Bien que passée au second plan, la répression anti kurde se poursuit en Turquie. Elle est toujours aussi terrible. En témoigne la lettre de Zeki Bayhan, écrivain et militant du PKK emprisonné depuis 27 ans. André Métayer, d’Amitiés kurdes de Bretagne l’a diffusée. Nous tenons à la faire connaître.

Lettre des geôles turques de Zeki Bayhan

Par Zeki Bayhan. Publié le 30 septembre 2024 sur le site des Amitiés kurdes de Bretagne.

Photo de Zeki Bayhan

Photo de Zeki Bayhan

Zeki Bayhan est un détenu politique, incarcéré depuis 27 ans. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d’Izmir, à celle de Kandira , dans la province de Kocaeli, à 2 000 kilomètres d’Hakkari où il est né en 1976.

Diplômé en économie, il fut arrêté en 1998 pour appartenance au Parti des travailleurs du Kurdistan et soupçonné d’avoir, à ce titre, perpétré des attentats à la bombe.

Le 8 juin 2000, la Cour de sûreté le condamna à la peine capitale, commuée à la réclusion criminelle à perpétuité.

Dans une lettre puissante et profondément émouvante, il décrit l’impact psychologique et émotionnel profond que l’isolement cellulaire produit sur tout individu condamné à de lourdes peines, sans aucune perspective de révision.

Dans cette lettre, Zeki Bayhan réfléchit sur la nature de l’isolement cellulaire, qui, selon lui, va bien au-delà de la séparation physique.

Il décrit l’isolement comme une volonté systématique pour emprisonner l’esprit humain dans le corps, un processus qui pousse les individus à l’autodestruction.

Il parle avec éloquence des luttes auxquelles sont confrontés les prisonniers, à la fois en isolement et/ou en détention partagée, en offrant une série de « fenêtres » sur la réalité déchirante de la vie dans ces conditions.

André Métayer, d’Amitiés kurdes de Bretagne.

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Lettre de Zeki Bayhan

Zeki Bayhan

B-63 Koğuşu, 2 nolu F Tipi Hapishanesi,

Kandıra/Kocaeli , Türkiye

« J’ai l’impression de m’adresser à vous depuis une lointaine fenêtre »

Bonjour,

Lorsqu’on m’a demandé d’écrire quelque chose sur l’isolement, la première chose qui m’est venue à l’esprit a été de m’interroger sur quoi dire. Non pas parce qu’il n’y a rien à dire, mais plutôt parce qu’il y a tellement de choses et de conséquences dévastatrices qu’on ne sait pas comment les décrire. Et, bien sûr, on est hanté par le doute quant au degré de compréhension possible sur ce que va être dit. Si l’on y réfléchit bien, l’isolement et ses pratiques sont si inhumains que cela dépasse la perception et l’expérience d’un être humain normal. Ce n’est donc pas facile à comprendre.

C’est pourquoi j’ai l’impression de m’adresser à vous depuis une lointaine fenêtre.

L’isolement, c’est en effet être sans fenêtre. Dans l’isolement, toutes les fenêtres sont tournées vers l’intérieur. À l’intérieur de l’être humain… Il s’agit d’une sorte d’autodestruction forcée. C’est une terrible torture que d’être obligé de ne voir, de n’entendre et de ne sentir plus que soi-même partout où l’on regarde. Comme si vous étiez pris dans un tourbillon, tiré de plus en plus bas, en ayant l’impression de s’écrouler et de s’effondrer sur soi-même. Oui, l’isolement n’a pas de fenêtre sur l’extérieur mais les personnes qui résistent trouvent des moyens de créer de petits trous dans les murs de l’isolement lui-même. Vous savez, lorsque vous mettez votre œil sur un petit trou et que vous regardez à l’intérieur, le trou grandit et se transforme en fenêtre. Ici, je vais essayer d’ouvrir quelques fenêtres par lesquelles vous pourrez voir à l’intérieur, à l’intérieur de l’isolement. Je sais que depuis la lumière du dehors, il est difficile de voir l’obscurité à l’intérieur, mais si vous rapprochez vos yeux des fenêtres, peut-être un peu plus… Parlons des fenêtres.

[…]

Pour lire la suite de la lettre de Zeki Bayhan…