Anna Toumazoff – militante féministe – dénonce le fait de dépeindre en monstres les hommes accusés dans le procès de Mazan. Cela rassure et protège l’ordre établi. Cela permet surtout au problème de perdurer. Car l’homme qui viole est un homme normal, un collègue serviable, un père gentil, un voisin vigilant.
Les 83 violeurs : la banalité du mâle
Par Anna Toumazoff. Publié le 11 septembre 2024 dans Politis.
Injuste jusque dans son nom, cette affaire souffre d’une mauvaise désignation. Ce n’est pas « l’affaire des viols de Mazan », et ça n’est pas même seulement « l’affaire Dominique Pelicot ». C’est l’affaire des 83 violeurs. 83 hommes, dont la liste des noms, métiers et âges semble un échantillon d’institut de sondages parfaitement à même de représenter la France. 83 individus ayant pour seul trait commun d’être des hommes du même périmètre géographique. 83 hommes normaux, dont la banalité choque les hommes seulement. Les femmes savaient déjà qu’il y a une réalité derrière les yeux fermés.
Vieil ami de la famille, professeur trop zélé, collègue gluant, inconnu familier, frère affectueux, ex inquiétant : ce n’est pas avec plaisir que les femmes trouveront une ressemblance avec un fantôme du passé dans la mosaïque des visages de Mazan, pendant que les hommes s’en distancieront en les classifiant dans les monstres avant d’en découvrir soudain des sosies au bureau, au café d’à côté, dans la fratrie et – stupeur ! – jusque dans le reflet du miroir. Lutter contre ces crimes implique d’accepter qu’il existe des violeurs de tout profil.
Sur cela, que l’on appelle « culture du viol », et qui désigne tout ce qui favorise sa commission dans une société donnée, les féministes alertent depuis toujours. Si l’égalité des femmes avec les hommes avait été pleinement atteinte jusque dans les mentalités, il n’y aurait pas autant d’hommes dans ce procès pour oser plaider non coupable, justifiant ne pas comprendre que l’on puisse les accuser de viol sur une femme dont le mari était pourtant consentant.