Aujourd’hui, 75% des pilotes (95% en excluant les cadres asservis) sont en grève pour défendre certes leurs emplois, mais aussi toutes les catégories professionnelles de l’aérien et plus généralement les législations du travail de plus en plus contournées.
Le gouvernement et les médias se déchaînent, hier contre la grève inutile des cheminots pénalisant les usagers et empêchant de passer le Bac, aujourd’hui contre les « privilèges » des pilotes d’Air France qui refusent de faire des efforts. Les enjeux et les motivations des grèves sont cachées, le dialogue social est piétiné, il s’agit d’imposer par la force la mise en concurrence des salarié-es pour tirer vers le bas tous les acquis et les salaires.
Cette grève des pilotes vient après l’application de presque 20 ans de « libéralisation » imposée par la Direction d’Air France.
La stratégie de grignotage des acquis
En 1997, Air France instaurait déjà « B-scale » avec une deuxième échelle des salaires. Les pilotes y ont mis fin après une grève de 10 jours à la veille du Mondial, mais hôtesses et stewards, pourtant en grève à 80 %, la subissent toujours avec un salaire d’embauche inférieur de 25 %, moins de repos et de plus mauvaises conditions de travail.
En 2007, Air France crée Transavia France, une soi-disant compagnie charter concurrençant les tour-opérateurs et les compagnies charter « exotiques », mais vite transformée en compagnie à bas-coûts. Elle n’a pas de personnels au sol, elle sous-traite toute l’activité au sol, elle a embauché directement les hôtesses et stewards aux conditions locales. Dire que les lignes d’Air France ne sont pas menacées est contredit par les faits, Orly-Rome, Orly-Casablanca, Orly-Istanbul sont les dernières lignes transférées.
En 2008, Air France crée avec Royal Air Maroc à Casablanca, l’entreprise AéroTechnics Industries de maintenance des avions qui a, petit à petit, grignoté puis récupéré en 2012 une bonne partie de l’entretien de la flotte A320.
Depuis 2009, Air France s’attaque à toutes les catégories de personnel pour dégager plus de marge financière. Ses « économies » de 1 milliard d’euros de masse salariale et de 8 000 emplois… devraient servir à développer Transavia en Europe, à la doter de 115 avions en 2019 et de bases dans toute l’Europe qui vont récupérer des activités réalisées par Air France, transférer des emplois à statut Air France sur des salariés « bas-coûts », créer des Bases en Bavière et au Portugal avec des salariés locaux. Les comptes sont redressés, ils ont permis de récompenser le PDG d’Air France en augmentant son salaire de 300 000 €, le portant probablement à 1,2 million d’euros.
Air France va vite, alors que le conflit Transavia France perdure, le groupe Air France / KLM annonce la création de Transavia Europe (filiale de KLM) avec des salariés locaux aux statuts des pays d’embauche. La « loi du marché » et la concurrence permettront petit à petit à Transavia Europe de récupérer « naturellement » des lignes d’Air France.
Le combat des pilotes pour un contrat unique, quelque soit la compagnie, est le combat de tous les salarié-es.
Les grévistes ont raison de refuser le changement de statut qui permettrait de transférer progressivement les lignes Air France moyen courrier et la maintenance à des compagnies bas-coûts aux statuts des personnels en concurrence avec d’autres et tirés en permanence vers le bas par le chantage de gagner des marchés en diminuant les coûts.
Ils savent que les promesses d’Air France sur la préservation du statut et des salaires ne sont que des carottes provisoires pour démobiliser :
– seuls les volontaires iraient chez Transavia ? Chaque embauche et chaque passage commandant de bord passeront par la filiale au contrat B ;
– les conditions du contrat Air France appliquées chez Transavia n’estne seraient pas viable ? Les pilotes se voient proposer dans le même temps des primes incitatives qui garantissent le maintien de la rémunération Air France…
Tout le monde est concerné. Si les pilotes perdent, Transavia France et le futur Transavia Europe grignoteront le réseau d’Air France et récupéreront des charges et des milliers d’emplois avec leurs cotisations sociales, les emplois induits (maintenance, enregistrement, assistance en escale…) suivront, la sous-traitance se développera massivement pour le personnel au sol et les navigants commerciaux, les conditions de travail se dégraderont pour tout le monde.
Et lorsque le moyen-courrier sera laminé, le long-courrier suivra, avec les mêmes méthodes, les mêmes tentatives de mise en concurrence des pilotes entre eux, et les mêmes chantages à la délocalisation.
Patrice Perret