Un quoi qu’il en coûte très sélectif… aux dépends des plus exploités
La pandémie a mis à jour une crise sociale dont peu mesuraient l’ampleur et la profondeur : des services sociaux, des associations débordées par la demande d’aide d’urgence ont donné à voir cette pauvreté que les médias libéraux et les politiques ne voulaient pas voir – et ne veulent plus voir : c’est pourquoi Mme Borne l’oublie dans son bilan triomphaliste. Personne ne peut dire qu’il s’agit de poches résiduelles de pauvreté dans les quartiers populaires ou de populations à part. Ce sont les limites d’un État social que l’on a trop l’habitude de penser comme une couverture universelle. Par exemple aujourd’hui nous avons deux types d’indemnisation du chômage l’ARE (allocation de retour à l’emploi) d’un côté financé par l’UNEDIC et les dispositifs de solidarité RSA et ASS qui sont en même temps des outils de lutte contre la pauvreté
L’ARE reste un pourcentage de l’ancien salaire. Le décrochage du RSA, ces dernières années, par rapport au SMIC est l’illustration de cette différence : Théoriquement, les allocations chômage ont un plancher1 mais elles sont encore plus basses pour celles et ceux qui ne disposent pas d’un temps complet . L’indemnisation médiane (autour de 1 000€) fait que la moitié des chômeur.euses sont en dessous du seuil de pauvreté ; et ceci laisse de côté les non indemnisé.es soit près de la moitié des chômeur.euses recensé.es officiellement2 … et aussi celles et ceux qui ne sont pas reconnu.es chômeur.es parce qu’ils/elles n’étaient pas salarié.es (Uber, faux indépendants externalisés, micro-entrepreneurs…).
L’ensemble des situations de sous-statut salarial représente aujourd’hui près d’un tiers de la population active (chiffre proche de celui des pauvres au sens de l’Insee).
Et Mme Borne, au nom de son refus de « l’assistanat », a toujours freiné les velléités de celles et ceux qui souhaitaient accorder le RSA aux plus jeunes actifs et actives : voilà qui en dit long sur sa capacité à lutter contre la pauvreté.
Les « très bons chiffres » de Mme Borne sont aussi sélectifs
À l’heure du bilan, Mme Borne ne se prive pas de se targuer d’une nette baisse du nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi, malgré la crise sanitaire du Covid.
Ces bons chiffres s’expliquent par un financement quasi intégral de l’apprentissage de la part du gouvernement, qui a permis l’explosion du nombre d’apprentis3.
L’INSEE s’en tient à une conception restreinte du chômage, réduite à celles et ceux qui ne travaillent pas du tout (catégorie A). La baisse est divisée par deux quand on compte les autres catégories de chômeur.euses : les emplois précaires car l’emploi précaire remplace le chômage à temps complet. Les précaires s’enfoncent dans la précarité.
S’il y a une petite majorité d’embauches en CDI, les statistiques ne précisent pas s’il s’agit de temps plein ou de temps partiels ou très partiels : plus de précarité, plus de travailleur.euses pauvres là encore.
L’année 2020 a été une « année record » dans la création d’entreprises4 mais les micro entrepreneurs font les 2/3 des entreprises individuelles. Combien ont retrouvé un emploi ainsi ? Quelle est la viabilité des ces emplois ? Près d’un quart sont dans les transport avec le modèle UBER qui prive de garanties sociales en donnant l’illusion de la liberté.
Enfin il faut noter la progression des radiations qui s’accroissent d’un tiers et de la cessation/désinscription pour défaut d’actualisation : ces 2 motifs de baisse du chiffre du chômage représentent 2 fois plus que les sorties pour reprise d’emploi déclarée5.
Derrière l’euphorie officielle, le mal emploi se maintient à un niveau élevé et renforce les inégalités : l’emploi continue de se « fissurer » entre « des instables », qui « alternent entre CDD et intérim » et « des salariés qui occupent des emplois stables ».
Réforme de l’assurance chômage ? Non : chasse aux chômeurs !
Élisabeth Borne ne cachait pas en privé le peu de considération qu’elle portait à la première version de Muriel Pénicaud. La réforme qu’elle est finalement parvenue à faire passer est pourtant sévère pour bon nombre de demandeurs d’emploi.
