La France lâche des miettes. La Guyane ne lâche toujours rien et reste plus que jamais déterminée.
Après deux semaines de blocages des routes et de grève générale de fait, le mouvement unitaire Pou Lagwiyann décolé, pour que la Guyane décolle, se poursuit et les points névralgiques du territoire restent bloqués.
Alors qu’habituellement « la fusée décolle et la Guyane reste au sol », cette fois-ci c’est l’inverse.
Suite à la première grande marche historique du mardi 28 mars qui a réuni entre 15 000 et 20 000 manifestantes et manifestants dans les rues de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni, le gouvernement est venu discuter en direct avec le collectif unitaire et ses différentes composantes.
Le gouvernement français avait d’abord dit qu’il ne viendrait pas en Guyane et que ce serait aux Guyanaises et Guyanais de venir à Paris. Ceci avait fini de sceller la détermination et l’unité guyanaise face à un pouvoir central méprisant.
Toute la Guyane s’est alors unie, depuis les peuples amérindiens jusqu’au Medef Guyane.
Un week-end de négociations en direct s’en est alors suivi, le gouvernement dépêchant sur place en urgence deux Ministres, celui de l’Intérieur et celle des Outres-mers, qui se sont vu imposés par le collectif la présence des médias en direct lors des échanges avec les représentant.e.s du collectif.
La ministre ‘des Outre-mers’ (pour ne pas dire des colonies) a même dû s’excuser, au mégaphone, depuis le balcon de la préfecture devant la population rassemblée et exigeant cette prise de parole, concernant le mépris dont l’Etat français a jusque-là toujours fait preuve pour la Guyane.
Face à une Guyane levée et fortement mobilisée, de toutes les couleurs et mains dans les mains, le gouvernement a dû annoncer des mesures d’urgence pour 1,085 milliards d’Euros. Mais le compte n’y est clairement pas.
Et si le gouvernement a réussi à faire signer des relevés de conclusions à une série d’acteurs à l’issue des ateliers thématiques organisés au sein de la préfecture le samedi 1er avril, il n’a réussi ni à faire signer « l’Accord de Guyane » qu’il proposait, ni à diviser le mouvement. Même le Medef a dû rester.
Cette unité absolue au sein du collectif s’explique d’abord par la constatation commune de la dette que la France a envers la Guyane (dont l’or est pillé depuis des siècles, pour finir en lingots dans les coffres des banques afin de tenter de sauver un système monétaire européen et mondial à bout de souffle). L’idée générale est qu’il ne s’agît pas de réclamer une aumône à la France, mais un dû.
L’ensemble des acteurs est aussi bien conscient des besoins, loin d’être satisfaits à ce stade, pour la santé et l’éducation notamment (tout le monde y voyant son intérêt, y compris les entrepreneurs qui devront construire des collèges et des lycées), et du fait en outre, que, sans texte d’application, les engagements du gouvernement n’ont à ce stade à peu près aucune valeur engageante pour l’État français.
Le rôle de l’Union des Travailleurs de Guyane (UTG) qui a appelé à la grève générale à compter du lundi 20 mars est aussi très important et déterminant pour la coordination de la plate-forme de revendications unitaires et la définition d’une stratégie commune d’action. Le drapeau guyanais (vert et jaune, avec une étoile rouge en son centre) qui fleurit désormais dans toutes les manifestations et un peu partout est aussi issu de l’UTG et constitue également un symbole d’unité.
L’autre explication de cette unité extraordinaire tient probablement à la présence des « 500 frères ».
Ces hommes et quelques femmes, noirs pour la plupart, cagoulés et vêtus de noir, on clairement contribué à ce que la mobilisation soit visible au-delà de la Guyane, et notamment en France, et qu’elle prenne l’ampleur, la popularité, la détermination, et le caractère unitaire ‘sans faille’ qu’elle a pris.
Le groupe des « 500 frères » s’est constitué en début d’année 2017 «contre la délinquance et trop de violance » et a d’abord porté des revendications sécuritaires et stigmatisantes pour les étrangers sans-papiers (accusés de tous les maux). Mais face aux suspicions, critiques et oppositions exprimées, les 500 frères ont clairement plaidé l’identité multiculturelle de la Guyane à l’issue de la marche historique du 28 mars et ont fortement contribué à généraliser ce message d’une Guyane unie, de toute les couleurs et forte de toutes ses composantes.
Les « 500 frères » qui avaient lancé un appel, visiblement entendu, à ce que cessent immédiatement les tous premiers dérapages du premier soir des blocages routiers (où quelques individus en avaient profité pour raquetter et passer à tabac un automobiliste) ont aussi contribué au caractère déterminé et pacifique de la marche du 28 mars. Ils ont aussi veillé à ce qu’aucun secteur ne négocie en douce.
Il n’en fallait pas davantage pour que ces 500 frères finissent de faire l’unanimité pour eux au sein de la population Guyanaise. Leur popularité est donc immense, et chaque autre acteur le sait.
Il s’est alors établi une forme de pacte, à la limite parfois de l’intimidation, où aucune composante de la mobilisation ne semble pouvoir envisager d’en sortir, sans risquer de s’attirer une critique des 500 frères qui veillent sur cette unité, et donc une impopularité sans limite.
La mobilisation continue donc.
Lors d’une nouvelle marche historique le mardi 4 avril, les Guyanaises et les Guyanais ont osé aller ensemble, au son des tambours amérindiens, sur la route de l’Espace, jusqu’aux grilles du Centre Spatial Guyanais qui constituait jusque là une sorte de tabou depuis l’expulsion des habitants de ce site voici 50 ans.
L’occupation durant 24h d’une des salles du Centre Spatial, par des membres du collectif Pou Lagwiyann Décolé et d’élus (dont un ancien ministre) a également marqué tous les esprits et marque, pour les Guyanaises et les Guyanais un nouvel élément du rapport de force vis-à-vis de la France et de l’Europe. Le Directeur du CSG, puis celui du CNES sont vus comme de possibles émissaires des revendication guyanaise, le mot d’ordre de la mobilisation étant que la fusée ne décollera pas tant que ne sera pas satisfait l’ensemble des revendications unitaires chiffrées à 3,2 milliards € par le collectif et les élus guyanais.
Jeudi 6 avril, l’ensemble des acteurs, y compris le Medef Guyane qui avait pourtant appelé 24h plus tôt (sous la pression du Medef France) à la reprise du travail, a fait part de ses insatisfactions devant les miettes pour l’instant concédées par le gouvernement (à savoir 1,085 milliard, sur environ 5 ans, soit pas plus de 200 millions d’€/an) alors que le collectif revendique, a minima, 3,2 milliards d’€ dès 2017, la reconnaissance d’un nombre importants de droits, et l’évolution du statut de la Guyane.
Il est possible que la mobilisation dure encore des semaines, et de plus en plus de voix évoquent la possibilité d’empêcher la tenue de l’élection présidentielle en Guyane.
Ce pourrait être un nouvel élément important du rapport de force dont dispose la population guyanaise.
Correspondant local.