Les JO terminés, Macron ne pourra pas gouverner seul pendant un an… Il va vraisemblablement jouer des institutions. Les forces du Front populaire n’ont aucune raison d’abandonner les exigences du « Contrat de législature ». Pour sortir du carcan institutionnel, une révision constitutionnelle s’impose donc. Pierre Cours-Salies propose des pistes.
« Les institutions sont ce qu’elles sont »
Par Pierre Cours-Salies. Le 10 août 2024.1Pour la commodité, ces données de politique institutionnelle sont distinguées des urgences sociales élémentaires (objet d’un 2ᵉ article) et complétées par la défense nécessaire contre les fascistes actuels.
La fin des JO laisse le président Macron face à une lourde contradiction. Il s’est « donné du temps ». Et se trouve devant de vraies difficultés dès lors qu’il n’a pu « rallier » » ni des « socialistes » ni des LR à son propre courant de la droite, qu’il prétend « au centre ».
Un peu de prospective
Des données sont certaines, quoi que disent des interprètes élyséens.
Deux constats : Macron ne pourra pas gouverner seul pendant un an… Et il va sans doute jouer des institutions dont il serait « garant jusqu’en 2027 ».
Après les européennes et les législatives, les résultats de la dissolution ne laissent pas même une « majorité relative » à son « camp politique ». En revanche, une majorité relative est possible avec une Première ministre proposée par le Nouveau Front populaire.
Dans ce cas, chacun sait que la possibilité d’« appliquer le programme et tout le programme », au-delà du bruit des mots, ne correspond pas à la possibilité parlementaire immédiate. Avec la plus grosse des minorités de l’Assemblée, une « majorité relative » est possible si, sur un certain nombre de sujets, de lois, de mesures prises par décret, un accord politique se fait. Et même un budget, exercice républicain obligé de chaque automne.
Quels effets du front républicain ?
Évidemment, les forces du Front populaire n’ont absolument aucune raison d’abandonner les exigences du « Contrat de législature ». Il faut se souvenir que la mobilisation des voix du Front populaire n’est pas pour rien dans l’élection de nombre de député·es des groupes de la droite. Certains n’ont pas voulu de ce Front républicain. Leur souci de rapprochement avec le RN était prioritaire. D’autres l’ont voulu pour des raisons politiques souvent honnêtes et limpides.
Nous retiendrons que toute une partie des député·es de droite doivent leur élection aux voix qui s’étaient portées pour le Front populaire au premier tour. On peut se demander comment ils se comporteront, devant les propositions de Lucie Castet au nom du gouvernement du Front populaire. Tant mieux, si cela peut servir à faire accepter de premiers changements positifs pour les plus fragiles, précaires et subissant de bas revenus ; pour les services publics de la santé et de l’Éducation nationale ; etc.
Personne ne doute que les regroupements militants, syndicaux, associatifs, réseaux de solidarité divers sont mobilisés et mobilisables autour des mesures des « cent jours » du « Contrat de législature » présentes dans de nombreux appels unitaires.2https://fsu.fr/declaration-intersyndicale-battre-lextreme-droite-et-gagner-le-progres-social/ ; https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives-2024-les-syndicats-appellent-a-faire-barrage-au-rn_6639723.html ; 10 juillet 2024 – Tribune collective « Répondre à l’urgence sociale, environnementale et démocratique » publiée dans l’Humanité
Il n’y a pas moins de onze groupes parlementaires au début de cette législature. Quelle serait, au vu des résultats du 7 juillet, l’alliance la plus légitime, hormis de voir des représentant·es de forces de droite accepter de valider, comme le dit Lucie Castet, des propositions du gouvernement présenté par le Front populaire ?
Cela dessine, comme l’écrit Paul Allies, une voie pour sortir « d’un système anachronique qui nous mène au bord du gouffre autoritaire et pire encore » : « La Vᵉ République présidentialiste a fait amplement son temps anxiogène. La « reparlementariser » est une urgente mesure de salut public ».3https://blogs.mediapart.fr/paul-allies/blog/240724/crise-de-regime-une-question-de-culture-politique
Comment sortir du carcan institutionnel ?
Se saisir des questions immédiates à résoudre : évidemment, les salaires, les services publics… Mais, pour commencer à donner une impulsion, faire un premier pas, il serait trop faible de laisser aux droites et extrême-droite l’argument : « Les institutions sont ce qu’elles sont ». Emmanuel Macron a plusieurs fois annoncé au cours des sept dernières années sa volonté de réformer la Constitution, sans jamais passer à l’acte. Pour rétablir des règles communes, l’initiative de demander un référendum est donc suggérée par plusieurs.
Bruno Payan, maire de Marseille : « La France a besoin d’une nouvelle république […] : En réponse à la crise institutionnelle, politique et sociale, il n’y a pas d’autres choix que de convoquer un référendum constitutionnel pour permettre aux citoyens de s’exprimer par eux-mêmes sur le cadre constitutionnel qu’ils souhaitent ériger ensemble.» (Libération, 5 juillet 2024).