La réforme de l’assurance chômage est une expérimentation et un premier pas décisif pour eux dans la remise en cause de la protection sociale : le petit milliard d’économie sur le dos des précaires n’est rien à côté du coût du contrôle ou du transfert sur les fonds d’indemnisation du coût de Pôle Emploi ou du chômage partiel. Principales mesures :
– réduction du droit à l’indemnisation (augmentation de la durée de travail nécessaire pour avoir une alloc
– réduction du montant des alloc par un nouveau mode de calcul de celles ci (1,2 millions de personnes vont perdre 27 % et jusqu’à 40%)
– durcissement des sanctions qui peuvent désormais êtres prises par Pôle Emploi sans aucun recours aux juges (qui désavouaient trop Pôle Emploi) : suspension et suppression des allocations
Tout ceci vise à faire accepter le choix de la contrainte vis à vis des précaires pour leur faire accepter n’importe quel emploi et continuer la pression sur tous les salaires en maintenant la concurrence des pauvres et des précaires. La réforme de l’assurance chômage est une expérimentation et un premier pas, décisif pour le gouvernement, dans la remise en cause de la protection sociale : elle est un maillon faible lié à l’isolement, la coupure des chômeur.euses du salariat « occupé ».
Mais c’est aussi une réponse à ce qu’on peut appeler « la grève des travaux des inscrits sur la liste des Demandeurs d’Emploi gratifiants » : dans un certain nombre de secteurs (Hôtellerie-restauration, événementiel ..) et d’emplois, les salariées ont « expérimenté » d’autres choses et refusent de reprendre comme dans le monde d’avant : les journaux TV sont plein des lamentations de pauvres patrons qui ne retrouvent pas leurs salarié.es. Pour Borne la cause de ces emplois non pourvus réside dans le dysfonctionnement d’une assurance chômage trop favorable.6
Voilà le bilan de Madame Borne qui se dit « de gauche » mais reprend dans ses actes et ses discours une politique antisociale qui frappe d’abord celles et ceux qui ont le plus de difficulté.
Etienne Adam, animateur de la commission « chômage précarité pauvreté » d’Ensemble!, collectif Ensemble ! 14-61
inscrits sur la liste des Demandeurs d’Emploi Que nous disent Borne, ses fonctionnaires et ses économistes pour justifier la réforme ?
1 877 euros
2 Inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi
3 480 000 contrats fin 2019 à au moins 900 000 deux ans plus tard
4 84300
5 On peut s’interroger sur la pertinence de statistiques quand une catégorie aussi floue que la cessation d’inscription représente 40 % des sorties : Pole Emploi répond que pour une part il s’agit de reprises d’emploi non déclarées mais se refuse à clarifier ces statistiques : combien de personnes découragées ou d’erreur par rapport à celles qui ont retrouvé un emploi ? Combien sont victimes des erreurs de Pôle Emploi ?
6 Que nous disent Borne, ses fonctionnaires et ses économistes pour justifier la réforme ?
► il faut réformer car les contrats court ont explosé (+250%)
Faux : ils ont augmenté en 10 ans de 150 % mais la part des contrats courts dans les embauches baisse depuis 6 ans et ils ne représentent que 1 %
► ce seraient deux conventions de l’assurance chômage qui expliqueraient « l’explosion » de la précarité : 2009 et 2014
Faux : La part des contrats courts s’est stabilisée à partir de 2009 et baisse à partir de 2014 !
► les employeurs feraient des contrats courts parce que c’est plus facile et moins cher
Vrai et faux : certes il y a des abus d’usage pour celles et ceux qui sont presque tout le temps réembauché.es pour un autre contrat court, mais dans des secteurs avec des conditions de travail dégradées, ils servent à boucher les trous de salarié.es épuisé.es (dans le social et médico-social par exemple). Sur 10 ans la croissance est aussi liée aux mesures pour lutter contre le travail au noir.
► des précaires utilisent les contrats courts pour ne travailler que le strict nécessaire pour toucher des allocs
Faux : 1/3 des contrats de -1 mois ne sont pas inscrits comme demandeurs d’emploi et pas indemnisés (sans-droit, non-recours, méconnaissance…)1/3 des demandeurs d’emploi en activité sont indemnisés, et seulement une partie est en contrat court. Les « fameux permittents » qui mettent à mal l’UNEDIC, – 7 % des salariés en contrats courts -, et se cantonnent à des secteurs spécifiques ; et même ceux-là travaillent plus pour essayer de décrocher des emplois, les indemnités ne sont là « que pour compléter leur rémunération entre deux contrats. L’existence de l’allocation est rarement une raison de refus d’emploi » (Grégoire et Vives note du centre d’études de l’emploi)
Il suffit de lire ces études et enquêtes de terrain (Dares, CE de l’emploi, LEST de l’université Aix-Marseille,Que nous disent Borne, ses fonctionnaires et ses économistes pour justifier la réforme ?
labo IDHE-S de Nanterre. Pour en savoir plus : https://idhes.parisnanterre.fr/publications/emploi-discontinu-et-indemnisation-du-chomage-quels-usages-des-contrats-courts pour qu’apparaisse l’escroquerie intellectuelle de ce gouvernement pour servir un appauvrissement des chômeur.euses.