Dimanche 4 septembre, Chinois et Français d’origine chinoise vont descendre massivement dans la rue pour manifester contre la multiplication des agressions à leur encontre. Déjà, le 21 août, plus de 2000 personnes, en très grande majorité des Chinois ou des Français d’origine chinoise, ont manifesté à Aubervilliers pour exprimer leur colère suite à la mort de M. Zhang Shaolin, mort de ses blessures après une violente agression pour vol à Aubervilliers.

Les vols avec violence contre des Asiatiques vivant ou travaillant à Aubervilliers ou à la Courneuve auraient triplé depuis un an. Cette triste réalité ne date pas d’hier. En 2010 et en 2011, il y avait déjà eu une vague de mobilisations des Asiatiques dans le quartier de Belleville (Paris), suite là encore à une série de violentes agressions pour vols.

«Ce que l’on redoute, c’est que les agressions tournent au conflit communautaire. »
Faut-il reprendre pour Aubervilliers l’analyse du journal Marianne qui assimilait les tensions à Belleville en 2010 et en 2011 à un « conflit inter ethnique »1 ? A l’époque, Marianne avait titré sur les tensions en 2010, « Belleville : Chinois contre Africains » (25/06/2010)  et avait repris la même thématique en 2011 « Belleville : Chinois contre Africains, saison 2 ! » (23/06/2011).

Aubervilliers, Belleville, ce sont avant tout des territoires populaires, touchés de plein fouet par la crise où parfois, dans un contexte de recul des luttes collectives, les logiques de chacun pour soi peuvent l’emporter sur les dynamiques de solidarité.

Evidemment, dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’il y ait une augmentation des vols et des agressions. Mais la particularité de la situation, c’est  que les Asiatiques semblent être victimes d’un « ciblage particulier ». Meriem Derkaoui (PCF), la maire d’Aubervilliers, confirme : « Il est clair que certains voyous s’en prennent précisément à la communauté asiatique.» 2 Est-ce parce qu’ils sont victimes de stéréotypes en partie racistes qui leur « collent à la peau » ?

Olivier Wang, élu PS à la mairie du 19ème à Paris, un responsable de l’Association des Jeunes Chinois de France semble le penser : « Dans l’imaginaire commun, les Chinois se baladent avec beaucoup de liquide, et ne portent pas plainte. Du coup, ils se disent que nous sommes des cibles faciles ». 3

Ya-Han Chuang (sociologue spécialiste du phénomène migratoire chinois) en dit un peu plus. Pour elle, les Chinois auraient « d’un côté, l’image positive d’une « minorité modèle », celle qui travaille dur, qui s’en sort, qui est donc souvent perçue comme privilégiée par rapport au reste de la population ; d’un autre côté, de manière plus péjorative, ils sont aussi perçus comme une « minorité silencieuse », discrète, timide, qui ne se plaint pas et qui vit entre elle »
Et, ce qui rend la situation encore plus explosive, c’est que ce sont d’autres habitants des quartiers populaires, souvent noirs ou arabes, qui seraient les auteurs des agressions pour vols. Aux clichés sur les Asiatiques répondent ceux sur les Noirs et les Arabes, forcément délinquants et voleurs.« Ce que l’on redoute, c’est que les agressions tournent au conflit communautaire. Il ne faudrait pas que la communauté asiatique, jusque-là très coopérative, en vienne à se rebeller ou à pointer du doigt d’autres communautés », analyse Meriem Derkaoui, la maire d’Aubervilliers. 4

De fait, c’est déjà en partie le cas dans une situation où les Asiatiques se sentent abandonnés par les autorités et ignorés par le reste de la société française.

Ce sentiment d’abandon et d’exclusion est très fort dans la communauté chinoise. « Quand un Chinois meurt, tout le monde s’en fout. Personne ne se sent concerné. Les Chinois, même s’ils sont nés ici, ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière ». (Ruyi Wang président de l’AJCF )5

Qu’on le veuille ou non, on assiste à une racialisation des difficultés et des tensions sociales et économiques. Et il devient urgent de casser cette dynamique.

