C’est un classique. Pour reprendre la main lorsque rien ne va plus, il suffit de trouver un ennemi commun qui fait bien peur. Il est maintenant évident que ce gouvernement essaye encore de « surfer » sur l’effet « 11 janvier » et les odieux attentats contre Charlie et l’hyper-Casher. Les indicateurs de popularité, que notre président et son Premier ministre surveillent quotidiennement, étaient alors un peu remontés. Comme Bush au lendemain du 11 septembre, François Hollande, utilisant l’inquiétude ressentie, se devait de nous faire une version française de la loi « Patriot Act ».
Ce n’était d’ailleurs pas autre chose que ce que la droite souhaitait. Le Monde rappelait dans un de ses nombreux articles sur le sujet un tweet de Valérie Pécresse daté de ce 11 janvier : « Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française. Il faut une réponse ferme et globale ». Rien de moins. Toujours donner plus de gages à la droite même quand elle se « brunit ». Parmi les victimes toutes désignées à immoler sur l’autel du discours sécuritaire, l’internet est un choix adapté. Il est très facile de stigmatiser internet. Comme les bandits du moyen âge à l’ombre des arbres de la bien nommée forêt de Sherwood, les terroristes peuvent se tapir derrière une adresse IP dans le dédale de la toile.
Le réseau internet serait donc, comme les bois dangereux, criminogène et il faudrait y mettre un peu d’ordre. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve se sont mis à la tâche, avec aux manettes le député socialiste Jean-Jacques Urvoas. Un projet de loi « Renseignement » a été présenté en conseil des ministres le 19 mars dernier et a rapidement provoqué une massive levée de boucliers des associations de défense des libertés, de magistrats et de policiers, de professionnels d’internet, etc. Le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) avait même pointé les menaces de ce projet sur les libertés individuelles. Un temps, on avait espéré un adoucissement du texte d’origine lors de son examen par la commission des lois de l’Assemblée. Il n’en fut rien, le texte à l’issue des discussions s’est encore durci.
Les dispositions inscrites dans ce projet de loi Renseignement sont envisagées depuis longtemps. Les attaques terroristes du mois de janvier n’ont servi que de prétexte. Ce projet a d’ailleurs vocation à prolonger et compléter la loi de programmation militaire (LPM) de décembre 2013 qui donnait déjà des moyens supplémentaires aux services spéciaux. Selon Médiapart : « La philosophie de ces deux textes est identique : ‘légaliser’ des pratiques déjà existantes au sein des services, en échange d’un encadrement de celles-ci, et leur offrir de nouveaux outils leur permettant de mieux surveiller Internet, présenté comme le lieu de recrutement et d’organisation des terroristes. »
Regardons ce que les opposants à ce projet en disent :
Le syndicat CGT des personnels de la Police Nationale nous explique que ce texte c’est « la liberté d’être surveillé et de ne plus manifester ! » Il enfonce le clou : « La peur… est un outil incroyablement puissant. Les récents attentats terroristes ont exacerbé ce sentiment, donnant ainsi la possibilité à nos gouvernants de proposer une loi qui, sous couvert de mieux protéger contre le terrorisme, va en réalité être une des plus liberticides jamais votées depuis celle sur l’état d’urgence. » Ainsi la CGT-Police, « demande l’abandon de cette loi telle qu’elle a été présentée. »
Dans un communiqué de presse commun, Privacy International, Amnesty International, la FIDH, la Ligue des droits de l’Homme et Reporters sans frontières « font part de leur vive inquiétude face aux pouvoirs de surveillance accrus dont devraient bénéficier les agences de renseignement, comme le prévoit un projet de loi qui sera présenté au Parlement français … La nouvelle loi prévoit en effet que les agences de renseignement françaises seront autorisées à pirater les ordinateurs et autres appareils, et pourront espionner les communications de toute personne ayant été en contact, même par hasard, avec une personne suspecte. Le projet de loi prévoit en outre que les agences de renseignement pourront réaliser ces opérations sans devoir obtenir d’autorisation judiciaire. »
L’Observatoire des Libertés et du Numérique (qui regroupe le Cecil, Creis-Terminal, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des Avocats de France et La Quadrature du Net) nous explique pour sa part : « Au prétexte de la lutte légitime contre le terrorisme, le projet déborde largement hors de ce cadre. Il prévoit que les pouvoirs spéciaux de renseignement pourront être mis en œuvre pour assurer, notamment, ‘la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique’. Au nom de la lutte contre le terrorisme, ce sont les mouvements de contestation sociale qui pourront faire l’objet de cette surveillance accrue. L’ensemble des citoyens constituera ainsi la cible potentielle du contrôle, à rebours de ce qui est affirmé. »
Laurent Chemla, un professionnel du réseau internet, s’adresse dans une lettre ouverte publiée dans Médiapart, aux parlementaires qui vont « bientôt voter d’une seule voix le projet de loi sur le renseignement présenté par le gouvernement ». Il les invite à ne pas le faire puisque ce texte est liberticide et que « de partout, les mises en garde affluent, que le New York Times fait sa Une sur « La France, État de surveillance », que le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’inquiète de la dérive sécuritaire liberticide que cette loi implique, et que même le président de l’actuelle commission de contrôle des interceptions de sécurité dénonce la faiblesse des garanties qu’apporte ce texte ».
Le réseau internet intègre un formidable potentiel, qui pour l’instant n’est que trop souvent exploité aux seules fins marchandes. Là encore, il ne faut pas laisser le pouvoir au système néo-libéral, il ne faut pas laisser croire que la « toile » ne serait qu’un repère de méchants (même s’il ne faut pas se voiler la face quant quant aux utilisations frauduleuses), il ne faut pas laisser supposer que le prix à payer passerait par une limitation de nos libertés individuelles. Il faut constamment avoir en référence l’article 1er de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés qui nous dit : « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. »
Ne laissons pas le projet de loi « Renseignement » mettre fin à des libertés fondamentales. Les parlementaires attachés aux valeurs républicaines ne peuvent adopter ce texte liberticide qui surfe sur la légitime inquiétude liée à la montée des actes terroristes. On sait bien que ce qui est en ligne de mire c’est la répression des mouvements sociaux, la mise au pas d’internet. On est bien loin des actions contre le terrorisme.
René Durand