Voici quarante-deux ans que Dominique Vidal couvre le conflit israélo-palestinien pour La Presse nouvelle magazine. Selon lui, jamais il n’avait atteint aussi longtemps un tel degré d’horreur. l’État d’Israël a été condamné par la plus haute instance juridique internationale. Il est de plus en plus isolé et son économie fragilisée.

Israël entre crime et suicide

Par Dominique Vidal1Dominique Vidal est un journaliste et essayiste indépendant, journaliste et historien. Publié par La Presse nouvelle, magazine de septembre 2024.

Il y aura bientôt un an que, suite à l’opération terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, Tsahal s’est lancée dans une « riposte » non moins terroriste contre la bande de Gaza, ses infrastructures et ses habitants. Prétendre que la première, avec ses 1 040 victimes et 250 otages, justifierait la seconde, avec un bilan évalué par la revue scientifique The Lancet à 186 000 morts et disparus reviendrait à affirmer qu’une vie arabe ne vaut pas une vie juive – mais environ 1452www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140- 6736(24)01169-3/fulltext.

C’est pourquoi, le 26 janvier dernier, la Cour internationale de Justice (CIJ), saisie par l’Afrique du Sud accusant Israël de violer la Convention des Nations Unies sur le génocide de 1948, a rendu une décision l’appelant à :

Ces exigences ne manquent pas d’arguments, à commencer par les crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 et par l’armée israélienne depuis, à Gaza comme en Cisjordanie. Jamais Tsahal n’en avait commis autant et en aussi grand nombre, comme l’attestent les textes et les images publiés sur les réseaux sociaux par nombre de ses soldats, fiers de leurs atrocités. À ce catalogue de toutes les horreurs imaginables, les dirigeants militaires et politiques d’Israël répondent en plaidant leur caractère non intentionnel.

Sauf que, cette fois, ils ont eux-mêmes incité leurs troupes au massacre. Nul n’a oublié la déclaration du ministre de la Défense Yoav Gallant dès le premier jour de la guerre contre Gaza : « Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence4The Times of Israël, 9 octobre 2023. ». Pour sa part, le général-major Ghassan Allan, coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, a assuré qu’à Gaza « il n’y aura ni électricité, ni eau, il n’y aura que destruction. Vous vouliez l’enfer, vous aurez l’enfer 5L’Humanité, 02/11/2023. ». Un enfer, selon Bezalel Smotrich, le ministre des Finances et gouverneur de la Cisjordanie, pour qui le blocage de l’aide humanitaire vers la bande de Gaza est « justifié et moral », quitte à entraîner la mort de 2 millions de civils affamés, ajoutant toutefois que la communauté internationale ne permettra pas que cela se produise 6The Times of Israel, 05/08/2024.. Avi Dichter, ministre israélien de l’Agriculture, a appelé à une « Nakba de Gaza » 7Time, 13/11/2023. Amihaï Eliyahou, ministre israélien du Patrimoine, a proposé, lui, de larguer une bombe atomique sur Gaza 8TheTimes of Israel, 05/11/2023.. Quant au président d’Israël, Isaac Herzog, il a blâmé toute la Palestine pour l’attaque du 7 octobre – il s’est même déshonoré en signant de la main un obus destiné aux Gazaouis 9Haaretz, 03/01/2024..

Rien d’étonnant à la multiplication de manifestations d’une ampleur inédite, des pays arabes à Londres et New-York jusqu’aux villes allemandes, malgré l’interdiction décrétée par le gouvernement Scholz. L’invocation par Berlin de sa « dette morale » à l’égard d’Israël relève d’ailleurs du contre-sens : pour être les meilleurs amis de l’État juif, les Allemands devraient le dissuader de poursuivre son chemin belliciste qui le mènera un jour à une catastrophe…

Puis, le 19 juillet, à la demande de l’AG de l’ONU, la CIJ déclarait que « l’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes fondamentaux du droit international ». Et de conclure que « la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite » et que « l’État d’Israël est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais ». La Cour estimait également que « l’État d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé » et que « l’État d’Israël a l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans le Territoire palestinien occupé 10https://unric.org/fr/gaza-la-justice-internationale-se- prononce-sur-la-plainte-pour-genocide ». Les juges de la CIJ ont aussi précisé que « tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de [cette] situation ».

Criminelle, cette attitude comporte aussi, on l’oublie souvent, une dimension suicidaire. Car, si une certitude se dégage de cette impasse sanglante, c’est qu’aucun des deux peuples ne quittera la terre qu’ils estiment leur. Toute violence ne peut que rendre impossible une issue pacifique et délégitimer ceux qui s’y livrent. Fort de l’expérience des attentats-kamikazes durant la Seconde Intifada, le Hamas aurait dû redouter la radicalisation durable que l’opération du 7 octobre provoquerait dans l’opinion israélienne. Et lorsque le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a qualifié Gaza de « cimetière d’enfants 11Site du Times of Israel, 30/10/2023. », quel dirigeant israélien pouvait ignorer que cette horreur alimenterait la haine de plusieurs générations de Palestiniens contre leur occupant ?

Tel-Aviv connaît d’ores et déjà un isolement sans précédent au sein de l’ONU : lors du dernier vote annuel de l’Assemblée générale sur « le droit à l’autodétermination et à un État du peuple palestinien », le 10 novembre 2023, seuls quatre États ont voté contre, avec Israël : les États-Unis, les îles Marshall, la Micronésie et Nauru 12https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n23/374/57/pdf/ n2337457.pdf. Et Tel-Aviv a connu échec après échec lors de la plupart des votes de l’AG depuis dix mois.

Et pour cause : les crimes perpétrés par Tsahal depuis le 8 octobre ont dégradé durablement l’image d’Israël dans les opinions du Sud, notamment des pays arabo-musulmans, mais aussi en Occident. Curieusement, le président du CRIF attribue le sursaut d’antisémitisme à l’attaque du 7 octobre 13France 24, JT de 20 heures : https://www.france.tv/france-5/c-a-vous-la-suite/saison- 15/5675043-actes-antisemites-1000-depuis-le-7-octobre-c-a- vous-25-01-2024.html, comme si la critique croissante d’Israël n’avait pas pour cause essentielle les atrocités de son armée en Palestine occupée. Et ceux qui accusent les médias français d’attiser cette critique négligent cette question : qui jette de l’huile sur le feu, les crimes de Tsahal ou bien leur compte-rendu ? Comment, par exemple, oublier ces témoignages de soldats sur la torture et le viol de prisonniers palestiniens dans la prison jusque-là secrète de Sde Teman 14www.youtube.com/watch?v=w6xHUb9P_a8 ? La guerre de Gaza fragilise aussi l’économie du pays, à preuve les investissements directs étrangers en chute libre : – 55,8 % en neuf mois 15Israel Valley, 28 juin 2024..

La spirale de violence provoque enfin un phénomène sans précédent pour Israël : des dizaines de milliers de Juifs israéliens ont quitté leur pays, cette yerida (émigration) concurrençant désormais l’aliya (immigration). Et nombre de ceux qui restent se sont désormais procuré un second passeport. Un geste qu’explique un chiffre : 28 % des Israéliens envisageaient déjà, il y a un an, de s’installer à l’étranger 16Site de I24, 25 juillet 2023.

 

Notes