Dominique Vidal nous a donné son accord pour mettre, sur notre site, son dernier article à paraître dans le numéro de février de la « Presse Nouvelle magazine ». Nous l’en remercions. Il revient dans cet article sur l’isolement du Premier ministre israélien tant à l’échelle internationale que dans son propre pays.

La solitude du génocideur

Par Dominique Vidal, le 31-01-2024

Parfois, une photographie est plus parlante que de longs discours. C’est le cas ce celle-ci : elle représente Benyamin Netanyahou s’adressant l’automne dernier à l’Assemblée générale des Nations unies – en l’occurrence face à une écrasante majorité de sièges vides. On ne peut mieux symboliser la solitude du Premier ministre israélien en pleine Guerre de Gaza dont il espérait qu’elle le sauverait.

Rien là d’un effet d’optique : dans l’enceinte onusienne, jamais Israël n’a été aussi isolé. Certes, les États-Unis ont, à plusieurs reprises, fait usage de leur droit de veto pour éviter à leur « allié stratégique » une condamnation du Conseil de sécurité, voire des sanctions.

Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU a donc invoqué l’Article 99 de la Charte des Nations unies – l’un des outils les plus puissants à sa disposition – pour exhorter le Conseil de Sécurité à contribuer à mettre fin au carnage dans l’enclave palestinienne ravagée par la guerre.

Devant le blocage du Conseil de Sécurité par les États-Unis, une réunion d’urgence de l’Assemblée générale a donc été convoquée le 12 décembre. Avant le vote, le président de l’Assemblée générale, Dennis Francis, a déclaré que le monde était témoin d’un « effondrement sans précédent » d’un système humanitaire « en temps réel » et jugé qu’il était grand temps d’instaurer un cessez-le-feu humanitaire immédiat. « Nous avons une seule priorité – une seule – : sauver des vies », a-t-il souligné. « Il faut arrêter cette violence maintenant 1https://news.un.org/fr/story/2023/12/1141572». L’Assemblée a donc adopté –par 153 votes pour, 10 contre et 23 abstentions, soit plus que la majorité requise des deux tiers – une résolution qui, outre un cessez-le-feu humanitaire immédiat, exigeait la libération inconditionnelle de tous les otages et la garantie de l’accès humanitaire. Elle réitérait également l’exigence que toutes les parties respectent leurs obligations en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire, « notamment en ce qui concerne la protection des civils ».

Quelques jours plus tard, Israël allait subit une nouvelle défaite diplomatique. Le 19 décembre 2023, l’Assemblée générale adoptait, comme chaque année, une résolution soutenant « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à un État » par 172 voix pour, 10 abstentions et seulement 4 contre : Israël, les États-Unis, la Micronésie et Nauru2https://digitallibrary.un.org/record/4030703?ln=fr

Sans oublier la première réponse de la Cour internationale de justice à la plainte pour « génocide » déposée par l’Afrique du Sud et soutenue par une soixantaine d’États en appelant Israël, le 26 janvier, à prendre « toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide3https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20240126-ord-01-00-fr.pdf »

Ce quasi-consensus onusien reflète l’évolution accélérée des opinions publiques vis-à-vis d’Israël. Ces dernières décrochèrent pour la première fois massivement en 1982, après l’invasion du Liban et le massacre de camps palestiniens de Sabra et de Chatila, au sud de Beyrouth. La colère grandit encore avec la répression de la Première Intifada (à partir de décembre 1987) puis de la Seconde (à partir de septembre 2000). Sans oublier les offensives israéliennes incessantes contre la bande de Gaza : 2008-2009, 20112, 2014, 2021. Cette fois, ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de manifestants qui ont déferlé dans les rues des capitales de tous les continents : de Washington à Londres, de Berlin à Montréal, de Dublin au Caire, de Saana, et Tunis à Rabat, de Beyrouth à Amman. Que les foules les plus massives aient défilé dans les grandes villes arabes n’étonnera que ceux qui croyaient la cause palestinienne enterrée sous les Accords d’Abraham.