Cette situation est du pain béni pour les racistes de tous poils qui cherchent à opposer bons et mauvais immigrés et à jouer clichés contre clichés ; « d’un côté les Asiatiques bien intégrés et forcément travailleurs même s’ils restent un peu trop entre eux et de l’autre, les Arabes et les Noirs, qui refusent de s’intégrer et qui agressent et volent ».
« Les Républicains » et le FN cherchent à imposer leur grille de lecture raciste des tensions actuelles pour récupérer politiquement la mobilisation des Asiatiques à leur profit .

Sarkozy, en 2010 lors du nouvel an chinois, n’avait pas manqué l’occasion de le faire, en plein débat sur l’identité nationale. Il avait félicité les Asiatiques d’être « des modèles d’une intégration réussie » et « de s’approprier les valeurs de la République par l’école, par le travail ».
Pour Sarkozy comme pour d’autres, les « compliments » empoisonnés faits aux Chinois dissimulent à peine une critique violente contre d’autres racisé-es (Arabes, Musulmans, Noirs ou Rroms….), considérés eux comme des mauvais élèves de l’intégration…

Mais même complimentés, les Chinois restent englobés, au même titre que les autres racisés, dans une même injonction raciste à l’intégration. Les enfants des immigrés chinois qui sont nés et ont grandi en France ne sont jamais considérés simplement comme français et citoyens de ce pays au même titre que la plupart des blancs de ce pays. Ils devront forcément être travailleurs, discrets et continuer à s’approprier de manière appliquée les valeurs de la République pour mériter leur titre de bien « intégrés ». Bref, ils sont racialisés comme les autres.

Le racisme anti chinois, un racisme systémique qui vient d’en haut
Ne nous y trompons pas, le racisme anti chinois, s’il peut exister dans les quartiers populaires, est d’abord structuré et vertébré par un racisme venu d’en haut. Les discours et les clichés véhiculés sur les Chinois sont de véritables assignations identitaires.

L’immigration chinoise étant relativement récente, il y a encore un fort entre soi économique qui alimente et qui s’entremêle forcément avec un entre soi social et politique. Sauf qu’il ne faudrait pas confondre ici les causes et les conséquences. Ce n’est pas d’abord l’entre soi ou une certaine forme de « communautarisme » qui produit un isolement social et politique, c’est au contraire cet isolement qui produit de l’entre soi. Cet entre-soi est d’abord une solution de survie pour des immigrés chinois. Confrontés au racisme majoritaire de la société française, les Chinois sont souvent contraints de se spécialiser dans des activités où ils sont tolérés et où ils peuvent faire jouer les réseaux d’entre aide pour compenser les discriminations au travail ou au logement dont ils sont victimes.

Pour comprendre les dynamiques racistes à l’œuvre dans la société française, il faut commencer par arrêter de considérer le racisme comme simplement une juxtaposition d’opinions et/ou actes individuels qui contamineraient le corps social. D’une certaine manière, c’est presque le contraire. Le racisme est d’abord systémique  c’est-à-dire qu’il est produit par un ensemble de rapports sociaux, de règles, de règlement et de lois qui créent une hiérarchie sociale et alimente des représentations et des opinions individuelles.

Le droit des étrangers par exemple est une véritable machine à produire du racisme.  Toute une partie des Chinois sont maintenus dans une situation de précarité extrême depuis des années et sont obligés pour survivre de se cantonner à certaines activités et à vivre cachés.

Ces Chinois sans-papiers, quand ils sont victimes d’agression, n’iront pas pour la plupart se jeter dans la gueule du loup en allant porter plainte dans un commissariat. Surtout que leur vie dans la clandestinité les empêche d’apprendre le français et rend tout contact avec l’administration quasi impossible. Evidemment,  les agresseurs connaissent ces difficultés à porter plainte et ciblent une population qui a très peu de moyens légaux de se défendre contre les agressions.

