Les retraites complémentaires du privé représentent un enjeu pour tous les régimes, ce sont elles qui ont « expérimenté » le gel des pensions ensuite généralisé et qui font aujourd’hui l’objet de propositions de reculs sociaux importants de la part du patronat. Elles concernent 4 retraité-e-s sur 5, 13 millions de personnes qui reçoivent cet indispensable complément de pension pesant environ un tiers dans leur retraite.
Les négociations actuelles concernent les principales complémentaires du privé, l’Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres) et l’Arrco (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) pour tous les salarié-e-s. Ces caisses suivent les mêmes évolutions que les autres régimes, les recettes baissent avec la montée du chômage et de la précarité, les dépenses augmentent avec l’espérance de vie et le pic momentanée du papy-boom… et ce déséquilibre n’est plus corrigé comme dans le passé par un partage des gains de productivité, le patronat refusant les augmentations de cotisations sociales.
Les « partenaires sociaux », organisations patronales et syndicales représentatives, cogèrent les complémentaires et une majorité de « partenaires » décident de reculs sociaux.
En mars 2013, le patronat a accepté une hausse de 0,2 point des taux de cotisation en 2 ans en échange d’un gel des pensions en 2013 et 2014, puis d’une revalorisation inférieure d’un point à l’inflation.
En période d’inflation faible, les économies espérées ne sont pas au rendez-vous, le déficit annuel de la retraite complémentaire Agirc (cadres) s’élève à 1,24 milliard d’euros et celui de l’Arrco (tous les salariés) à 0,4 milliard. A ce rythme, les déficits successifs épuiseront les réserves de 9 milliards d’euros de l’Agirc en 2018, et celles de 55,4 milliards de l’Arrco en 2027. Une des mesures du Medef consiste à fusionner les 2 caisses pour repousser l’échéance de la faillite de l’ensemble à 2023, les cadres utilisant les réserves de tous les salarié‑e‑s. Une partie des organisations syndicales (la CFDT, 1er syndicat des cadres, et FO pour faire durer les réserves) accepteraient cette fusion.
Depuis le début des « négociations », Medef, CGPME et UPA ont tapé très fort et exigé beaucoup. Leur « document de travail » comporte des reculs importants, plusieurs coins qui seront ensuite pris en exemple dans les discussions pour les régimes de base :
–    remise en cause du départ en retraite à 62 ans, par une décote temporaire de 40 % sur les pensions en cas de départ à 62 ans, puis diminution de cette décote qui ne disparaît qu’avec un départ à 67 ans,
–    baisse du pouvoir d’achat des pensions, qui s’éloigneront encore plus de l’inflation officielle (revalorisation inférieure de 1,5 point à l’inflation au lieu de 1),
–    baisse des pensions des nouveaux retraité-es, en modifiant la règle de calcul de la pension,
–    des réversions en baisse (au prorata des années de mariage, par rapport aux plus de 41 ans de cotisation requis) et plus tardives, versées seulement à partir de 60 ans, au lieu de 55,
–    la fin de la caisse des cadres en fusionnant les 2 caisses, ce qui revient à faire aider les cadres par tous les salarié‑e‑s.
La remise en cause du progrès social
Le progrès social a toujours été possible grâce aux luttes qui ont imposé d’y consacrer une partie de l’augmentation continue de la productivité pour faire travailler de moins en moins l’être humain sur l’ensemble de la vie : le jeune étudie, l’actif réduit son temps de travail annuel, l’ancien part en retraite… Aujourd’hui, tout ce progrès est remis en cause, au bénéfice de l’augmentation des profits et de la richesse de quelques-uns, au détriment d’une inégalité croissante et de la précarité du plus grand nombre.
Les retraites doivent faire face à un accroissement démographique momentané cessant en 2035, lors de la disparition des baby-boomers d’après guerre devenant aujourd’hui des papy-boomers. La société d’hier a accepté de consacrer une part de plus en plus importante des nouvelles richesses produites à la solidarité envers les personnes âgées de plus en plus nombreuses. La société d’aujourd’hui fait tourner la roue de l’histoire à l’envers et bloque la part des richesses consacrée aux retraites.
L’équilibre des caisses de retraite est possible en augmentant les recettes : augmenter les salaires, payer les femmes aux mêmes salaires que les hommes, partager le travail disponible et supprimer le chômage… La caisse Agirc des cadres, la plus en péril, serait équilibrée par exemple avec une augmentation de 2,45 points des cotisations retraites.
Gouvernements et patronat préfèrent les 2 autres leviers, agissant sur la baisse des dépenses : diminuer les pensions et les retraites, payer les retraité‑e‑s moins longtemps en reculant l’âge de départ (mais augmenter les dépenses pour le chômage).
Patronat et gouvernement profitent de la difficulté des principales caisses complémentaires du privé pour expérimenter des reculs sociaux importants. L’enjeu concerne directement les 13 millions de retraité-e-s concernés, et indirectement tous les retraité-e-s actuels et futurs qui risquent de voir disparaître des acquis sociaux fondamentaux.
Patrice Perret