Une vague de contestation

L’Iran, depuis le 16 septembre dernier, est touché par une vague de contestation qui, selon certains observateurs, serait la plus radicale depuis la révolution islamique de 1979. Cette révolution a mis fin à la monarchie dictatoriale du Shah et l’a remplacée par un nouveau régime basé sur le concept du velayat-e faqih (« gouvernement du docte ») qui confère aux religieux la primauté sur le pouvoir politique. Il combine un pouvoir théocratique autoritaire incarné par le Guide de la révolution (Chef de l’État, nommé potentiellement à vie) et un pouvoir politique à l’apparence démocratique (élections au suffrage universel du Président de la République et de la chambre des députés… parmi des candidats ayant reçu l’onction des religieux !). La primauté du religieux sur le politique étant clairement affirmée par la Constitution de 1979, la nature non démocratique du pouvoir iranien est évidente et sa forme peut être qualifiée de dictature (et parfois de dictature des mollahs) ou, au mieux, de démocrature (simulacre de démocratie).

De multiples contestations ont ébranlé le régime, surtout depuis une quinzaine d’années, mais la répression en a toujours triomphé (« Mouvement vert » de 2009, suite à la réélection frauduleuse de M. Ahmadinejad, manifestations anti-corruption et contre la vie chère en 2017, manifestations contre la hausse du prix des carburants en 2019…). Ces manifestations ont été généralement le fait de groupes sociaux particuliers : classes moyennes des grandes villes en 2009, classes populaires, voire déshéritées issues des campagnes, des petites villes ou des banlieues pauvres en 2017 et 2019.

Une répression policière violente

La situation de 2022 est différente : tout est parti du meurtre d’une jeune femme kurde à Téhéran le 16 septembre. Zhina Mahsa Amini a été contrôlée à la sortie d’une station de métro par la police des mœurs le 13 septembre, car elle ne portait pas « correctement » son hijab (voile). Arrêtée et tabassée par la police des mœurs, elle est hospitalisée et décède trois jours plus tard. Le jour de ses funérailles, le 17 octobre dans sa ville natale, les premières manifestations ont lieu, elles se développent dans les jours suivants au Kurdistan et à Téhéran, puis dans tout le pays ; les manifestant.es reprennent le slogan féministe Jin, Jiyan, Azadî (« Femme ! Vie ! Liberté ! ») ainsi que « Mort au dictateur ». Certaines femmes se coupent une mèche de cheveux, enlèvent leur hijab et parfois le brûlent. La répression policière se développe rapidement. À ce jour, il y a eu au moins 150 morts, des centaines de blessés, des milliers d’arrestations, mais les manifestations continuent. Toutes les catégories sociales y participent, la jeunesse est dominante dans ce pays jeune, entièrement scolarisé, où les universités accueillent plus de 4 millions d’étudiant.es, très majoritairement des jeunes femmes. Un mouvement de soutien se développe en Iran (artistes, comédiens, sportifs…) ; des manifestations sont organisées dans de nombreux pays, particulièrement là où une diaspora iranienne est présente… Le 3 octobre, le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, en plein déni, accuse les EU, le « régime sioniste » et les traîtres de l’étranger d’être responsables de la situation !

L’expression d’un ras-le-bol

Ce que nous disent ces manifestant.es, c’est d’abord l’expression d’un ras-le-bol. D’abord le ras-le-bol de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques depuis plus de 40 ans. L’obligation du port du voile a été le symbole de la révolution islamique, de sa victoire sur une monarchie qui avait pris ses distances avec la religion. Mais aujourd’hui, beaucoup de femmes, en particulier les jeunes, ne veulent plus de cette obligation et plus encore du renforcement des contrôles par la police des mœurs du port « correct » du hijab qui s’est accentué depuis l’élection du président ultra-réactionnaire E. Raïssi en juin 2021. Mais attention, cela ne veut pas dire que le rejet du port du voile soit massif chez les Iraniennes, c’est l’obligation qui est rejetée. Ras-le-bol aussi du patriarcat et de l’impossibilité pour les jeunes femmes de choisir la vie qu’elles souhaiteraient mener. Ainsi que le dit Azadeh Moaveni, professeure associée de journalisme à l’Université de New York : « Depuis une génération, les femmes iraniennes n’ont jamais été aussi en colère. C’est comme une guerre là-bas »[1].

Mais Zhina Mahsa Amini n’a pas été assassinée seulement parce qu’elle ne portait pas « correctement » son voile. Elle a été assassinée aussi parce qu’elle appartenait à une minorité ethnolinguistique rebelle, les Kurdes, parce qu’elle ne faisait pas partie de la classe supérieure dont elle ne connaissait pas les codes… Cette pluralité des lectures et des interprétations du meurtre de Zhina Mahsa Amini permet à différents groupes sociaux de se reconnaître en elle et de porter des revendications unifiantes, en particulier sur le maintien des discriminations, l’absence d’égalité, de démocratie, de liberté.

Il est bien évidemment beaucoup trop tôt pour faire des hypothèses sur la suite de la contestation en Iran et ses conséquences. Pour conclure, je laisse la parole à Azadeh Moaveni : « Où tout cela va-t-il ? Quelle est cette révolte ? Une révolution féministe pour la liberté corporelle et l’égalité des sexes ? Un mouvement radical de défense des droits civiques contre la police corrompue et misogyne ? Ou un soulèvement sans leader et sans organisation qui exige une révision fondamentale des relations entre les citoyens/citoyennes et l’État ? Peut-être s’agit-il de toutes ces choses à la fois »[2].

Jacques Fontaine, 10-10-2020

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Notes

1 et 2 Source : New York Times, le 7 octobre 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre, cité dans le blog « Entre les lignes, entre les mots » du 10-10-2022 : https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/10/10/comprendre-la-revolte-iranienne-sans-ceder-aux-recuperations-de-tous-bords-et-autres-textes/