La grève reconductible a enfin démarré début juin, lorsque les cheminot-es pouvaient avoir l’impression que toutes les organisations syndicales représentatives la voulaient, CGT, UNSA, SUD-Rail, CFDT et aussi FO dans plusieurs régions où elle a gagné sa représentativité. Bien sûr, la CFDT a levé son préavis avant le début de la grève, et l’UNSA s’est différenciée en y appelant la première journée, sans toutefois mettre en grève les maîtrises et cadres où elle est influente.
Après deux semaines de reconductible, plus pour certain-es ayant démarré avant, la grève s’essouffle, victime aussi de la propagande CFDT et UNSA annonçant des « avancées », de la direction SNCF multipliant les actes illégaux compliquant les déclarations d’intention de faire grève, de la publication des textes présentés comme définitifs et à signer, du matraquage des médias et du gouvernement affirmant ne pas comprendre pourquoi la grève continuait puisque les cheminot-es avaient obtenu ce qu’ils voulaient, et même « plus que ce qu’ils avaient avant » !
Les trois niveaux de réglementation présentent de grandes régressions sociales et de sécurité :
Le décret, dit socle, rédigé par le gouvernement, reste proche du code du travail. Il s’applique à tous les salarié-e-s du ferroviaire, du voyageur et du fret, public et privé.
La convention collective nationale concerne tou-te-s les salarié-e-s de la branche ferroviaire. Négociée avec l’UTP, l’Union des Transports Publics de voyageurs (routier et ferroviaire), elle améliore peu les conditions de travail par blocage du patronat qui veut, selon lui, préserver la survie économique des entreprises. Ce bas niveau des obligations légales des entreprises permet une concurrence accrue, un dumping social et une fragilisation de la SNCF moins concurrentielle… de façon d’autant plus accru que l’écart s’avère important avec la réglementation SNCF.
L’accord d’entreprise ne s’applique qu’à la SNCF. La direction annonçait une refonte profonde de la réglementation actuelle pour faire face à la concurrence non soumise aux mêmes règles. Finalement, l’accord se rapproche du règlement actuel, sous la pression des cheminot-e-s et par la volonté du gouvernement de passer par-dessus la SNCF pour lâcher du lest et faire reprendre le travail afin de sauver sa loi travail, comme il l’a fait pour les intermittent-es du spectacle et les heures supplémentaires des routiers.
Voici quelques exemples de différence entre les textes qui, dans le cadre de la hiérarchie actuelle des normes ne peuvent être qu’un accord d’entreprise améliorant la convention collective, elle-même meilleure que le décret :
Un certain nombre de repos double (deux jours de suite) sont garantis dans l’année : 30 (dont 14 dimanches) par le décret, 39 (dont 14 dimanches) pour la branche et 52 (dont 22 dimanches) à la SNCF.
La convention collective permet de ne pas commencer et finir sa journée de travail au lieu principal d’affectation, mais ailleurs, dans un lieu à moins de 45 minutes. Le décret socle ne dit rien sur les lieux de début et fin. La SNCF ne s’interdit pas de pratiquer ainsi.
L’accord d’entreprise SNCF, même très proche de la réglementation actuelle dans de nombreux articles, n’est pas acceptable car il introduit par exemple le forfait jour pour l’encadrement et, surtout, comprend l’article 49 qui s’inspire du projet de loi Travail. En s’appuyant sur des notions vagues comme les « spécificités de service, tableaux de service et tableaux de roulement », un chef local d’établissement peut « aménager certaines limites de l’accord » SNCF, en respectant toutefois la convention collective. Il lui suffit d’obtenir l’accord de la majorité en nombre des organisations signataires de l’accord SNCF.
Ces accords scandaleux, Convention collective et accord de branche, combattus par les grévistes ont été signés par CFDT et UNSA et sont donc applicables car ces deux organisations représentent plus de 30 % des voix aux élections… sauf si CGT et SUD-Rail ensemble, représentant plus de 50 % des cheminot-e-s, font valoir leur « droit d’opposition », dans les 15 jours pour la branche (soit le 23 juin), dans les 8 jours pour la SNCF (soit le 25 juin).
Le chantage joue à plein pour inciter à signer, puisque les dérogations permises par l’article 49 doivent être admises, non pas par des syndicats représentants 30 % (si ceux pesant 50 % ne s’y opposent pas), mais par la majorité des organisations signataires de l’accord, quel que soit leur poids électoral ! Les non signataires n’ont pas leur mot à dire, de façon tout-à-fait légale.
Le chantage joue à plein aussi pour ne pas utiliser le droit d’opposition. Si l’accord SNCF est dénoncé, il n’existe plus et c’est la convention collective, bien pire, qui s’applique. Et si le droit d’opposition fait disparaître la convention collective, c’est le décret socle qui sert de référence. S’opposer aux deux textes, c’est supprimer toute règle et en revenir au code du travail !
Le débat n’a pas été simple dans les organisations ayant combattu ces textes :
Les syndicats SUD-Rail ont donné mandat à la fédération de ne pas signer l’accord SNCF et de proposer à la CGT de dénoncer ensemble. Ils se réuniront le 22 juin pour décider de leur position sur la convention collective.
La fédération CGT a annoncé le 14 juin qu’elle ne signait pas l’accord d’entreprise, après avoir consulté ses adhérent-es dont près de 58 % ont dit non à la signature, mais plus de 40 % ont dit oui. Si plusieurs syndicats forts dans la grève ont refusé la signature à plus de 80 %, un sur trois voulait signer.
Patrice Perret, le 18 juin 2016.