Dans le cadre de l’Université d’automne de notre mouvement, Elias Sanbar a participé, le 30 octobre dernier, à un débat sur la situation en Palestine avec Leila Shahid et Farouk Mardam-Bey1Palestine, encore et toujours (vidéo). Il a autorisé ContreTemps à publier l’essentiel de son intervention. Nous l’en remercions chaleureusement. En attendant la parution de ContreTemps2Contretemps La revue qui va arriver chez les abonné·es, nous mettons en ligne ce texte.
Pour une reconnaissance internationale de la Palestine comme un pays occupé
Par Elias Sanbar3Elias Sanbar est historien et écrivain. Il fut ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO.. Le 30 octobre 2023.
Nous vivons un moment difficile et inquiétant, une période de non-respect du droit, d’impunité de plus en plus partagée, et de déstabilisation générale.
Parler de la Palestine aujourd’hui, c’est d’abord parler de Gaza.
Quelques éléments concrets concernant Gaza
Gaza, c’est 360 kilomètres carrés, un rectangle de 36 km de long sur 10 de large. On voit l’étroitesse de ce territoire. Sur cette surface limitée vivent 2 200 000 êtres humains.
80 % de ces humains sont des réfugiés de 1948, expulsés une première fois du sud de la Palestine vers la bande de Gaza, alors sous contrôle de l’Égypte, alors que la Cisjordanie était sous contrôle de l’émirat de Transjordanie, qui devait devenir le royaume de Jordanie.
Les 80 % des 2 200 000 personnes de Gaza sont habités par l’idée du retour sur leur terre nationale, et certainement pas par l’idée de constituer un nouveau camp de réfugiés en Égypte.
Les appels israéliens leur ordonnent d’aller vers le sud du territoire, puis vers l’Égypte. C’est témoigner que, 70 ans après 1948, certains n’ont toujours pas compris. Les Palestiniens savent que quand on part, on ne revient pas. Les parents des actuels habitants, partis en 1948, leur ont expliqué qu’alors, ils croyaient que c’était pour une semaine, persuadés que les armées arabes allaient entrer en jeu et en finir en 10 jours avec l’armée sioniste. Et d’ajouter : « Si on avait su que c’était un départ sans retour, on aurait choisi de se faire tuer sur place ».
La population est rassemblée, elle se déplace dans cet espace très étriqué pour échapper aux bombardements, pour se mettre à l’abri, elle n’envisage pas de sortir de Gaza. Au demeurant, si elle voulait sortir, ce ne lui serait pas difficile de forcer la porte.
Il faut savoir qu’existe une différenciation du point de vue sociologique et culturel entre la zone côtière de la Palestine et l’intérieur. Ce dernier est plus traditionaliste, alors que le littoral, du fait du commerce, de la circulation en Méditerranée, des relations avec d’autres peuples, connaît une culture mélangée, cosmopolite.
À propos des clichés concernant l’islam à Gaza, il faut savoir que les fouilles archéologiques ont révélé un sous-sol qui contient plus de ruines d’églises byzantines qu’il n’y en a autour de Jérusalem. Le christianisme est né en Palestine, la religion chrétienne y est venue via l’Égypte. La première église chrétienne fut construite à Alexandrie, et on trouve davantage de traces chrétiennes à Gaza qu’à Jérusalem.
C’est aussi dans cette zone culturellement très variée qu’ont prospéré des courants mystiques très éloignés de l’islam rigoriste.
En un mot, c’est une région très intéressante, mais submergée par les problèmes sociaux énormes, et les difficultés que vivent les réfugiés.
C’est aussi à Gaza que sont nées les premières cellules de la résistance armée palestinienne, donc existe une tradition ancienne de résistance armée.
L’autre élément à souligner est le combat interne très dur au sein de l’OLP, la scission qui a conduit à ce que le Hamas prenne le contrôle de la zone et la gère. Avant le 7 octobre, il apparaissait qu’en cas d’élections législatives, le Hamas les aurait perdues à Gaza, et les aurait gagnées en Cisjordanie, résultat de la gestion du Hamas d’un côté, de celle de l’Autorité palestinienne de l’autre. Mais à présent, tout cela n’est plus valable.
Pourquoi l’autorité du Hamas ?
Le Hamas à un moment donné s’est saisi de l’étendard de toute la résistance palestinienne. Il s’agit d’une organisation islamiste, mais l’autorité qu’il a gagnée ce n’est pas par l’islamisme, mais parce qu’il s’est retrouvé seul sur la scène et est apparu comme ne faisant pas partie de ceux qui ont cru aux négociations.
Au départ, le Hamas a été appuyé, aidé et financé avec l’accord des banques israéliennes. Netanyahou a vu dans le Hamas, il l’a dit à maintes reprises, un outil pour liquider la tendance Arafat, la composante laïque de la résistance palestinienne. Il est habituel que la créature échappe à son créateur et se retourne contre lui. C’est ce qui arrive aujourd’hui aux Israéliens.
