« Marseille éternelle », le titre est malheureux : même pour les croyants, il n’y a d’éternel que Dieu, alors quelque chose d’aussi humain qu’une ville, même si elle a 2000 ans et des broutilles… D’autant plus que si on regarde bien, elle nous parle bien de notre temps dans son choc de passé, de présent et de futur.
En vérité, il s’agit d’une petite sélection de peintres des 19°, 20° et même 21° siècles dont le sujet commun est cette ville. Inconnus du grand public pour la plupart, quelques-uns plus réputés régionalement : ce qu’on appelle parfois d’un terme que j’aime bien, « des petits maîtres » même si ce terme est un peu condescendant, venu du vocabulaire de ceux qui n’aiment le Grand Art, celui des Génies mondialement connus, consacrés par les plus célèbres musées… et les grands spéculateurs de ce monde. Ces petits maîtres, trop peu considérés —« tout ça c’est du cliché folklorique » — nous donnent à voir une Marseille qui a disparu :
— celle du port quand il était l’espace des habitants en promenade aussi bien que l’espace de travail des pêcheurs, des dockers, des marchands de toutes sortes aujourd’hui éjectés loin du cœur de la ville ;
— celle des « campagnes », ces grandes propriétés perchées sur les collines du nord de la ville, et dont les  noms aujourd’hui évoquent des quartiers populaires à l’habitat trop souvent dégradé : Saint-Louis, Campagne-l’Evêque, la Madrague, La Viste ;
— celle de l’allée de platanes à l’Estaque, juste à côté les barques de pêcheurs étaient tirées sur la rive (là où à la fin des années 50 un de mes amis a appris à nager en plongeant directement dans le port alors qu’aujourd’hui c’est un immense parking à bateaux de plaisance qui ne sortent  jamais, interdisant la mer aux habitants par des centaines de mètres de grilles).
Mais ils nous montrent aussi une Marseille qui est toujours là, celle du quartier du Panier, celle des collines blanches et du château d’If, celle de la beauté époustouflante de la  lumière sur le port et sur la rade, pour qui prend  parfois le temps de s’arrêter et de regarder, le soleil, la mer, les couleurs de la ville et de sa foule, je vous le recommande, cela fait du bien. Et c’est gratuit, on ne le dit pas assez, la beauté est gratuite, il faut juste faire un pas de côté, rien à vendre et rien à acheter, juste savoir sortir des urgences du travail, de l’argent, du souci ( c’est d’ailleurs pour ça que les marchands de tout ce qui peut faire marchandise, soutenus par la municipalité de Marseille, s’acharnent à privatiser le bord de mer comme à la plage des Catalans, ou à la Pointe Rouge où on a sur le sable bientôt plus de surface de terrasses, d’ailleurs vides de consommateurs, que d’espace disponible pour les familles de baigneurs — la preuve qu’il ne s’agit même pas de gagner plus d’argent, mais surtout d’interdire au peuple de jouir gratuitement de l’eau, de l’air et du soleil !)
Et entre ces peintures de cette exposition pas de grands textes pompeux où on vous « explique » — on aimerait même avoir deux ou trois renseignements : qui est ce peintre, où se trouve ce paysage, ce quartier ? Mais la bonne idée, c’est d’avoir posé çà et là, pour ceux qui en ont envie, de très courts extraits de textes de diverses époques qui donnent des regards des voyageurs qui découvraient la ville.
Et soudain le présent m’est revenu à l’esprit, le sinistre présent de ceux, du genre Ravier ou Ménard, qui nous font à longueur de temps le coup de l’  « identité » marseillaise ou sudiste… et cette exposition est la preuve qu’ils ne savent pas de quoi et de qui ils parlent : qu’ils viennent regarder attentivement ces tableaux, lire ces petits textes, et ils découvriront que le vrai Sud, que la vraie Marseille, c’est tout ce qu’ils détestent ! Comme souvent dans les tableaux depuis le XVII° siècle, que voit-on sur le port dans ce tableau Promeneurs et Marchands devant la Mairie  de Paul Martin (1821-1941) : deux personnages costumés à l’européenne et un costumé à la manière turque ! ILS nous envahissaient déjà il y a plus de cent ans et il se trouvait des Européens collabos pour converser tranquillement avec eux ! Que voit-on dans ces tableaux intitulés Marché Place de Lenche de Leprin (1891-1933), et  Notre-Dame de la Garde et les escaliers de la rue Bompard  de Hurrard (1887-1956) ou  La Montée des Accoules  De Cugis (fin 19°- début 20°) : partout du linge aux fenêtres ! Vous entendez Monsieur Ménard : c’était comme ça chez nous, les peintres trouvaient cela joli et pittoresques, déjà l’anti-France était à l’œuvre ! Et personne n’a jamais au nom de la « tradition » interdit ça !
Et cela continue avec les voyageurs qui s’émerveillent de Marseille :
—   Blaise Cendrars qui célèbre l’histoire « sanguinaire » de la ville, depuis l’Antiquité jusqu’à Carbone (dans les années 1920 le crime organisé sévissait déjà, et rien à voir avec les Arabes !) ;
—   Maupassant qui explique que vu la manière dont on parle ici, partout en France un Marseillais passe pour un étranger ;
—   Et j’ai gardé le meilleur pour la fin : André Chénier (1762-1794), ce poète que les réactionnaires font semblant d’aimer uniquement parce qu’il a été guillotiné  Beautés de Marseille… Heureux qui peut vivre près de vous… Dans son port tout hérissé d’une forêt de mâts, on trouve le Musulman, l’Indien… Marseille est tout l’univers ; Un poète, il y a trois cents ans : un chantre du multiculturalisme décadent ?
Bon, on arrêtera là, revenons à ceux de ces « petits maîtres qui ont un peu de célébrité : l’un est Joseph Garibaldi auquel Regards de Provence avait consacré une belle exposition en 2012 : un vrai Marseillais, né sur place — cet amoureux de la lumière de Marseille était fils d’un travailleur immigré italien travaillant pour l’entreprise Noilly Prat à Marseille ! Le plus connu de tous est Félix Ziem, le premier artiste qui a vu de son vivant une œuvre entrer au musée du Louvre, amoureux fou de toute la Méditerranée et en particulier du port de Marseille, qui a fini sa vie à Martigues, où il a un joli musée aujourd’hui. Bien Français, celui-là, né en Côte-d’Or… et fils d’un émigré polonais lui-même d’origine arménienne ! On n’en sort pas, c’est le complot mondialiste qui est « éternel »… ou en termes plus simples, c’est le brassage permanent qui a fait de nous ce que nous sommes !
Jusqu’où nous faudrait-il reculer pour trouver dans l’art une représentation pure d’une « vraie Marseille » débarrassée des étrangers ? Peut-être ce dernier texte, signé Cicéron, l’écrivain contemporain d’Astérix, nous y aidera-t-il : il y est bien question d’une ville cernée par les Barbares. Euh… la ville que Cicéron admirait pour ses institutions était une ville grecque, et les « Barbares » en question étaient …« nos ancêtres les Gaulois » (qui en réalité étaient alors des Ligures, et pas des Gaulois, mais c’est une autre histoire). Bref, Marseille n’est pas plus éternelle que la France, les seuls défenseurs des traditions et de l’identité sont ceux qui assument l’histoire cosmopolite et turbulente de la ville.
Allez voir cette petite exposition : on s’en met plein les yeux, on rêve au passé et au présent de la ville… et on reprend confiance en l’avenir, en confirmant s’il le fallait encore que ce qui est étranger à Marseille et au Sud, c’est le FN.

Jean-José Mesguen
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