Mercredi 19 et jeudi 20 octobre, le tribunal d’Amiens jugera en appel les huit salariés de Goodyear menacés de prison : deux ans de prison dont 9 ferme. Du jamais vu depuis des dizaines d’années en matière de répression contre des syndicalistes ou des travailleurs en lutte. Avec les condamnations des salariés d’Air France à plusieurs mois de prison avec sursis, le licenciement d’un délégué CGT cet été approuvé par la Ministre du travail, et le licenciement déjà prononcé de 4 autres salariés, et beaucoup d’autres cas emblématiques (dont l’inspectrice du travail d’Annecy contrôlant le groupe Tefal), nous assistons sans aucun doute à une attaque extrêmement violente contre le syndicalisme, contre l’idée même de la lutte sociale, en vue de la corseter dans des limites imposées par l’Etat et le patronat. Au moins 750 personnes depuis le début de l’année (beaucoup plus ont été interpellées) sont poursuivies suite au mouvement contre la loi Travail.
Les Goodyear, qui ont construit un réseau de solidarité dans tout le pays, annoncent une forte mobilisation à Amiens le 19, avec une centaine de cars affrétés, certains venant de Belgique ou de Suisse. Toute la journée, et le lendemain matin (l’hébergement sur place est organisé) se succéderont au parc Saint Pierre d’Amiens des prises de parole et des animations musicales ou théâtrales. Outre Mickaël Wamen, de la CGT Goodyear, il y aura Xavier Mathieu de Continental, Philippe Martinez et Bernadette Groison sont annoncés, mais aussi François Ruffin réalisateur du film Merci patron, la compagnie Jolie Môme, le chanteur San Severino, des porte-paroles politiques, et bien d’autres. Dans une récente réunion du Comité de soutien parisien, Mickael Wamen donnait aussi à cette journée le sens d’une relance du combat contre la loi Travail. Certaines fédérations syndicales CGT ont déposé des préavis de grève (comme la fédération des services publics CGT) pour permettre de se rendre sur place.
9 années de lutte acharnée
La lutte des Goodyear pour empêcher la fermeture du site de fabrication de pneus date en réalité de très longtemps, avec au départ des victoires judiciaires successives. A l’automne 2007, les salariés refusent par référendum le passage aux horaires 4X8 qu’on veut leur imposer au nom de la « productivité ». A quelques 80 kilomètres de là, les 1230 salariés de Continental avaient accepté un accord du même genre qui n’avait nullement empêché le groupe de fermer le site plus tard. On connait la lutte des « Conti » qui s’en est suivie. Et plusieurs années plus tard, le tribunal des prudhommes condamnait le plan de licenciement Continental pour « défaut de motif économique » et non-respect de l’obligation de reclassement. Autrement dit, ce sont les salariés en lutte (avec déjà des scènes de révolte qui ont valu des condamnations et des amendes) qui avaient raison…mais trop tard.
Aussi les Goodyear ne voulaient pas s’en laisser compter par une multinationale US qui veut fermer l’usine après avoir promis qu’une partie des activités seraient conservées (pneus agricoles) si un repreneur l’acceptait moyennant des départs volontaires. Une bagarre s’ensuit alors contre le prétendu repreneur Titan, dont le PDG Maurice Taylor s’est illustré par des discours d’insultes des syndicalistes accusés d’être des « barjots » et des travailleurs accusés de « ne rien foutre ». En 2013, la direction refuse un projet de SCOP mis au point par les salariés. Titan refait une nouvelle « offre » : licencier tout le monde et réembaucher ensuite 333 personnes, ce qui est totalement hors des cadres du Code du travail en France. Le dossier s’enlise jusqu’en 2014 où 1143 salariés étaient menacés.
C’est le 6 janvier 2014, en pleine situation d’incertitude (on était à la veille de la fermeture) et d’arrogance de Maurice Taylor, qu’une assemblée générale est convoquée en passant de fait par-dessus la CGT par la direction de l’usine. Et ce sont les salariés qui se sont mis en colère contre deux cadres en les retenant sans violence pendant 30 heures. Mourad Laffitte, qui a réalisé un film sur les neuf ans de lutte des Goodyear (intitulé « Liquidation », sorti au printemps 2016), raconte : « C’est clair, quand on lit les PV d’audition, les deux directeurs disent que s’il n’y avait pas eu la CGT, ils se faisaient tuer. Mickaël Wamen s’est fait piéger sur ce coup-là. Quand il apprend qu’il y a un plan social, il demande un rendez-vous avec le directeur, qui lui dit : « L’usine est fermée pendant quatre jours. On se voit lundi matin ». Le lundi, Mickaël a rendez-vous à 10h, il arrive à 9h30 devant le bureau du directeur, et la secrétaire lui dit que le directeur n’est pas là, qu’il est avec les ouvriers. Donc il a convoqué tous les ouvriers avec les DRH sans passer par les syndicalistes, et c’est là que les mecs ont pêté un boulon. Les chaises ont volé, la scène est dans le film. Moi je n’appelle pas cela une séquestration…[…]. J’étais là et Mickaël disait : « ne tombez pas dans le piège, ils n’attendent qu’une chose, c’est la violence».
Quant à la colère et des gestes de violence, il faut restituer le contexte : Goodyear gagnait peut-être un peu moins sur cette usine, mais le groupe restait bénéficiaire largement. Il cherchait surtout à délocaliser la production de pneus vers d’autres pays, « parce qu’ils utilisaient des produits chimiques qui empoisonnaient les ouvriers » explique Mourad Laffitte, et que les produits de substitution sont bien plus chers.
Et il faut le redire : les deux cadres ont ensuite retiré leur plainte en partie civile, ainsi que l’entreprise, bien avant la condamnation des 8 de Goodyear. C’est donc le parquet qui a poursuivi, probablement sur instruction venue d’en haut. Aujourd’hui encore, seule une très petite proportion des Goodyear a retrouvé un emploi.
Mais en haut lieu, ils veulent punir la lutte des classes.
Jean-Claude Mamet