La loi « pour un nouveau pacte ferroviaire » a été adoptée par le Parlement le 14 juin. Dès le lendemain, les négociations sur la future convention collective ont commencé entre les 4 organisations syndicales et l’UTP (Union des transports publics et ferroviaires), elles doivent se terminer en 2020 pour déterminer comment seront traités les cheminot-es qui seront transférés au privé.
La fin d’une séquence
La séquence de grève à la SNCF commencée le 3 avril était programmée jusqu’au 28 juin, et les organisations CFDT et UNSA ont annoncé qu’elles n’iront pas au-delà. Cette séquence unitaire de 2 jours de grève et de 3 jours de reprise va se terminer.
La très forte opposition d’une quasi-unanimité des cheminot-es à la loi ferroviaire, mesurée dans les sondages, dans la pétition des organisations syndicales et dans le haut niveau de grévistes, a permis le maintien de l’unité de toutes les organisations syndicales représentatives, qui ont respecté leur engagement de grève entre le 3 avril et le 28 juin, malgré des divergences importantes qui apparaissent publiquement maintenant.
Ce rythme 2 + 3 jours a posé question.
SUD-Rail l’a contesté, sans parvenir à imposer une grève reconductible, qu’elle juge indispensable pour empêcher l’ouverture à la concurrence, la fin du statut de cheminot et la transformation juridique de la SNCF.
CFDT et UNSA ne tiennent pas à un affrontement frontal avec le gouvernement et se retrouvaient bien dans une stratégie de pression et négociation sur un long terme par une grève intermittente pour rendre la loi la moins pire possible et vanter ensuite le réalisme d’un syndicalisme moins revendicatif.
La CGT explique que toutes les longues grèves, 1986/87, 1995, 2000 et 2017, tiennent deux semaines puis s’effritent petit à petit, d’autant plus que le « service minimum » a changé la donne, rend plus difficile la grève en imposant à de nombreux agents à se déclarer gréviste 48 heures avant.
Que sera la suite ?
La CGT, à l’initiative de cette grève perlée, annonce la prochaine séquence les 27 et 28 juin avec un temps fort le 28 juin dans le cadre de la journée d’action interprofessionnelle, en manifestant «Pour l’avenir du train public, une seule profession : CHEMINOT ! ». Elle souhaite continuer, après le 28 juin, un nouveau cycle de préavis de grève « afin de poursuivre la grève cet été sur des dates et des modalités qui seront dévoilées au fur et à mesure ».
Elle précise les objectifs : éclaircir les nombreuses zones d’ombre dans la loi, obtenir des éléments concrets sur la reprise partielle de la dette et le contenu des négociations à venir sur la convention collective.
SUD-Rail, en grève depuis le début sur son propre préavis illimité (mais dans les faits en grève aussi 2 jours sur 5 en même temps que les autres) met aussi en avant le 28 juin et, avec l’Union syndicale Solidaires, appelle tous les secteurs à se mobiliser pour une journée de soutien aux cheminot-e-s dans leur lutte contre la privatisation et pour la préservation du statut. Elle interpelle la CGT, maintenant que CFDT et UNSA partent, il n’y a plus de raison de ne pas chercher une convergence avec les étudiant-e-s, la fonction publique, les aériens, les routiers, les secteurs en lutte, les mouvements d’opposition à la politique de Macron. SUD Rail espère que la fin des modalités en 2 sur 5 permettra enfin de coordonner les luttes !
Elle annonce deux temps forts, blocage des trains les 6 et 7 juillet, mobilisation le 11 juillet lorsque la SNCF annoncera 3 000 suppressions d’emplois au Fret avant de le filialiser… puis décision des suites dans les AG.
Le contexte reste
Le gouvernement Macron s’attaque à tout en même temps, ce qu’il a annoncé publiquement, le statut de la SNCF et de ses salarié-es, l’arrivée de la concurrence et ce qu’il a tenté de cacher mais qui est implicite dans les contraintes financières de la loi, la disparition des petites lignes, le recentrage des activités sur les plus rentables, l’augmentation des tarifs, … Et il attaque frontalement, sans concéder le moindre compromis aux organisations syndicales dites réformistes, en conformité avec son projet politique de remise en cause du paritarisme, d’affaiblissement du syndicalisme. Il s’appuie sur les média dominants, les chiens de garde, qui ont insisté sur la gêne des usagers, l’impact sur le BAC, les départs en vacances… et les soi-disant avantages des cheminot-es, la baisse du taux de grévistes, l’augmentation du nombre de trains en circulation…
Gagner sur la SNCF, sur les services publics, sur les droits syndicaux, nécessitent un soutien massif de la population, l’émergence d’autres luttes, l’affirmation d’une politique alternative pour les chemins de fer, portée par les organisations syndicales et les partis politiques.
Les fédérations CGT et SUD-Rail ont mis en avant une autre SNCF au service des usagers, elles ont même, avec CFDT et UNSA, porté une plateforme de 8 mesures. Mais pas la moindre allusion dans les média, pas même l’organisation d’un débat contradictoire.
La bataille de l’opinion reste à gagner, par des réunions publiques des organisations syndicales, ensemble, dans les grandes villes, par un engagement des partis politiques antilibéraux, par un foisonnement d’idées et de réflexions sur les réseaux sociaux. Ensemble! a tenté d’y contribuer, par son bulletin de mars, mais cette bataille n’a pas vraiment commencé, le discours politique audible est resté très pauvre, très peu argumenté.
Une certaine indifférence ou un doute de la population, des citoyens, des salariés face au mouvement des cheminot-es s’inscrit dans une sidération plus large face aux décisions politiques macroniennes parce qu’il n’y a pas une dynamique politique capable de faire basculer l’opinion publique majoritairement vers une alternative révolutionnaire de gauche radicale.
Pour gagner, il aurait fallu que soient entendues les alternatives portées par les organisations syndicales, que les partis politiques agissent dans les villes, qu’un vrai « comité de soutien » national et constitué dans chaque ville amplifie les réflexions, les débats et les initiatives d’actions, en lien avec une autre politique environnementale prônant le rail à la place de la voiture. Cela n’a pas été possible, notamment par le risque de diviser l’intersyndicale, mais n’est-ce pas réalisable maintenant que CFDT et UNSA ne sont plus dans les actions que veulent toujours CGT et SUD-Rail pendant cet été ? Et pourquoi pas la construction d’un contre-projet européen du rail comme service public, ou sur d’autres services publics ?
Patrice Perret, Dominique Resmon, Jean-Claude Mamet