« On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait en s’en allant », disait Jacques Prévert.
On peut en dire autant de la liberté.
La culture ayant partie liée à l’une et à l’autre, on pourrait dire aussi qu’on la reconnaît à la haine hystérique et meurtrière qu’elle suscite depuis toujours du côté des tyrans et des barbares.
Mais aussi au dédain qu’elle provoque parmi cette sorte de monothéistes qui n’ont pour seul Dieu que le fric, pour seule loi que celle du marché et qui barbotent, comme disait Marx, dans « les eaux glacées du calcul égoïste ».
Pour un grand artiste comme Picasso dont les œuvres coûtaient des millions de son vivant déjà, combien de marchands de baudruches plus richissimes encore, et combien de Van Gogh faméliques ?
Lorsque les capitalistes se prosternent devant un tableau, il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’un chef d’œuvre. Mais il est exclu qu’il ne s’agisse pas d‘une bonne affaire. Ce sont les mêmes qui n’hésiteraient pas à imposer, sans état d’âme si on les laissait faire, la précarité la plus absolue aux intermittents du spectacle.
Et ce sont les mêmes qui manifestent le plus profond mépris à l’égard du savoir‐faire, de la créativité, de l’inventivité de leurs propres salariés provoquant la première des souffrances au travail : l’impossibilité de bien faire le métier que nous aimons, l’interdiction qui nous est faite de plus en plus souvent de trouver dans le travail l’épanouissement de notre personnalité et la joie de se sentir utiles à nos semblables.
Préserver les artistes de la roulette russe du marché, mais aussi garantir comme la prunelle de nos yeux, leur liberté de création, est un devoir pour nous.
D’un autre côté, faire bénéficier le peuple tout entier comme le voulait Jean Vilar, de l’immense joie de découvrir les grandes œuvres et ne pas le traiter comme un troupeau de moutons tout juste bon à brouter la sous‐culture du Puy du Fou.
D’où l’importance de préparer les citoyens, dès l’enfance, à devenir à l’école et hors de l’école non seulement des connaisseurs mais surtout des pratiquants de plusieurs activités artistiques, pas seulement le dessin et la musique, mais aussi la danse, le théâtre, la radio, la télé, le cinéma, la poésie.
Ce qui suppose une meilleure formation artistique des profs, la collaboration intensive des artistes, ce qui implique que l’on cesse de couper les ailes aux petits artistes que sont souvent tout naturellement les enfants comme s’il y avait contradiction entre ces matières jugées secondaires, facultatives, voire inutiles et celles prétendues indispensables à une formation porteuse d’avenir.
Comme si l’immense joie de découvrir sa propre créativité n’allait pas irriguer tous les autres apprentissages.
Cela exige bien sûr de cesser d’amputer les budgets des collectivités territoriales.
Au même titre que les connaissances et les pratiques scientifiques, le développement des talents artistiques est nécessaire à l’éclosion de citoyens inventifs, pourvus d’esprit critique, ouverts aux autres, armés pour comprendre le monde qui les entoure, et pour le rendre plus solidaire et plus juste.
Dans les circonstances dramatiques que nous subissons, si nous laissons Hollande et Valls attenter aux libertés sous prétexte d’assurer la sécurité, ce sont les barbares qui auront gagné.
Les mesures annoncées ne feront qu’aggraver une situation qui n’a cessé de se dégrader ces derniers temps entre autre à la télévision et en particulier sur les chaînes publiques qui ressemblent de plus en plus aux autres. Même s’il y a encore certains jours, et à certaines heures, souvent tardives, quelques beaux restes de cette télé dont nous rêvions de faire une grande maison de la culture.
Au cours de la réalisation de mon dernier documentaire sur le traitement imposé par notre pays aux immigrés en France en 2013, année du tournage, j’ai subi la censure de la direction des documentaires de France 2 comme au bon vieux temps de l’ORTF gaulliste, ce qui a eu au moins l’avantage de me rajeunir…
Le spectacle lamentable de certains journalistes acceptant de relayer purement et simplement les discours de guerre de Manuel Valls est indigne.
Plus que jamais, nous devons défendre la liberté des journalistes, des cinéastes, de remplir avec esprit de responsabilité leur mission essentielle, qui consiste à fournir aux citoyens les armes nécessaires à l’exercice de leur métier de citoyens.
C’est décisif dans la situation dramatique et complexe que nous traversons.
Marcel Trillat, le dimanche 22 novembre 2015, au meeting culture de la liste « Nos vies d’abord » à Fontenay-sous-Bois (94). Marcel Trillat, réalisateur, est candidat sur la liste « Nos vies d’abord » dans le Val-de-Marne.