait pression sur le gouvernement polonais pour fermer les mines de charbon de Silésie ainsi que les centrales électriques à charbon ; aucune solution de reconversion de ces travailleurs proposée n’ayant satisfait ces derniers. Il faut savoir que la Pologne compte encore 88 000 mineurs17https://www.statista.com/statistics/422202/number-of-employees-mining-quarying-sector-poland/.
Toujours en matière d’énergie, le gouvernement PIS projetait de construire deux centrales nucléaires, projet que le gouvernement Tusk a décidé d’abandonner.
Notes
- 1Jean-François Le Dizès est l’auteur de Globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et de Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes)
- 2
- 3
- 4
- 5
- 6
- 7
- 8
- 9
- 10
- 11
- 12
- 13
- 14
- 15
- 16
- 17