Notre camarade Jean-François Le Dizès – bourlingueur militant – a pu se rendre en Syrie. Il a longuement circulé dans Damas. Après un rapide rappel historique, il nous fait partager ses impressions sur la vie quotidienne des habitants de la capitale syrienne. Un récit de voyage en immersion que vous découvrirez ci-dessous.
Syrie : L’après-guerre suite à la Libération
Par Jean-François Le Dizès1Auteur de : Globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes). Mai 2025.
N’ayant pu contacter avant mon départ les autorités syriennes responsables de l’obtention de visas, c’est sans un tel permis que je me suis pointé à la frontière libano-syrienne. Compréhensif, le policier syrien que j’ai vu m’a laissé entrer dans son pays. J’ai ainsi séjourné seize jours à Damas. Si, pour des raisons d’absence de langue commune entre bon nombre de Syriens et moi, mes discussions ont été handicapées, mes nombreuses promenades à pied m’ont permis de voir la vie menée dans de nombreux quartiers.
Des quartiers complètement détruits

En visitant les banlieues de Damas (Douma au nord et Daraya au sud), j’ai été impressionné par les ravages provoqués par l’artillerie et l’aviation de l’armée de Bachar Al-Assad et par l’aviation russe.
Des quartiers entiers sont à terre. Le fait que les châteaux d’eau aient été impactés par des obus montre que l’objectif était de faire souffrir les populations. J’ai aussi pu voir comment les mosquées ont été largement touchées. Les établissements scolaires et sanitaires étaient aussi particulièrement ciblés, m’a-t-on rapporté.
Les murs des constructions restantes sont criblés de balles, probablement tirées de part et d’autre. Ainsi, à Daraya en 2016, il ne restait plus que 4 000 personnes sur les 80 000 habitants de 20122https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/damas/ !
Comment en est-on arrivé là ?
La chute de Bachar Al-Assad

Quand Hafez Al-Assad prit le pouvoir, suite à un coup d’État en 1970, il a pratiqué au début une politique économique socialiste.
Mais, à partir de 1996, il y eut un virage vers le libéralisme économique qui fut funeste aux populations les plus défavorisées. Il faut ajouter à cela les sécheresses qui ont frappé le pays à la fin des années 2000.
Par ailleurs, le régime politique des Assad père et fils était très sévère et n’admettait aucune émergence de courant de pensée hétérodoxe. Cette situation fut fatale, par exemple, à l’imam de Daraya, Abdel Akram Al-Saqqa, tué sous la torture dans les prisons du régime dans les années 2010.
Stimulée par les exemples tunisien et égyptien, la révolution syrienne a émergé après l’annonce des tortures policières subies par 15 adolescents de Draa. Ces actes ont provoqué, dans toutes les villes syriennes, des manifestations de protestation, réprimées dans le sang par les « forces de l’ordre ». On a alors assisté à un engrenage mobilisation-répression.
Mais au bout d’un moment, les armes sont aussi apparues du côté des contestataires pour protéger les manifestants. Cet armement fut l’amorce de l’irruption de l’armée insurrectionnelle qui allait tenir des quartiers entiers, notamment les banlieues de Damas. D’où les bombardements contre celles-ci.
En revanche, Damas intramuros n’a guère été touchée par ceux-ci. Très nombreux ont été les déserteurs de l’armée de Bachar Al-Assad, dont beaucoup d’entre eux ont rejoint l’insurrection.
Pour subsister, le régime des Assad, en plus de la force militaire, employait des méthodes policières de plus en plus générales. Un certain nombre de personnes m’ont dit que, par exemple, à un barrage policier il fallait souvent répondre à un interrogatoire. À cause d’un simple message laissé sur les réseaux sociaux on pouvait voir la police débarquer le lendemain chez soi ! Ainsi s’explique que, dans le classement mondial de « Reporter sans frontière » de 2024 sur la liberté de la presse, la Syrie était classée 179e sur 180 États classés.
De plus, les gens devaient faire face à une corruption extrême : dans le classement mondial de « Transparency International » de 2023 sur le niveau de corruption, la Syrie a été classée 177e sur 180 États classés.
Face aux bombardements, une très grande partie de la population a été obligée de se déplacer en ou hors Syrie : plus de 13 millions de personnes3UNICEF. Aussi, de 2011 à 2016, la population du pays a chuté de 22,9 millions d’habitants à 19,2 millions4https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=SP.POP.TOTL&codePays=SYR&codeTheme=1. L’espérance de vie s’était écroulée, passant de 75,9 ans en 2010 à 55,7 ans en 20145https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/03/16/les-syriens-ont-perdu-20-ans-d-esperance-de-vie-en-quatre-annees-de-guerre_4593255_3218.html.
Le conflit s’est terminé en décembre 2024, suite au lâchage par Poutine de Bachar Al-Assad, dont l’armée a alors subi une débandade face à l’armée rebelle. Le conflit a fait 528 000 morts6https://www.la-croix.com/international/l-observatoire-syrien-des-droits-de-lhomme-une-source-dinformations-incontournable-20250102.
Mais depuis le changement de régime, Israël profite de l’affaiblissement de la défense syrienne pour réduire à zéro celle-ci. J’ai pu voir comment l’aéroport militaire de Mezzeh, situé dans la banlieue de Damas, avait été détruit par l’aviation israélienne.
Quelle est la politique du nouveau régime ?
Quasiment toutes les personnes que j’ai rencontrées m’ont exprimé leur joie de ne plus vivre sous l’étau du régime de Bachar Al-Assad. Elles étaient heureuses de vivre dans une « Free Syria ». Maintenant, on peut en effet s’exprimer librement sans danger d’être arrêté, m’a-t-on dit à de nombreuses reprises.
Le régime d’Ahmed al-Charaa, issu de l’armée rebelle, met du temps à se mettre en action.
Par exemple, la radiotélévision nationale, qui avait été débranchée lors de la chute de Bachar Al-Assad, n’a repris ses émissions qu’en avril. Le nouveau régime a entièrement renouvelé la police. Celle-ci est aujourd’hui constituée de jeunes issus de l’armée rebelle.

