Dans son rapport annuel présenté le 11 février 2015, la Cour de comptes fait état des nombreux (et importants) dysfonctionnements des Agences de l’eau pour la période de 2007 à 2013.
En 2013, ces agences ont collecté 2,2 milliards d’euros de redevances auprès des usagers et en ont distribué 1,9 (90,3 % des recettes) sous forme d’aides. En effet ces agences financent les actions conduites par les collectivités locales, les industriels ou les agriculteurs (épuration des eaux, restauration et entretien des milieux aquatiques, etc.) On se rappelle à ce sujet comment l’agence Adour-Garonne avait subventionné le projet de barrage de Sivens !
Pour 2013, les usagers de l’eau ont payé l’essentiel (87 %) de la redevance qui alimente les recettes des agences, le solde étant versé par les industriels (7 %) et les agriculteurs (6 %). Suivant les bassins, ces pourcentages varient, mais au contraire du principe pollueur/payeur, plus vous polluez, moins vous payez. Ainsi, dans le bassin Rhin-Meuse, où l’activité industrielle a été particulièrement polluante, la contribution des entreprises baisse de 22 % à 11 % en 6 ans ! Dans les bassins Rhône-Méditerranée et Adour-Garonne où l’irrigation représente 70 % du prélèvement d’eau de surface, la redevance payée par les agriculteurs ne constitue que 3 % du montant total des redevances ! Quant à l’agence de la Seine-Normandie, elle avait décidé un moment de faire peser 92 % de ses recettes sur les seuls usagers.
Plus on rentre dans le détail, plus la situation est ubuesque. En Loire-Bretagne, la part de la redevance acquittée par les agriculteurs ne s’élève qu’à 10 %, dont seulement 0,6 % pour l’élevage ! C’est pourtant dans cette région que l’on trouve les plus grandes concentrations d’animaux d’élevage rejetant quantité de nitrates, provoquant la prolifération des algues vertes. Au final, la redevance payée par les éleveurs n’était que de 3 millions d’euros en 2013 alors que le seul coût du nettoyage des algues vertes sur le littoral était estimé au minimum à 30 millions d’euros par an.
Si les usagers domestiques apportent l’essentiel des recettes, ils sont pourtant sous-représentés au sein des organes dirigeants. Théoriquement, ils devraient compter pour 40 % des membres des comités de bassin (+ 40 % pour les collectivités et 20 % l’État). Sauf que les industriels et les agriculteurs sont eux surreprésentés dans ce collège des usagers. Par exemple, les « entreprises à caractère industriel et commercial » constituent plus de 40 % du collège des usagers dans les bassins Seine-Normandie, Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée. D’une manière analogue, dans des bassins dans lesquels les pollutions d’origine agricole sont fortes (Adour-Garonne, Loire-Bretagne), le sous-collège « agriculture, pêche, aquaculture, batellerie et tourisme » représente plus du tiers du collège des usagers. Pour Seine-Normandie, les « vrais usagers », les consommateurs n’occupent que 9 % des sièges.
Enfin comment passer sous silence les nombreux conflits d’intérêts relevés dans l’attribution des aides, qui d’une manière générale, semble insuffisamment transparente. Il n’est pas rare de constater que certains membres des conseils d’administration (représentant des entreprises, des collectivités ou des associations) peuvent bénéficier de subventions (parfois très élevées),tout en siégeant et votant dans les commissions qui attribuent ces aides !
Dans son communiqué paru la veille de la publication du rapport, la ministre Ségolène Royal prend les devants, soutient les recommandations de la Cour des comptes et annonce qu’elle a déjà décidé (lors de leurs renouvellements) d’allouer plus de sièges aux représentants des associations (consommateurs et protection de la nature). Elle veut également améliorer la représentation de l’agriculture biologique. La prévention des conflits d’intérêts devrait aussi être renforcée par de nouvelles règles qui seront édictées avant l’été par décret.
Ce que la Cour des comptes ne dit pas dans cette affaire, c’est que l’État a su lui aussi ne pas respecter le fameux (contestable ?) principe : « l’eau paie l’eau » puisqu’il a mis les doigts dans le « pot de confiture » et a prélevé de l’argent dans les caisses des agences pour son propre usage. Ainsi pour l’année 2014, il a prélevé 210 millions d’euros et se propose de faire de même les 3 prochaines années (2015 à 2017) à hauteur de 175 millions !
Pour « Ensemble ! Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire », membre du Front de gauche, la seule solution pour mettre fin à tous ces petits arrangements avec le diable, c’est d’introduire plus de démocratie dans la gestion de ce bien commun qu’est l’eau. Les citoyens doivent rapidement pouvoir faire irruption, dans ce petit monde de copains et de coquins, qui s’autoproclame, qui dicte ses règles, qui se coopte et qui au final, lui, ne connaît pas la crise !
René Durand