La Sécurité sociale de l’alimentation consiste à créer de nouveaux droits sociaux visant à assurer conjointement un droit à l’alimentation, des droits aux producteurs d’alimentation et la protection de l’environnement. Vu l’importance des enjeux, le débat continue avec ce nouvel article qui l’aborde sous un angle différent.
La SSA, un projet féministe
Par Danièle Mauduit. Le 24-11- 2023
« Envisager le monde à travers une grille de lecture qui ne considère pas la femme comme le sexe faible ni la nature comme inerte, passive et uniquement vouée à être exploitée, tout cela procède du même regard » Vandana Shiva scientifique et écoféministe indienne – Pour une désobéissance créatrice.
Oser placer en visée le bien vivre pour tous·tes, le souci de l’autre et la protection du vivant plutôt qu’une croissance génératrice de profits privés dans un contexte de concurrence bouscule quelques valeurs masculines.
La sécurité sociale de l’alimentation est née du constat d’un échec. L’échec des initiatives locales (agriculture paysanne bio, AMAP, circuits courts). Réussies et indispensables, mais inefficaces face au système agro-industriel dominé par un monde viril jusqu’à la brutalité.1Nicolas Legendre – Silence dans les champs – Artthaud – avril 2023
La SSA répond à la question : comment rendre effectif le droit à une alimentation choisie en assurant le respect de l’environnement et du travail de ceux et celles qui nous nourrissent ?
Elle articule le droit à l’alimentation et le modèle agricole paysan agroécologique autonome autour de fils rouges, la démocratie et la solidarité. Elle inverse les priorités de ceux qui nous dirigent.
Du statut d’assistée à celui d’ayant droit et de décideuse
Dans la construction du projet et les initiatives locales, les femmes ont leur place : le montant de 150€ par mois a été fixé en fonction de la dépense alimentaire médiane et d’une somme définie avec des femmes du Palais de la Femme de Paris ! Elles sont actrices dans ce projet qui se monte localement, mêlant expériences et savoirs des chercheur·euses, des producteur·rices, des « mangeur·euses ».
Aussi exploitées qu’utiles, elles représentent 70 % des personnes qui subissent l’aide alimentaire. C’est la double violence : au travail, horaires décalés, pénibilité, temps partiels imposés2Pour une sécurité sociale du chômage AC – Syllepse mars 2019 et gestion des fins de mois difficiles où l’alimentation est trop souvent la variable d’ajustement.
Alors le versement d’une allocation mensuelle de 150 € pour une nourriture choisie et conventionnée, ça change la vie !
Choisir en fonction de ses goûts, de sa culture, mettre du plaisir et de la santé dans les assiettes des enfants, des ami·es, passer du statut d’assistées à celui d’ayant droit, à égalité avec les autres, ça contribue à créer de l’estime de soi, ça réduit l’angoisse des fins de mois, ça donne envie d’inviter autour de sa table.
Plus : la gestion démocratique des caisses locales de SSA leur donnerait le droit de participer à l’élaboration du choix des produits conventionnés. Un nouveau pas : du statut d’ayant droit à celui de décideuse qui donne du pouvoir politique pour agir sur sa vie !
Du modèle industriel au modèle paysan, un recul pour les firmes, une avancée pour et par les femmes
Le modèle industriel est propulsé par les firmes qui s’appuient sur les valeurs viriles de performance, concurrence, poussent à produire toujours plus et plus vite dans des exploitations plus grandes avec du matériel plus lourd, plus sophistiqué qui dope l’illusion de la puissance… la modernisation a mis les hommes sur les tracteurs, les femmes à côté, à pied. Nuance !
Pourtant, de la fourche à la fourchette, dans la production de l’alimentation, les femmes tiennent une place essentielle.
Chez les Sumériens (3ᵉ millénaire), elles assurent la cuisine pour la nourriture de base, tandis que les hommes cuisinent, déjà pour les riches, une alimentation qui sert « le séparatisme social »3Paul Ariès – Une histoire politique de l’Alimentation – Max Milo janvier 2022 (3). Une réalité actuelle, même si les recettes de grand-mère sont devenues un argument marketing.
Longtemps invisibilisées dans les fermes, les chefs d’exploitation sont des hommes, elles sont « régulièrement écartées des droits d’accès à l’usage de la terre ».4Tanguy Martin – Cultiver les communs
Restées, surtout dans les pays du Sud, en contact étroit avec la nature (corvées d’eau, de bois…), elles en sont des observatrices privilégiées, capables de mettre leur vie en danger pour la sauver des assauts dévastateurs de l’industrie, comme les femmes du mouvement Chipko qui en 1973 aux confins de l’Inde et du Tibet ont empêché la destruction de leur forêt en opposant leurs corps à la force mécanique.
Majoritaires dans l’agriculture paysanne des pays pauvres, elles sont animées par des valeurs liées à la nécessité de remplir les assiettes et connaissent le prix de la vie.
La domination masculine dans les familles, les entreprises, la politique révèle certains penchants masculins pour la violence et la guerre, et au-delà conduit à l’accaparement des terres, au productivisme, à la destruction de la biodiversité, au choix de cultures industrielles, à la mainmise des firmes sur la chaîne alimentaire. Ces valeurs dites viriles sont des constructions sociales. Assénées par un capitalisme conquérant et mortifère… Elles ne se répartissent pas selon le genre : si quelques femmes se rêvent en femmes de pouvoir comme les hommes, bien des hommes partagent les valeurs « féminines »… à promouvoir.
Choisir une agriculture nourricière qui rend aux paysan·nes la maîtrise de leur production et leurs responsabilités millénaires de garant·es des équilibres des bioécosystèmes. Créer un droit à l’alimentation effectif et pratiquer la démocratie alimentaire relèvent des valeurs féministes.
La SSA, dans cette perspective, s’inscrit dans un projet féministe et passe par la féminisation des esprits. Se défaire des stéréotypes de domination masculine, profiterait à toutes et tous.
Plus que jamais, affirmons avec Aragon : « la femme est l’avenir de l’homme »
(1) Nicolas Legendre – Silence dans les champs – Artthaud – avril 2023
(2) Pour une sécurité sociale du chômage AC -Syllepse mars 2019
(3) Paul Ariès – Une histoire politique de l’Alimentation – Max Milo janvier 2022
(4)Tanguy Martin – Cultiver les communs –
Notes
- 1Nicolas Legendre – Silence dans les champs – Artthaud – avril 2023
- 2Pour une sécurité sociale du chômage AC – Syllepse mars 2019
- 3Paul Ariès – Une histoire politique de l’Alimentation – Max Milo janvier 2022
- 4Tanguy Martin – Cultiver les communs