Manouchian au Panthéon, Macron

Comment peut-on panthéoniser Manouchian et faire voter la loi immigration remettant en cause le droit du sol ? Quelle récupération ! Mais l’attitude du PCF interroge aussi. Il revendique la glorification de Manouchian et de ses camarades alors qu’à la Libération c’était beaucoup moins mis en avant.

Manouchian au Panthéon, Macron

Par Jean Tortrat, le 4 mars 2024

Comment peut-on à la fois « panthéoniser » Manouchian et faire voter une loi immigration qui s’attaque au droit du sol pour la première fois depuis… Pétain ? Macron l’a fait et l’assume ! Il fait la courte échelle à l’extrême-droite avec cette banalisation du RN et instrumentalise la figure de Manouchian. Le PCF, de son côté, remet avec justesse le combat des FTP-MOI sur le devant de la scène, ce qu’il n’avait pas fait à la Libération en 1945. Le mot d’ordre était alors au nationalisme cocardier avec le mot d’ordre : « À chacun son boche ! ».

Manouchian au Panthéon, oui mais…

On ne peut que se réjouir de voir enfin une figure comme celle de Manouchian entrer au Panthéon. Un résistant de la FTP-MOI, Arménien victime du génocide de l’empire ottoman, longtemps mis sous le boisseau par tous les « cocardiers », un résistant de l’ombre qui n’avait pas bénéficié, à la Libération, de la place et de la gloire accordée à tous les grands résistants au nazisme, que cet homme et sa femme soient honoré·es est un symbole important.

Dans leur article sur Mediapart « Manouchian au Panthéon : un geste mémoriel empreint d’hypocrisie politique », Mathieu Dejean et Fabien Escalona montrent parfaitement bien l’hypocrisie de Macron et sa tentative de se racheter « une virginité antifasciste » après avoir succombé aux sirènes de la préférence nationale et de la remise en cause du droit du sol.

Je ne reviendrai pas sur la première partie de leur article qui montre bien les enjeux de cette récupération macroniste. Je souhaite seulement revenir sur le danger que représente ce type de célébration destinée, comme le souligne l’historien Fabrice Riceputi, à « avoir le sentiment d’une usurpation symbolique visant à faire contrepoids aux politiques publiques ». Fabrice Riceputi encore : « Il y a déjà eu des précédents, comme lorsque Nicolas Sarkozy et François Fillon, les créateurs du ministère de l’identité nationale, ont fait panthéoniser Aimé Césaire en 2011. Mais pour travailler sur l’Algérie, je remarque chez Macron un usage immodéré de l’histoire comme outil de communication politique, consistant à donner des lots de consolation aux uns et aux autres ».

Le grand danger est que faire du « en même temps » sur ce terrain, c’est continuer « à faire la courte échelle » à l’extrême-droite et à ses figures montantes Marine Le Pen et Jordan Bardella qui ont d’ailleurs souhaité être présent·es à la panthéonisation de Manouchian. Tout comme ils étaient présent·es à la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre. D’ailleurs, il était intéressant d’entendre les noms énumérés des martyrs de L’Affiche rouge à la cérémonie de panthéonisation avec la mention « morts pour la France ». Certes, mais on pourrait aussi rajouter : « morts contre le fascisme ».

Edouard Philippe, ancien premier ministre de Macron, avait jugé d’un bon œil la participation du RN : «Lorsqu’il s’agit de dire quelle nation nous voulons être, lorsqu’il s’agit de dire que nous voulons combattre l’antisémitisme, moi, je prends tout le monde». Comment mieux contribuer à banaliser l’extrême-droite et à la faire monter dans les sondages ? Un sondage d’Elabe pour BFMTV vient éclairer d’un jour nouveau la figure de Marine Le Pen. 57% des Français jugeraient désormais la présidente du Rassemblement National « sincère » dans sa démarche contre l’antisémitisme. Le comble pour la représentante d’un parti créé par son père, un antisémite notoire, et Pierre Bousquet, ancien Waffen SS !

N’oublions pas non plus que Missak – immigré arménien ayant perdu ses deux parents durant le génocide – avait demandé deux fois sa naturalisation française et qu’il ne l’a jamais obtenue ! Quand on voit aujourd’hui le RN s’exprimer contre l’arrivée des migrants et pour la préférence nationale, on peut se rendre compte de l’hypocrise de MLP à réclamer de célébrer la mémoire de Manouchian au Panthéon !