De nombreux participant·es s’exprimaient en ce sens à la soirée publique organisée par Mediapart et la Convention pour la VIᵉ République (le 4 octobre 2023)4https://www.mediapart.fr/journal/politique/041023/notre-soiree-publique-passer-la-vie-republique-quel-mode-d-emploi.
Le point de vue de Dominique Rousseau
Dominique Rousseau souligne une contradiction, que les directions politiques des gauches ne prennent pas en compte, voire pour certains se contentent de manipuler.
La question n’est pas de savoir « qui » sera candidat à la présidence de cette Vᵉ République en 2027 : « Les citoyens demandent à être associés à la fabrication des lois, mais la Constitution en donne le monopole aux élus ; ils attendent un agencement équilibré des pouvoirs, elle confond pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, et même médiatique ; ils réclament des espaces publics de délibération pour définir le bien commun, elle dissout [ce dernier] par un exercice privatif des institutions. »
Cette question est décisive pour « démocratiser la démocratie », permettre au plus grand nombre d’être partie prenante du destin et du bonheur commun. Cette critique est radicale, mais elle est sans doute indispensable pour ne pas subir les poussées réactionnaires, nationalistes, racistes, fondamentalistes de toutes sortes.
Pour rappel : « De même que la forme capitaliste de l’économie n’a pas besoin de citoyen, mais de travailleur-consommateur, la forme représentative de la démocratie n’en a pas davantage besoin : l’électeur lui suffit. La révision constitutionnelle qui s’impose au sortir de cette séquence politique doit avoir pour objet premier de faire entrer le citoyen dans la sphère de production des lois et des politiques publiques. » (Dominique Rousseau, A.O.C. 15 juillet 2024).
Le 17 juillet, il insistait dans une tribune du Monde : « si le pays s’enlise dans le blocage, ce ne sera pas la faute des institutions, mais celle de nos responsables »5https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/17/dominique-rousseau-si-le-pays-s-enlise-dans-le-blocage-ce-ne-sera-pas-la-faute-des-institutions-mais-celle-de-nos-responsables-politiques_6251333_3232.html.
Les propositions de Paul Allies
Paul Allies a sans doute raison de dédramatiser cette question, et de placer le président Macron devant ses responsabilités.
Dire ce qui est possible pour un gouvernement du Front populaire. Immédiatement, un appel à un débat public pour aller démocratiquement « Vers une 6° République » (un paragraphe du Contrat de législature du Nouveau Front populaire), n’est sans doute pas possible, au vu de l’Assemblée nationale.
Mais dans les conditions actuelles, l’instauration d’une représentation proportionnelle comme mode de scrutin législatif est possible. Emmanuel Macron peut refuser, mais risque de finir par se trouver en pleine confusion.
Pour cela, il existe bel et bien l’article 11 de la Constitution qui prévoit que « sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions (… le Président de la République) peut soumettre au référendum tout projet de loi sur l’organisation des pouvoirs publics. ».
Paul Allies précise ce que pourrait comporter cette réforme constitutionnelle : « il suffira de supprimer trois articles de la Constitution : l’article 8 (le Président nomme – et révoque de fait – le Premier ministre), l’article 9 (le Président « préside le conseil des ministres ») et l’article 12 (le Président a l’exclusivité du droit de dissolution). Au lieu de cela, le Premier ministre sera choisi et investi par l’Assemblée nationale. C’est lui qui aura le droit de dissolution. C’est la possibilité d’une évolution tranquille vers un régime primo-ministériel, surtout si s’y greffe l’adoption de la proportionnelle » (Mediapart, 24 juillet).
Évidemment, c’est une voie d’exigences et de réformes qui suppose une mobilisation de la population ! Les commentaires paralysants et les calculs tactiques sur les reclassements des personnalités, qui n’en a pas ras-le-bol ? Mais sortons des paralysies !
Formuler ces exigences pour appuyer les urgences sociales, écologiques et démocratiques pourrait parfaitement susciter une participation élevée. Le résultat, comme le dit Paul Allies, « fait peu de doute ».
Notes
- 1Pour la commodité, ces données de politique institutionnelle sont distinguées des urgences sociales élémentaires (objet d’un 2ᵉ article) et complétées par la défense nécessaire contre les fascistes actuels.
- 2https://fsu.fr/declaration-intersyndicale-battre-lextreme-droite-et-gagner-le-progres-social/ ; https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives-2024-les-syndicats-appellent-a-faire-barrage-au-rn_6639723.html ; 10 juillet 2024 – Tribune collective « Répondre à l’urgence sociale, environnementale et démocratique » publiée dans l’Humanité
- 3
- 4
- 5