Pour éviter les abus, le nouveau gouvernement a fixé un barème pour les minibus, qui sont le principal moyen de locomotion à Damas. Mais dans certains quartiers, notamment dans la « Vieille ville », les rues sont trop étroites pour la circulation automobile. D’où l’usage de la marche à pied qui, d’une manière générale, est bien pratiquée dans les déplacements.
Quelle condition de la femme ?
De tendance islamiste, Ahmed al-Charaa pratique une politique laïque respectant la variété des religions (sunnite, druze, alaouite, chrétienne) et leur pratique, m’a-t-on souvent précisé. D’ailleurs, j’ai pu constater que les habits des femmes, qui sont loin d’être cloitrées chez elles, sont très variés : port du niqab, tête nue ou port du voile avec parfois d’autres vêtements de couleur.
Majoritaires à l’université à raison de 60%7https://www.lorientlejour.com/article/1440466/-la-syrie-nest-pas-lafghanistan-jolani-se-dit-en-faveur-de-leducation-pour-les-femmes.html, les femmes auraient progressé vers leur émancipation en participant, à leur façon, à la rébellion nationale. Cependant, elles restent très peu nombreuses à tenir le volant d’une voiture et encore moins le guidon d’une moto !
Une éducation marquée par la guerre
Selon les endroits, les écoles sont mixtes ou non, les parents ont le choix. Mais l’éducation a beaucoup pâti de la guerre, et ce, d’autant plus que l’aviation ciblait les écoles. Ainsi, en 2023, un tiers de celles-ci étaient hors service8https://www.lorientlejour.com/article/1348240/syrie-rentree-scolaire-sur-fond-de-crise-economique-etouffante.html. De 99% en 2010, le taux de scolarisation primaire n’est plus que de 76% en 20239https://atlasocio.com/classements/education/scolarisation/classement-etats-par-taux-de-scolarisation-niveau-primaire-asie.php. Actuellement, on pratique la « double équipe » ; c’est-à-dire que les enfants n’ont école qu’une demi-journée par jour.
Les déplacements de population et la situation économique des familles sont aussi des freins à la scolarisation des enfants, 90% de la population vivant sous le seuil de pauvreté10https://www.lorientlejour.com/article/1348240/syrie-rentree-scolaire-sur-fond-de-crise-economique-etouffante.html.
J’ai été impressionné par le nombre d’écrivains publics actifs stationnés devant un bâtiment administratif pour aider les personnes qui n’avaient pas la plume facile.
Très peu de Syriens parlent une langue étrangère. À cela, il faut ajouter que, depuis qu’ont été imposées à la Syrie des sanctions économiques internationales, la presse écrite a entièrement disparu pour cause de pénurie de papier. En revanche, à Damas, les petites librairies sont en assez grand nombre.
Une économie à plat

Ces sanctions économiques occidentales – qui, à mon avis, n’ont plus de raison d’être – contribuent à maintenir le pays dans un état de pauvreté.
Les vendeurs informels abondent sur les trottoirs. Constamment, on est sollicité par des mendiants. D’une manière générale, l’économie de Damas est basée sur le petit commerce.
Par ailleurs, les gens se plaignent du manque d’argent et du fait que le travail soit dur à cause d’horaires à rallonge ! Combien de personnes ne m’ont-elles pas demandé sur le ton de la plaisanterie de les emmener en France ?
Les automobiles, assez nombreuses pour occuper les trottoirs, ne sont que des vieilles bagnoles d’occasion, cent fois bricolées. Le réseau électrique ne fournit du courant que quelques heures par jour. Face à cette pénurie, les Syriens ont beaucoup développé individuellement les panneaux solaires sur les toits de leur logement. Dans aucun pays visité, jusqu’à présent, je n’en avais vu tant.
Une écologie ignorée, une santé à vau-l’eau
Il n’y a pas eu jusqu’à présent de politique publique en faveur de l’écologie et de l’hygiène.
Les bus publics sont peu nombreux. Il n’y a plus aucune ligne de chemin de fer.
Comme il n’y a pas de poubelles publiques, les rues sont en fin de journée jonchées de papiers, de plastiques et de mégots. Heureusement qu’il y a de nombreux balayeurs publics.
Par ailleurs, à cause du stress causé par la guerre, m’a-t-on dit, les Syriens fument énormément, presque sans arrêt. L’un d’entre eux m’a confié que ses dépenses de tabac représentaient 30% de son budget. Ce qui a bien sûr une grande influence sur le développement des cancers du poumon.
Si, depuis longtemps, les médecins familiaux sont essentiellement des salariés d’État, les bombardements ciblés des établissements de santé ont réduit les capacités de soin. Du coup, actuellement, la Syrie est au-dessous de la moyenne régionale en ce qui concerne l’espérance de vie : 72 ans contre 72 à l’Irak, 77 à la Turquie et 78 au Liban et en Jordanie11Banque mondiale.
Le jour de mon départ de Damas, profitant d’un incident local entre les communautés sunnites et druzes, l’aviation israélienne a de nouveau bombardé cette agglomération.
Les Syriens vivront-ils un jour en paix ?
Notes
- 1Auteur de : Globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes)
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- 3UNICEF
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- 9
- 10
- 11Banque mondiale