Le PCF fier de la panthéonisation de Manouchian, oui, mais…

Dans un petit opuscule édité cette année, l’historienne Annette Wieviorka rappelle que, le 24 novembre 2023, le quotidien Le Monde avait publié une lettre ouverte au président de la République signée notamment par des descendants de fusillés qui avaient eu vent de l’entrée au Panthéon du couple Manouchian par la presse.

Elle rappelle que « Nul n’avait jugé bon de contacter personnellement ni Juana Alfonso, petite-fille de Celestino Alfonso, « Espagnol rouge » en bonne place sur l’affiche, ni Michel, ni Patrice et Yves Della Negra, les neveux de Rino, fusillé au Mont Valérien , ni les cousines de Marcel Rajman ou le neveu de Thomas Elek. Parmi les autres signataires, des réalisateurs (Costa-Gavras, Ruth Zylberman, Mosco Levi Boucault), des intellectuels (Edgar Morin, Patrick Modiano), des historiens (Serge Klarsfeld, Patrick Boucheron et Annette Wieviorka).

Dans cette lettre, les signataires écrivaient :

« Isoler un seul nom, c’est rompre la fraternité de leur collectif militant. Distinguer une seule communauté, c’est blesser l’internationalisme qui les animait. Ce groupe de résistants communistes ne se résume pas à Manouchian, qui certes, en fut le responsable militaire avant que la propagande allemande ne l’eut promu chef d’une bande criminelle Et le symbole qu’il représente à juste titre pour nos compatriotes de la communauté arménienne est indissociable de toutes les autres nationalités et communautés qui ont partagé son combat et son sacrifice. »

L’Humanité a consacré un numéro spécial à la mémoire de Manouchian. La présentation en est significative : le portrait de Missak pleine page sous le titre Manouchian la France reconnaissante. Au dos intérieur de la couverture le portrait pleine page de Mélinée. Le choix est clair : mise en avant de la personnalité de Manouchian et de la France « reconnaissante ». Le contenu est plutôt intéressant : après les illustrations de leur vision de L’Affiche rouge par plusieurs personnalités : cinéaste, acteur, dirigeant du PCF, historien et membre de la famille (Robert Guédiguian, Simon Abkarian, Pierre Ouzoulias, Alain Simonnet et Katia Guirogassian) la publication présente, après la description et l’explication des FTP-MOI et de leur traque, le groupe de l’Affiche rouge avec un développement en une à deux colonnes de chaque membre de la fameuse Affiche Rouge.

La figure d’Armen Arpen Manoukian proche de Missak Manoukian et trotskyste est présentée sans gommer son militantisme dans l’opposition de gauche. Là, il est intéressant de constater la place que l’on a accordée à ce membre de l’Affiche rouge.

Extrait du fascicule de A. Wieviorka :

« Restent deux fusillés inclassables. Le Polonais Kubacki, ancien d’Espagne, résistant mais qui n’appartint pas aux FTP-MOI parisiens; le second, Arménien, Armenak Arpen Manoukian (de son vrai nom Tavitian) a été oppositionnel trotskiste en Union soviétique, emprisonné, évadé, il avait réussi à gagner la France où il fut un proche de Léon Sedov, le fils de Trotski. Didier Daeninckx en a fait un des personnages principaux de son « Missak », un Missak qui lui fut toujours amical et solidaire.
Dans la lettre que Missak adressa à Armène Guiragossian, la sœur de Mélinée, il écrit : « Il faut aussi penser à la mémoire de Manoukian, qui meurt aussi avec moi ». Ce dernier voeu n’a à l’évidence pas été exaucé et Tavitian-Manoukian n’a pas eu droit à la mémoire arménienne de la Résistance. »

Et Annette Wieviorka pose la question : « Fallait-il être communiste orthodoxe pour avoir les honneurs de cette mémoire collective ? »

Jean-Pierre Debourdeau avait écrit à cette occasion un article sur L’Affiche Rouge où il évoque la figure de Arben Dav’tian devenu Manoukian dans Rouge (hebdo de la LCR) n° 2052 du 19 février 2004, consultable sur le site du NPA.

