La question de la gratuité des services publics locaux ou nationaux s’installe progressivement dans le débat politique, celles et ceux qui inscrivent leurs actions dans la fondation d’une pensée alter communiste, pour contribuer à révolutionner la société au présent ne peuvent que s’en féliciter. L’idée est novatrice, porteuse de sens et de rassemblement, elle participe d’une réflexion renouvelée du service public.

Un facteur de cohésion
Et pourtant la gratuité n’est pas une évidence dans la culture de la gauche française. Elle divise, y compris la gauche radicale. Elle est caractéristique du débat qui a marqué  le mouvement ouvrier dès sa naissance, que l’on retrouve dans les correspondances de Marx à Lassalle sur : l’égalité ou l’abolition des  classes. La pensée de gauche s’est construite sur la distribution de la richesse produite. Les pauvres doivent payer moins que les riches, c’est la recherche de l’égalité de classes. La gratuité c’est une tout autre vision de la société, elle ne vise pas à réguler les rapports marchands. Elle les dépasse. Lorsqu’un service est gratuit on ne corrige pas la loi du marché, cette dernière est simplement abolie. La gratuité  permet de ne plus faire la distinction dans les positions sociales. On est plus obligé de justifier son degré de pauvreté pour obtenir sa carte de tarification sociale. On ne compare plus avec ce que paye le voisin. En ce sens la gratuité est un facteur de cohésion.

Vers un nouveau projet de société
C’est une nouvelle façon de penser un  service public du 21ème siècle, et son extension à d’autres domaines, afin de ne pas en rester à la conservation de l’existant, en prolongeant le droit pour une vie sécurisée dont le socle a été inventé lors des « jours heureux ». N’est-il pas grand temps de sortir du paradoxe, qui fait que ces dernières décennies la réforme est du côté du capital, alors que le conservatisme est devenu l’apanage des forces qui se réclament du progrès ? La gratuité, tout comme le développement de la citoyenneté, peut-être constitutif d’un nouveau projet de société. Le marqueur au niveau local d’un communisme municipal de nouvelle génération.
Ceux qui à gauche s’opposent à la gratuité, le font souvent en nous disant que ceux qui peuvent payer doivent payer. Si on accepte cette argutie pour les transports, pour l’eau, pourquoi ne pas l’admettre pour l’école ou la santé ? On nous dira tout à un coût, certes, mais cela ne veut pas dire que tout a un prix. Une fiscalité juste, adossée aux revenus et aux produits de la finance, ne permettrait-elle pas d’étendre le champ de la gratuité dans de nombreux domaines ?

L’expérience d’Aubagne
L’expérience des transports publics à Aubagne et sur tout le territoire de l’agglomération mis en œuvre depuis 2009 prend naissance dans une conception politique qui s’attache en tout domaine à rechercher des alternatives anticapitaliste. Entièrement financée par le versement transport des entreprises, son coût n’est pas supporté par l’impôt des ménages. La gratuité des transports publics s’inscrit dans une politique de déplacement performante, ce qui explique la hausse exponentielle de fréquentation ; plus 174%. Les modifications dans la vie quotidienne sont mesurables, les habitants des quartiers périphériques se réapproprient le Centre-Ville, découvrent les autres communes de l’agglomération. C’est le droit à la ville pour tous, la liberté de déplacement. C’est chez les jeunes que l’impact est le plus important, ainsi que sur les trajets loisirs, visites à des proches que les déplacements sont les plus fréquents.

La gratuité des transports c’est aussi une autre façon de gérer l’argent public. Hier un déplacement coûtait à l’agglo 3,93€, aujourd’hui avec la hausse de fréquentation, le déplacement revient à 2,04€. Avec le même investissement on transporte deux fois plus de passagers. L’économie de l’achat du ticket permet de redonner du pouvoir d’achat aux citoyens – usagers des transports publics. Enfin il y a une économie très concrète dont l’évaluation monétaire est trop souvent négligée : l’amélioration de l’environnement naturel et social. Moins de trajet en voiture, c’est une usure moins rapide des chaussées, moins de place de parking à construire, moins de CO2 expulsé dans l’atmosphère.
La gratuité engendre des liens sociaux complètement modifiés, partout où elle existe, elle n’engendre pas de tension, au contraire. Les bus sont des lieux de rencontres, de convivialités. Nous y organisons des animations, du théâtre invisible, jeux, rallye avec les enfants du territoire de l’agglo. Il n’y a plus d’argent en circulation, donc pas de tentation, plus de course poursuite avec les contrôleurs. La jeunesse n’est plus stigmatisée.

Une idée d’avenir qui progresse
En France il y a plus de vingt territoires qui ont adoptés la gratuité des transports publics, d’autres s’interrogent. En Europe de nombreuse villes s’intéressent à ce type d’expériences pour des motivations diverses. Tallinn, capitale de l’Estonie est en gratuité des transports publics depuis le 1er janvier 2013.
Des mouvements citoyens nous sollicitent, nous avons participé à plus de trente réunions  dans des territoires différents. Un réseau d’élus et de citoyens au niveau international pour les gratuités est en formation, la Présidente de l’Agglo du pays d’Aubagne et de l’Etoile en assure la Présidence provisoire. Il se réunira à Aubagne en novembre 2014.

Nous réfléchissons à ouvrir d’autres espaces de droits universel : les obsèques, l’eau, les cantines…
La gratuité et l’extension des services publics tendent à sortir de la marginalité pour devenir une force matérielle. Une idée d’avenir qui renoue avec la créativité politique qui depuis des années fait tant défaut.

Bernard Calabuig, mars 2014.