« (Le joueur africain est) un joueur pas cher quand on le prend, prêt au combat généralement, qu’on peut qualifier de puissant sur un terrain. (…) Mais le foot ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline. Il faut de tout. Des nordiques aussi, c’est bien les nordiques, ils ont une bonne mentalité. »
Quand, Willy Sagnol, entraîneur du club de football des Girondins de Bordeaux, ex-sélectionneur de l’équipe de France espoirs et ancien international français lâche ces quelques mots lors d’une interview au journal Sud-Ouest, cela déclenche à juste titre une violente polémique. Un certain nombre d’anciens joueurs noirs (Mboma, Viera, Kombouaré, Thuram) dénoncent les clichés racistes sur les joueurs africains contenus dans ces déclarations. Thuram[1] fait à juste titre le parallèle avec l’ « affaire des quotas » qui a agité le monde du football français lorsqu’un enregistrement a révélé que dans une réunion des instances techniques de la Fédération Française de Football, des responsables dont Laurent Blanc (entraineur de l’équipe de France à l’époque) échangeaient sur la nécessité de disposer de petits joueurs vifs et techniques plutôt que de « grands blacks costauds » et de pratiquer des quotas en ce sens. Comme les responsables de l’époque, W.Sagnol a plaidé la mauvaise communication en indiquant avoir pointé le manque de structures en Afrique et les difficultés pour les joueurs d’y intégrer une discipline et une culture tactique plutôt que de déficiences intrinsèques.
La plupart des acteurs du football, des collègues entraineurs et d’anciens coéquipiers, ont défendu Sagnol en plaidant la maladresse faisant remarquer qu’en tant que joueur et entraineur il n’avait jamais eu de problème à travailler avec des joueurs africains ou d’origine africaine. Certains sont même aller plus loin en rajoutant « qu’on ne peut plus rien dire »[2].
Mais faut-il vraiment donner crédit à l’argument aussi ridicule qu’usé qui consiste à démontrer le non racisme de quelqu’un en affirmant qu’il a des amis, des collègues ou des voisins noirs ou arabes ?
Et puis, le problème n’est pas de savoir si Sagnol est raciste ou non, mais de dénoncer les stéréotypes clairement racistes véhiculés par ses déclaration. La carrière de joueur et d’entraîneur de W.Sagnol (ou de L.Blanc) devrait pourtant théoriquement « suffire » à ce qu’ils ne tiennent pas de tels propos : ils ont côtoyé, joué contre, dirigé un grand nombre de joueurs ne correspondant pas à ces clichés (ni de l’africain… ni du nordique d’ailleurs). Le journaliste de l’Equipe qui suit le football africain, Hervé Penot, montre assez bien l’absurdité des propos de Sagnol[3]. Abedi Pelé, Didier Drogba, Georges Weah, tous ces joueurs africains, Willy Sagnol les connait forcément en bon technicien du football qu’il est et la question lui aurait été posé, il aurait eu du mal à affirmer que ces joueurs ne sont pas techniques, intelligents et disciplinés. Et pourtant il sait bien que ce ne sont pas vraiment des joueurs nordiques.
La seule raison pour laquelle Sagnol ne semble pas voir ce qui devrait pourtant lui apparaitre comme évident, c’est forcément qu’il est prisonnier de représentations, de clichés, de stéréotypes racistes. Mais cela n’en fait pas pour autant une victime comme certains ont voulu le faire croire. Encore une fois, dès que les impensés racistes s’expriment de manière un peu trop évidente, et que certains « racisés » expriment leur colère, l’argument est renversé et celui qui a émis les propos racistes devient un simple maladroit, victime de la méchante susceptibilité et de la mauvaise foi de ceux qui expriment leur ras-le-bol.
Pas étonnant que Sagnol défendu par la plupart de ses paires n’ait même pas fait l’effort de comprendre ce que ses déclarations avaient de raciste, se permettant même de se justifier de sa bonne foi en reprenant des citations tronquées de Patrick M’Boma, qui s’est très justement mis en colère.[4]
Non, Sagnol, même s’il n’en n’est peut-être pas conscient n’est toujours pas « sorti » du cliché de l’Africain (en fait du noir) costaud, puissant mais manquant d’intelligence, de ce grand enfant plein de générosité dans un corps de colosse mais un peu gauche et pas forcément très malin. De ce point de vu, la parenté immédiate du discours de W.Sagnol ne s’arrête pas à « l’affaire des quotas » mais englobe aussi le discours de Dakar de N.Sarkozy sur l’homme africain qui n’est pas rentré dans l’Histoire. Sa généalogie remonte au discours colonial français classique, toujours d’actualité d’une manière plus ou moins atténuée.
Ce discours, loin de se démoder, est toujours plus nécessaire à un capitalisme français en crise dont un « atout » essentiel tient en la mainmise néo-coloniale sur l’Afrique et ses ressources. Le démonstratif hommage de l’ensemble des commettants de la bourgeoisie française à Christophe de Margerie après sa mort accidentelle, n’était pas seulement pour un important capitaliste français mais surtout au patron de Total, un des symboles de cette puissance. La naturalisation de cette mainmise en peignant « l’Africain » aux capacités physiques hors-normes, mais en dehors de l’histoire, « incapable » quasiment au sens juridique du terme, est une légitimation absolument nécessaire au capitalisme français. Elle est d’autant plus « utile » qu’elle a une fonction de division raciste du prolétariat en France même.
L’enjeu va donc au-delà des condamnations d’un tel ou d’une telle mais porte sur le décryptage du discours colonial/raciste dont cet épisode montre l’enkystement dans la société française, sa fonction dans les mécanismes d’exploitation et d’oppression et du chantier de la lutte contre le racisme pour les anticapitalistes.
Emre Öngün et Laurent Sorel
[1] http://www.francefootball.fr/news/Les-propos-de-sagnol-font-polemique/51…
[2] Cette tarte à la crème a été, cette fois, balancée par Bernard Casoni, ancien international français de football et actuel entraîneur de Valenciennes en Ligue 2.
[3] http://afriqueenfoot.blogs.lequipe.fr/sagnol-la-lecon-a-retenir/
[4] http://www.maxifoot.fr/football-rss207546/bordeaux-mboma.php