Or jamais le fossé entre dirigeants et dirigés n’a paru aussi profond au Maghreb comme au Machreck. Ainsi, la dernière enquête du Arab Center for Research and Policy Studies (CAREP) réalisée auprès de 8 000 sondés en janvier 2024 et publiée sous le titre « L’opinion punique arabe et la guerre d’Israël contre Gaza4https://www.carep-paris.org/wp-content/uploads/2024/01/Enquete_opinion_arabe_guerre_Gaza.pdf » confirme-t-elle le refus massif (89 %) de toute normalisation avec Israël sur le dos du peuple palestinien. Seuls 8 % des sondés dans seize pays arabes « soutiendraient une reconnaissance diplomatique d’Israël par leur État », 84 % s’y « opposeraient ». Et pour cause : 92 % estiment que « la cause palestinienne concerne tous les Arabes et pas seulement le peuple palestinien ». Concernant l’actuelle guerre de Gaza, 69% des sondés déclarent soutenir « la population de Gaza et le Hamas », dont 90 % estiment qu’il est « différent de l’État islamique ».

Cette enquête révèle aussi un durcissement de l’opinion arabe quant à la politique des États-Unis dans la région : 76 % la présentent comme « plus négative qu’avant la guerre » ; 68 % des sondés jugent en particulier « pas du tout sérieux » leur engagement en faveur de l’établissement d’un État palestinien. Dans le même esprit, 79 %, 78% et 75 % des sondés évaluent de manière négative les positions de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Quant au débat sur la légitimité de l’attaque du Hamas ; 67 % estiment qu’il s’agit d’une « opération de résistance légitime », tandis que 19 % l’évaluent comme une « opération de résistance légitime entachée de quelques erreurs » et 5 % seulement la considèrent comme une « opération illégitime ».

Voilà qui réduit la marge de manœuvre des régimes arabes désireux de se joindre au processus lancé en 2020 par Donald Trump. Sans doute était-ce d’ailleurs un des principaux objectifs de l’opération terroriste du 7 octobre : empêcher l’aboutissement des tractations israélo-saoudiennes alors en cours.

Sans doute est-ce dans son propre pays que Netanyahou est le plus seul. Contrairement à toutes les guerres précédentes, une large majorité de l’opinion soutient l’action de l’armée tout en exigeant la démission du Premier ministre. Il est vrai que l’attaque du 7 octobre s’est produite sur la toile de fond de neuf mois de gigantesques manifestations contre le « coup d’État » représenté par le projet de réforme de la justice : d’où le rejet massif de son inspirateur. Dès le début octobre, 86 % des Israéliens – et même 79 % des électeurs de l’actuelle coalition jugeaient le chef de Likoud comme responsable de la catastrophe5Haaretz, 17 octobre 2023. . Et depuis, jamais le Likoud n’était tombé aussi bas : dans les derniers sondages, en cas d’élections anticipées, il perdrait 17 des 32 sièges obtenus le 1ᵉʳ novembre 2023. Ses alliés de l’extrême droite suprémaciste n’obtiendraient plus que 7 députés au lieu de 14. Et même le Parti ultra-orthodoxe séfarade Shas n’aurait plus que 9 de ses 11 sièges. Si bien que l’actuelle coalition perdait la majorité avec 44 sièges au lieu de 64 aujourd’hui6Site de Radio J ,12 janvier 2024.

Le plus inquiétant est ailleurs : 28 % des Israéliens envisageraient de quitter leur pays en cas de passage en force de la réforme de la Justice7Site du Times of Israel, 26 juillet 2023. C’est une nette accélération d’un phénomène qui a d’ores et déjà vu des centaines de milliers de Juifs israéliens s’installer durablement à l’étranger.

Notes