Depuis des mois, et dans une indifférence quasi générale, les Kurdes de Syrie, mais aussi ceux d’Irak subissent les agressions incessantes de l’État Turc. Ces frappes criminelles, outre évidemment les pertes humaines, sont également une menace pour le Rojava qui s’efforce de construire un avenir durable en développant une approche novatrice en matière d’écologie.
Le peuple kurde est, lui aussi, victime de massacres
Par Gilles Lemée. Le 22 janvier 2024
Depuis des mois, et dans une indifférence quasi générale, les Kurdes de Syrie, mais aussi ceux d’Irak subissent les agressions incessantes de l’État Turc (sans parler évidemment des Kurdes de Turquie eux-mêmes).
Des frappes aériennes
L’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES qui administre le Rojava) relate qu’entre le 5 et le 9 octobre dernier, l’armée turque a mené des opérations massives dans ces régions − 580 frappes aériennes et terrestres ont été dénombrées −, faisant des dizaines de morts dans la population civile et détruisant systématiquement non seulement les infrastructures qui permettent d’alimenter en eau et en électricité des millions de personnes, mais aussi des écoles et des bâtiments administratifs.
La Turquie lance des frappes de drones sur les zones proches de la frontière du nord et du nord-est de la Syrie, ciblant les infrastructures et les zones d’habitations civiles.
Les 13 et 14 janvier (pour ne parler que des raids les plus récents) les bombardements turcs ont fait des victimes civiles et militaires et ont mis hors service sept centrales électriques du nord de la Syrie, laissant dans le noir et le froid des millions de civils.
Les frappes aériennes turques ont visé à deux reprises la ville kurde de Kobanê (haut lieu de la résistance kurde contre Daesh), privant d’électricité tout le canton.
On pourrait hélas multiplier les exemples (frappes contre les centrales électriques de Ain Issa : 150 villages privés d’électricité ; contre la centrale de Qamishlo : 60 % de la population sans courant, etc.…). Une frappe a visé l’usine à gaz de Sweidiya, dans la campagne de Derik.
Les frappes aériennes turques sur les centrales électriques qui alimentent les puits provoquent des coupures d’eau. De nombreux puits d’eau sont à l’arrêt. À Amuda, neuf puits d’eau sur 16 sont devenus inopérants. Les stations d’eau de Tirbespiyê et de Derik, ainsi que trois stations de Qamishlo, ont été mises hors service suite aux bombardements turcs ciblant les infrastructures vitales de la région. Et là aussi les exemples pourraient être multipliés.
Ces frappes criminelles, outre évidemment les pertes humaines, sont également une menace pour le Rojava qui s’efforce de construire un avenir durable en développant une approche novatrice en matière d’écologie : méthodes agricoles respectueuses de l’environnement telles que l’agroécologie et la permaculture, la promotion des énergies renouvelables, une gestion durable des ressources naturelles en développant des projets solaires et éoliens. Enfin, un effort est fait pour la sauvegarde des forêts en mettant en place des mesures de protection et de reforestation (projet « Tresse verte »).
Des membres du Hamas transférés en Syrie
Enfin, ultime méfait de l’agression, selon l’agence Hawar News, depuis le 20 octobre, des milliers de membres du Hamas expulsés de Gaza ont été amenés à Kilis et Gaziantep (Dîlok), en Turquie, et de là vers les zones occupées par la Turquie en Syrie, notamment dans des camps installés dans les villes d’Afrin et d’Al Bab. Il est vrai que l’islamiste Erdoğan, fervent soutien du Hamas, se vit aussi en commandeur des croyants !
La Turquie a reconnu ouvertement et officiellement que l’objectif de ces attaques était la destruction des infrastructures civiles, ce qui constitue un crime de guerre au regard du droit international. Malgré cela, les puissances internationales restent totalement silencieuses.
Face à cette situation, Shilan Turgut (porte-parole de la cause kurde aux nations unies) a déclaré au mois de décembre dernier :
« Nous appelons l’ONU à s’opposer fermement à l’utilisation d’armes contre des civils, que ce soit par un État ou une milice. Nous plaidons en faveur d’une présence onusienne sur cinq ans, garantissant neutralité et protection contre les attaques de la Turquie. Nous réclamons également la mise en place d’une « no flight zone » au-dessus du Rojava, afin de protéger la vie des civils innocents pris au milieu de cette crise ».
Et de son côté, L’AANES « exhorte toutes les parties prenantes en Syrie, les institutions des Nations unies, le Conseil de sécurité des Nations unies et les organisations de défense des droits de l’homme à adopter une position ferme contre les actions menées par la Turquie ».
Des dizaines de milliers d’opposant·es politiques emprisonné·es
Pendant ce temps, de l’autre côté de la frontière, plusieurs dizaines de milliers d’opposant·es politiques, surtout kurdes, et principalement des femmes – dont des députées et des mairesses -, sont enfermé·es dans les prisons du régime autoritaire turc qui veut étouffer toute voix de paix.
Le gouvernement turc alimente volontairement la colère des Kurdes en maintenant Abdullah Ocalan, leader du mouvement kurde qui avait joué un rôle capital dans les négociations de paix en 2013 et 2015, en prison depuis 1999 dans un isolement total, sans signe de vie depuis trente mois.
De même, le procès (pour « terrorisme » évidemment) de Salahattin Demirtaş (ex-coprésident du parti HDP -Parti de la Démocratie du Peuple) vient de débuter alors qu’il est en prison (sans jugement) depuis novembre 2016 !
Exactions turques dans le nord de l’Irak
La Turquie poursuit également ses exactions dans le nord de l’Irak. Elle lance des frappes contre des cibles au Kurdistan irakien, qu’elle dit être affiliées au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Elle a récemment ouvert une nouvelle base militaire dans la ville de Durok et ses frappes aériennes se déploient jusqu’à 90 km à l’intérieur du Kurdistan d’Irak.
Le ministère de la Défense a déclaré que des avions de combat avaient détruit des grottes, des bunkers, des abris et des installations pétrolières « pour éliminer les attaques terroristes contre notre peuple et nos forces de sécurité… et pour assurer la sécurité de nos frontières. ». Le communiqué ajoute que « de nombreux » militants ont été « neutralisés » lors des frappes.
L’État turc a construit des dizaines de bases militaires uniquement dans la région du Kurdistan grâce à la coopération du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) qui est aux manettes dans le Gouvernement Régional du Kurdistan d’Irak et entretien des liens économiques étroits avec la Turquie.
Il a augmenté sa présence militaire dans le sud du Kurdistan plus que jamais ces dernières années et maintien des dizaines de bases d’où décollent hélicoptères et drones pour des vols d’attaque. Des milliers de soldats turcs sont stationnés dans la région du Kurdistan irakien. En 2019, une révolte de la population contre la présence turque a été violemment réprimée (plusieurs dizaines de morts).
Le tableau est donc éloquent. Erdoğan mène sa politique dévastatrice et génocidaire contre le peuple Kurde en toute impunité. Les gouvernements occidentaux sont muets face à ses exactions (à l’intérieur comme à l’extérieur).
À nous de faire pression sur eux pour qu’ils interviennent auprès des autorités turques beaucoup plus fermement que par des appels « à la modération » qui sont évidemment sans effets puisque non assortis de sanctions. C’est notre devoir d’internationalistes