Les tensions pouvant exister dans les quartiers sont donc le produit du fonctionnement particulier de la société française. Et si racisme il y a, il est d’abord le produit d’une dynamique globale à l’échelle de la société française.

L’urgence, c’est la construction de solidarités sociales et politiques avec les Asiatiques
Il y a évidemment nécessité de construire des solidarités dans les luttes comme dans la vie de tous les jours.
En 2010 et en 2011 à Belleville, puis aujourd’hui en 2016 à Aubervilliers, des Chinois et des Français d’origine chinois se sont mobilisés massivement contre la multiplication des agressions mais aussi contre l’indifférence du reste de la société. Régulièrement, les sans-papiers chinois se mobilisent pour réclamer leur régularisation. Le tissu associatif asiatique se renouvelle et évolue au travers de ces différentes mobilisations. Aujourd’hui, les mobilisations sont moins « communautaires », plus autonomes par rapport à l’ambassade de Chine et à l’Etat chinois tout en maintenant leur volonté d’autonomie par rapport aux partis politiques. Et certaines associations et collectifs chinois qui structurent les mobilisations depuis 2011, comme l’Association des Jeunes Chinois de France ou l’association « Chinois de France Français de Chine », cherchent aussi à construire des liens avec au moins une partie du mouvement social.
Cette situation est d’abord la conséquence directe d’une maturation politique dans les mobilisations sociales des Asiatiques depuis 2010, des mobilisations qui ont aussi forcé les collectivités locales et l’Etat à écouter davantage les revendications de ces populations.

Le 4 septembre, ces associations organisent avec d’autres une grande manifestation suite à l’agression et au décès de Zhang Shaolin pour demander des caméras de surveillances supplémentaires, des effectifs policiers supplémentaires à Aubervilliers, La Courneuve, Saint-Denis, et Pantin, un vrai travail de prévention sur le terrain …
On peut être dubitatifs sur la place prise par la question sécuritaire (plus de policiers, plus de caméras) dans les revendications. Mais, c’est d’abord le produit d’un isolement social et politique des Asiatiques qui considèrent, pour certains d’entre eux au moins, que dans leur situation, ils sont contraints de demander à l’Etat de les protéger eux spécifiquement, contre d’autres habitants des quartiers.

Mais commençons par prendre au sérieux les problèmes spécifiques que rencontrent les Chinois et Français d’origine chinoise de 2ème génération et cherchons avec eux des solutions concrètes qui permettent de répondre à leurs difficultés concrètes et inquiétudes, tout en produisant du vivre-ensemble et de la solidarité dans les quartiers. C’est ce que tente de faire la mairie d’Aubervilliers par exemple. Mais, c’est d’abord à l’Etat de prendre ses responsabilités, les collectivités locales concernées ayant des moyens et des pouvoirs limités.

Parmi les revendications à prendre en compte, il y a l’amélioration de l’accueil dans les commissariats pour permettre le traitement des plaintes par les Asiatiques y compris quand ils sont sans-papiers et qu’ils maitrisent mal le français. Il y a aussi le financement systématique de l’apprentissage du français. Et évidemment, l’une des revendications essentielles portées notamment par les collectifs de sans-papiers chinois, c’est la régularisation de tous les sans-papiers.

C’est par le renforcement et la construction de solidarités sociales et politique dans les quartiers, par la construction d’alliance avec certaines associations et collectifs chinois que nous pourrons sortir du piège du chacun pour soi et du tous contre tous dans les quartiers populaires et dans la société française.
Cela commence par être là le 4 septembre au départ de la place de la République aux côtés des Chinois et Français d’origine chinoise mobilisés.

Laurent Sorel

1.http://www.marianne.net/Belleville-Chinois-contre-Africains_a194405.html
2. http://www.liberation.fr/apps/2016/09/racisme-chinois/
3.Ibid
4.Ibid
5.http://www.lecourrierdelatlas.com/1178218082016-Les-Chinois-meme-s-ils-s..