Il faut à ce propos rappeler la place qu’accordait le PCF aux FTP-MOI à la Libération. Mosco Levi Boucault, cinéaste réalisateur, dans son documentaire de 1985 Des terroristes à la retraite donne des explications par la voix de Philippe Ganier-Raymond journaliste sur l’hypothèse que la direction du PCF dans la clandestinité aurait laissé tomber les FTP-MOI en ne leur livrant ni armes et argent, ne souhaitant pas laisser en 1944, alors que la victoire était imminente, une image trop internationale de la Résistance pour un parti qui avait pour mot d’ordre « À chacun son boche ! ».

Toujours est-il que les hypothèses sur les conditions dans lesquelles sont tombés les membres de l’Affiche rouge sont multiples : travail de fond des Brigades spéciales de la police française menée avec « minutie et efficacité » (comme l’écrit Jean Vigreux dans le n° spécial de l’Humanité), imprudence de certains jeunes militants des FTP-MOI, renseignements extorqués sous la torture à certains membres des FTP-MOI, sacrifice de Missak qui, malgré les avertissements de Mélinée lui enjoignant de ne pas y aller, s’est rendu au rendez-vous fatidique qui a entrainé son arrestation par la police française…

Missak Manouchian qui avait écrit dans sa dernière lettre à son épouse Mélinée : « Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf à celui qui nous a trahis pour sauver sa peau et à ceux qui nous ont vendus ». Ces paroles « ceux qui nous ont vendus » se réfèrent à la direction militaire du Parti communiste clandestin en région parisienne qui n’a pas su mettre à l’abri les combattants étrangers des FTP-MOI (francs-tireurs partisans de la main-d’œuvre immigrée) malgré des informations concordantes qui lui étaient parvenues sur les filatures de la police qui les menaçaient¹.

Plus que jamais, avec le danger d’une extrême-droite en progression constante dans les sondages, nous devons affirmer notre unité contre le fascisme et ses représentants, MLP et son double Eric Zemmour qui explique sur les plateaux de Bolloré que Pétain a sauvé des juifs ! Malgré des discours réhabilitant l’extrême-droite maurassienne pour Zemmour ou tentant de se banaliser et d’échapper pour des motifs électoralistes au discours révisionniste du père tortureur d’Algérie pour MLP. D’autant que la droite – autour d’Eric Ciotti et de Laurent Wauquiez – colle aussi à ce discours nauséabond ! Le glissement vers une extrême-droitisation de l’ensemble de la société est devant nous.

L’extrême-droite progresse en Europe. En Italie, elle est au pouvoir. En Allemagne et en Espagne, elle progresse dangereusement. En Argentine, elle est arrivée au pouvoir. Aux États-Unis, elle risque de remporter les prochaines élections avec Trump. En Israël, avec Nethanyaou, elle commet un génocide en Palestine avec plus de 30 000 morts.

Nous ne pouvons que partager l’analyse d’Umberto Eco cité dans le livre d’Edwy Plenel L’appel à la vigilance : « L’Ur-fascisme²* est toujours autour de nous, parfois en civil. Ce serait tellement plus confortable si quelqu’un s’avançait sur la scène du monde pour dire : « Je veux rouvrir Auschwitz, je veux que les chemises noires reviennent parader dans les rues italiennes !». Hélas, la vie n’est pas aussi simple. L’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes, chaque jour, dans chaque partie du monde.

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Documentation

Anatomie de l’Affiche rouge, Annette Wieviorka, Seuil, février 2024 – 48 pages, 4,90€
L’appel à la vigilance Face à l’extrême-droite, Edwy Plenel, La Découverte, 2023, 131 pages, 16€
Missak, Didier Daeninckx, Perrin, 2009, 286 pages, 16,90€
L’Humanité Hors-série Manouchian la France reconnaissante, 98 pages, 9,90€
Des terroristes à la retraite, documentaire de 1985 de Mosco Levi Boucault, et sa postface de 2024, visible sur la plate-forme d’Arte
… Sans oublier la chanson de Léo Ferré³ sur le poème d’Aragon, repris par de nombreux artistes, de Feu Chatterton⁴ à Bernard Lavilliers⁵.