Neuf points sur la « représentation » et la démocratie

1. La « représentation institutionnelle » est loin d’avoir toujours existé. Les Athéniens n’auraient même pas compris ce que ce terme signifie pour rester dans le domaine de la démocratie. Et bien sûr, ni les Perses, ni les Égyptiens n’auraient compris de quoi il retourne.

2. La création de la représentation est un processus historique long et complexe, très discuté par les juristes et les historiens. Pour fixer les idées, on peut prendre, comme première référence, le XIIe siècle avec les discussions au sein des ordres religieux entre « délégation stricte et représentation » et comme aboutissement les textes des « Federalist papers » en 1787. Ce processus a duré, au minimum, 6 siècles !

3. À partir des trois révolutions – anglaise, américaine et française – émerge la création des républiques représentatives qui vont finir par prendre le nom de « démocratie » au XIXe siècle, en partie du moins, grâce à l’œuvre magistrale de Tocqueville.

4. Le processus d’élection des « représentants » est la base de légitimation politique des constitutions. La « représentation » est aussi le concept sur lequel repose la validité des décisions politiques prises par le pouvoir. L’épisode, que nous sommes en train de vivre, celui de la loi sur les retraites, illustre parfaitement ce point.

5. Il faut noter que la progression du système représentatif est « parallèle » au déploiement du système capitaliste, du moins jusqu’à la fin du XIXe siècle. « Liberté d’entreprendre » et « liberté de vote pour des représentants » vont de pair. En termes marxistes, la classe bourgeoise opère une « révolution » démocratique – grâce et par la république représentative – qui lui permet de déployer ses entreprises au niveau mondial. Au XXe siècle, le développement du capitalisme peut passer par d’autres modèles (URSS, Chine).

6. Les institutions mises en place par la bourgeoisie sont toutes orientées pour son bénéfice. Cela veut dire accroître sa richesse de façon indéfinie grâce aux mécanismes de la croissance qui repose sur l’existence du crédit et donc de la dette. Le capitalisme a ainsi colonisé le temps futur.

7. Cette construction institutionnelle doit faire face à une crise « démocratique » de grande ampleur par laquelle il faut entendre une remise en cause de la république « représentative ». De plus, la colonisation du temps futur est devenue impossible à cause de la crise climatique. La croissance est en train de rendre la terre invivable. La conjonction de ces deux crises majeures sont synthétisables en tant que crise de « confiance généralisée ».

8. La représentation implique que le mandataire ait confiance dans le mandant, que le mandant ait confiance pour l’accomplissement du mandat qu’il a reçu. Le système, en dernière analyse, repose sur ce sentiment. Or cette « confiance » n’existe plus (abstention, usage récent du 49.3, etc.). L’horizon temporel s’est rétréci à cause de l’usage massif des énergies fossiles qui propulsent la crise climatique. Toutes les technologies ne sont pas innocentes. Celles-ci et les politiques qui prônent « le progrès » ne font plus recette. La croyance aveugle dans la valeur de notre système de vie est détruite : nous sommes dans une crise majeure de civilisation. Les affrontements de Sainte-Soline ont le sens d’une « guerre climatique ». Cela signifie que la capacité de nos institutions à résoudre ce genre de crise n’existe tout simplement pas. L’épisode de la convention citoyenne sur le climat a été perçu de façon catastrophique par les jeunes générations qui en tirent les conséquences. Ces événements s’inscrivent dans la longue liste des conflits environnementaux dans le monde, étudiée par Joan Martinez Alier.

9. Le nœud commun entre toutes ces crises est celui de la nature des institutions. La conséquence est qu’il faut les révolutionner et ainsi sortir de la « représentation ». Malheureusement, nous n’avons pas six siècles devant nous, mais un temps très court pour en créer de nouvelles. Heureusement, il existe de nombreuses possibilités, le futur est ouvert qui peut permettre d’échapper à la situation délétère que nous vivons. Il nous appartient d’entreprendre ces créations, la tâche est immense, le temps limité, mais sa nécessité nous oblige.

Jean-Paul Leroux
26 mars 2023

Le peuple doit se soumettre à la démocratie