Sébastien,
tes communiqués parus dans la presse la semaine passée, sur les migrants qui avaient élu leur domicile au pied des falaises, sur des terrains appartenant au Syndicat Mixte du Port de Dieppe m’avaient interpellé.
Dans ces communiqués, tu rappelais que la ville de Dieppe menait des actions en faveur des demandeurs d’asile, notamment au sein du Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA) et de l’association Information Solidarité Réfugiés (ISR). Mais tu demandais par ailleurs que tout soit mis en œuvre par l’état afin que la «filière mafieuse Albanaise» soit évacuée du port de Dieppe.
Les collectifs normands d’Ensemble !, dont je suis le représentant au sein du Conseil Régional, ont donné, à l’occasion d’un communiqué1 leur sentiment à ce sujet.
Nous y rappelions qu’il n’y a pas de migrants illégaux, car, selon l’article 13 de la déclaration universelle des droit de l’homme de 1948, « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État» et «Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » avec toutes les conséquences pratiques que ces droits universels impliquent, dont les conditions humaines d’un premier hébergement. Il n’y avait pas parmi les migrants de Dieppe que des « mafieux albanais » mais aussi des Yéménites, des Syriens, des Irakiens, des Somaliens, des Erythréens, la plupart âgés de 15 à 30 ans, dont des mineurs isolés qui auraient dû bénéficier de l’aide de l’État
A Dieppe, cela faisait déjà longtemps que des migrants avaient installé leur campement de fortune au pied des falaises, sans que le Syndicat du Port de Dieppe n’y trouve à redire.
Mais, depuis que Hervé Morin, président de la région Normandie a également pris la présidence de ce Syndicat, les choses se sont accélérées : en s’appuyant sur tes demandes, ils ont, avec Pascal Martin, président du département, ordonné le démantèlement de ce camp, après une ordonnance de référé prise par le tribunal administratif de Rouen ce matin. Les choses n’ont pas trainé : à 17h, le campement était rasé et les pelouses tondues ! Hervé Morin explique que « cette décision a été prise par humanisme vis-à-vis des migrants (sic) mais aussi par raison pour le développement du port et du tourisme à Dieppe »
La droite, qui se sent pousser des ailes depuis qu’elle détient tous les pouvoirs au sein de la Normandie, est à l’œuvre, telle qu’on la connait de longue date : brutale et policière.
Les commentaires de l’un et de l’autre sont révélateurs :
Hervé Morin indique : « À Dieppe, nous allons investir pour financer des équipements qui éviteront les intrusions ». C’est tellement plus simple d’installer des caméras et des grillages que de venir en aide à des pauvres gens qui ne demandaient que de passer en Grande Bretagne, car ils ne désiraient pas demander l’asile en France. Où sont-ils aujourd’hui, ces migrants qui sont partis avant de voir leur camp rasé ? Ont-ils été accueillis décemment dans des structures adaptées ? S’ils ne peuvent pas revenir sur le domaine du port de Dieppe, ils iront ailleurs. Leur errance n’en sera que plus dure et plus longue, et cela ne résoudra en rien les problèmes.
Quant à Pascal Martin, son commentaire est tout simplement écœurant : « Je suis content de voir que les arguments que nous avions avancés avec Hervé Morin ont retenu l’attention des juges. Il fallait envoyer un message de fermeté concernant les migrants, non sans oublier l’aspect humanitaire. Mais il ne fallait pas non plus ignorer l’impact de leur présence sur les habitants et les commerçants de Dieppe. Cette décision s’imposait pour rendre son image à la ville, notamment à la veille des vacances de printemps ». Après cette petite allusion hypocrite à l’aspect « humanitaire », le masque tombe : il ne fallait pas faire fuir les touristes à la veille des vacances de printemps !
La vie de quelques migrants, qui pour beaucoup ont parcouru quelques milliers de kilomètre à pied, ne pèse t’elle rien face au lobby du tourisme ? C’est totalement inhumain.
Force est de constater, Sébastien, que ces deux dirigeants politiques t’ont utilisé pour te faire porter la responsabilité de cette sale besogne. Quand tu demandais un rendez-vous avec les services de l’État pour la mi-avril, pour discuter, eux se sont engouffrés dans la brèche et n’ont pas attendu ce rendez-vous pour mettre en œuvre leur politique, sans l’ombre d’un respect humain !
Il n’est pas trop tard pour revenir au seul combat qui vaille :
– le soutien aux associations qui ont soutenu les migrants tout au long de leur séjour, et encore aujourd’hui lors de l’audience de référé, telle l’association Itinérance.
– le soutien aux associations qui se proposaient de trouver des solutions d’accueil dans des dispositifs en dur tout au long des trajectoires de migration. C’est ce que proposait par exemple l’organisation Médecins du Monde. Cette ONG a t’elle été entendue ?
– le combat pour l’application pure et simple de l’article 13 de la convention universelle des droits de l’homme : ouverture des frontières, en particulier celle avec la Grande-Bretagne, afin que les migrants puissent rejoindre le(s) pays qu’ils désirent rejoindre. Cela passe par la dénonciation des accords du Touquet de 2005, qui, pour des raisons de chantage économique et commercial, ont donné droit à la Grande Bretagne de placer la frontière sur le sol Français !
Seul ce respect de l’article 13 permettra que les migrations puissent se faire dans des conditions humaines et dignes. Les solutions policières et brutales ne mènent hélas qu’à ajouter des malheurs à des humains qui en ont déjà beaucoup subis.
Le Havre, le 01/04/2016
Gilles Houdouin, conseiller régional Ensemble!
1 http://ensemble-le-havre.eklablog.com/migrer-est-un-droit-les-collectifs…