Quant à l’Autorité palestinienne, elle est critiquée pour sa gestion, pour des affaires pas claires, mais fondamentalement son discrédit tient à une autre raison. Du fait que depuis 32 ans – un tiers de siècle ! – des délégations palestiniennes sont allées négocier, et sont revenues les mains vides. On n’accuse pas ses responsables d’être des traîtres, mais bien des naïfs, pour n’avoir pas compris qu’Israël n’entend que le langage de la force.
Le Hamas a montré qu’Israël entend le langage de la force. Aujourd’hui, l’opinion publique partage cette idée que ceux du Hamas ont compris cela et savent atteindre leurs cibles. Elle n’approuve pas nécessairement telle ou telle action, mais bien une démarche.
Proposition pour le « jour d’après » ?
Les affrontements vont être longs, et on ne voit pas sur quel paysage ils vont déboucher.
Reste qu’on peut dire que, même dans le cas d’une défaite militaire du Hamas, il est sûr qu’à une future table des négociations le Hamas sera là.
Des générations entières sont convaincues que le Hamas indique le chemin à emprunter. Une idée qui n’est pas limitée à l’espace palestinien, mais déborde dans tout l’espace arabe, voire au-delà.
Les massacres vont se poursuivre et le pouvoir israélien continuer à pratiquer une liberté que le monde lui a donnée et qu’il ne lui ôtera pas. Cet État a reçu un droit à l’impunité. Les dirigeants occidentaux font leur tournée pour sauver la face, ils savent pertinemment que le pouvoir israélien n’écoute que ce qu’il veut entendre.
Les États-Unis sont la seule force susceptible, non de l’amener à renoncer à sa politique, mais du moins de l’influencer. Mais ils ne comptent pas leur tenir des propos qui pourraient lui déplaire.
Donc on va vers un blocage extrêmement inquiétant.
Les Israéliens, même en cas de victoire militaire complète, sont engagés dans une fuite en avant. Telle est au demeurant l’inquiétude des experts américains dépêchés auprès de l’état-major israélien – à noter que ces deux généraux américains sont ceux qui ont mené la bataille contre l’État islamique en Irak. Ils posent la question « Savez-vous où vous allez ? ». Sans recevoir d’autre réponse qu’un « Ils vont voir ce qu’ils vont voir ! ».
Pourtant, dès le jour d’après la guerre, Israël va devoir se poser la question de comment répondre à la situation créée. Occuper Gaza ? Une très mauvaise affaire ! Accepter le Hamas comme interlocuteur ? Ce serait provoquer la guerre civile en Israël, une partie de la société et les colons n’accepteront jamais. Créer une zone tampon plus large, ce que les Russes appellent l’importance des « frontières épaisses », ce qu’ils ont pratiqué depuis les tsars pour mettre l’empire à l’abri ?
Dans tous les cas, rien ne sera résolu.
Pour permettre une sortie par le haut il faut arrêter de se lamenter sur l’impossibilité croissante de la solution des « deux États » compte tenu de tous les obstacles qu’on a laissé se dresser. Il faut prendre les choses par leurs fins : reconnaître la Palestine comme un pays occupé. D’abord cela, et ensuite on discute des autres questions : Quelles frontières ? Où se trouve sa souveraineté ? Quelle politique appliquer pour concrétiser les mesures adaptées ?
C’est ainsi que la Palestine est entrée à l’UNESCO. Nous avons affirmé : nous sommes occupés, mais nous existons, nous existons comme un pays, nous sommes un peuple qui a un pays.
Si les grandes puissances veulent une solution, il faut emprunter cette voie et éliminer les vetos des uns et des autres.
Pour cela nous disposons de plus de 140 voix à l’Assemblée générale de l’ONU, une majorité écrasante. Le problème est de passer de l’Assemblée générale au Conseil de sécurité. Pour lever leur veto nous ne demandons pas aux États-Unis d’approuver la mesure, simplement de s’abstenir. Ce serait le moyen pour eux de sortir de la crise, et d’éviter le tête-à-tête avec l’Iran.
Aujourd’hui, le Hamas occupe toute la scène. La bataille est d’imposer le peuple palestinien, avec toutes ses composantes qui forment le peuple arabe de Palestine.
On voit les enjeux. On voit que nous sommes au bord du précipice. Le problème n’est pas de se rassurer, la possibilité existe d’une guerre régionale qui changerait la donne du tout au tout.
Ce pourquoi il faut chercher une solution. Et comprendre que nous ne céderons pas !
Notes
- 1
- 2
- 3Elias Sanbar est historien et écrivain. Il fut ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO.