Alors que la France est secouée par des violences policières à répétition, touchant avant tout les racisé.e.s dans les quartier populaires, mais aussi des militant.e.s écologistes et des opposant.e.s à la loi travail récemment, les gouvernements européens et leurs polices ont d’autres priorités. Les 21 et 22 février le Congrès européen de la police a eu lieu à Berlin. Organisée par une entreprise privée, il s’agit d’une rencontre centrale pour les élites de la politique et de la police (y compris du syndicat de police), des hauts fonctionnaires et des entreprises de la sécurité et des technologies de l’information. Avec une clarté rare ce congrès expose les liens organiques entre les politiques autoritaires, de plus en plus répandues en Europe comme en France avec l’état d’urgence, et les intérêts capitalistes.
Depuis 20 ans ce congrès européen invite environ 1500 participant.e.s soigneusement choisi.e.s à Berlin. Sous le titre „L’Europe sans frontières ? Liberté, mobilité, sécurité“ les représentant.e.s de l’ordre établi débattent de leurs problèmes de sécurité les plus importants. Afin de clarifier les enjeux les organisateurs ont mis en place une liste de priorités : le terrorisme, la violence d’extrême-gauche, les crimes contre la propriété privée et le cybercrime1. Grâce à cette liste on peut facilement déduire qui fait partie (ou pas) des cibles de la politique de sécurité. Et grâce à la liste des intervenant.e.s on peut établir quelles organisations politiques et bureaucratiques partagent ce point de vue. Parmi les invité.e.s politiques on trouve par exemple le ministre de l’intérieur allemand Thomas de Maizière (CDU, parti conservateur) ou encore Dimitris Avramopoulos (Commissaire européen aux affaires intérieures et ancien ministre conservateur en Grèce). Du côté des professionnels du maintien de l’ordre figurent notamment Guillaume Poupard, le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information en France, le directeur de Frontex Fabrice Leggeri et les directeurs de la police de plusieurs pays européens.
Outre les crimes contre la propriété privée le fil rouge du congrès est tracé par le couple terrorisme et migration. Le texte d’invitation au congrès annonçait en quelque sorte la couleur en précisant l’importance des « flux de réfugiés » et du « danger terroriste latent ». On pouvait accorder aux organisateurs le bénéfice du doute quant aux liens sous-entendus entre les réfugié.e.s et le terrorisme dans le texte d’invitation. Or, les interventions sur les techniques de lutte contre le terrorisme – d’ailleurs une séance a spécifiquement porté sur les apports de l’antiterrorisme israélien – ont mis l’accent sur la criminalisation des réfugié.e.s et des immigré.e.s. A titre d’exemple Thomas de Maizière a insisté pendant son discours sur la nécessité de fouiller les téléphones portables des réfugié.e.s, niant donc la présomption d’innocence, qui est pourtant un élément central de l’Etat de droit libéral. Les experts intervenant lors du congrès ont par ailleurs explicité les bienfaits de l’utilisation de données de masses ou encore de l’identification de visages à l’aide d’outils sophistiqués qui facilitent la surveillance des individus, des espaces publics et des frontières étatiques – sous couvert de lutte contre le terrorisme, bien entendu.
Bien que les techniques de surveillance ciblent en premier lieu la liste des priorités mentionnée, des outils politiques comme l’état d’urgence permettent facilement d’étendre leur usage et de généraliser le soupçon. Concrètement cela signifie, d’après les experts du congrès, que l’enregistrement de données, comme des appels téléphoniques et des échanges d’e-mails, facilite la création de profils de personnalité et de mobilité et permettent de retracer l’environnement social des personnes concernées. Le rôle indispensable des technologies saute aux yeux. De plus, aujourd’hui la vente de données personnelles à des fins publicitaires, que les réseaux sociaux collectent, représentent un marché considérable. Les politiques autoritaires font donc le bonheur des services de collecte de données et du secteur des technologies de surveillance. Sans surprise un centaine d’entreprises de ces secteurs ont exposé leurs technologies, logiciels, applications et armement pour la police lors du congrès. A titre d’exemple IBM a fait la publicité de son « analyse intelligente de vidéos » et de son « identification vocale et faciale automatique », Microsoft a fait la promotion de ses « partenariats industriels pour une Europe en sécurité », l’entreprise israélienne Cellebrite a présenté son logiciel d’extraction de données de téléphones portables, juste à côté du géant britannique de la télécommunication Vodafone, et des multinationales françaises comme Capgemini et Alcatel ont également participé.
Le mélange de responsables politiques et administratifs et d’entreprises montre que la frontière n’est pas étanche entre l’utilisation de données et de technologies pour extraire du profit et leur utilisation à des fins répressifs. Au contraire, il existe un continuum entre les deux, et donc une continuité entre politiques autoritaires et intérêts des entreprises capitalistes. L’utilisation de technologies dans la vie quotidienne facilite la violation de la vie privée avec des outils sophistiqués, ce qui soumet tout le monde à la surveillance. Toutefois, cela ne doit pas cacher l’existence de politiques ciblant des catégories particulières de la population. Face à la tenue du Congrès européen de la police Die Linke a souligné la nécessité de démocratiser et de désarmer la police, au lieu de supprimer des libertés fondamentales. Cela passe notamment par l’interdiction du gaz lacrymogène et du taser. De plus, Die Linke affirme que les conflits sociaux ne peuvent pas être résolus par la répression. Dans le cadre des actions contre le congrès de la police un manifestation a réuni 600 personnes le samedi 18 février – cette manifestation a d’ailleurs exigé justice pour Théo.
Ed Ouri
1http://www.european-police.eu/. La liste mentionne aussi les incendies contre des centres d’accueil de réfugiés mais le rapport aux réfugié.e.s des organisateurs est très ambigu.