En juillet dernier, en Martinique, un collectif baptisé RPPRAC a lancé un mouvement contre la vie chère. Les actions, soutenues par la population, ont parfois conduit à des actions violentes. Le gouvernement, comme toujours, combine répression et négociations. Ces dernières ont conduit à un accord rejeté par le RPPRAC.

Martinique, Guadeloupe, même combat contre la vie chère !

Par Colin Falconer. Le 21 octobre 2024.

En juillet dernier, en Martinique, un collectif baptisé RPPRAC a lancé un mouvement contre la vie chère1Crise en Martinique : comment « une révolution citoyenne » a mobilisé l’île contre la vie chère. Selon l’INSEE, les prix des produits de consommation y sont 12% plus élevés qu’en France, et surtout 40% plus élevés dans le secteur de l’alimentation (42% en Guadeloupe).

Soigneusement préparée, la campagne a commencé par une « injonction » aux patrons de la grande distribution à aligner leurs prix, avant le 31 juillet, sur ceux de la France « métropolitaine ». Elle est restée sans réponse. Dans un premier temps, des actions de rue et à l’intérieur des grandes surfaces ont été menées par quelques dizaines de personnes, toutes habillées en rouge. Une de leurs tactiques était de remplir des dizaines de caddies puis de les abandonner à la caisse. Le tout était diffusé sur les réseaux sociaux.

Les chauffeurs de taxi ont rejoint le mouvement avec une opération « escargot » sur des axes routiers majeurs. Ces actions ont rapidement trouvé un écho dans la population. Elles ont conduit à des actions violentes dans certains quartiers, sans que le RPPRAC soit impliqué. Plus d’une centaine d’entreprises ont été incendiées et dévalisées. Le coût immédiat a été estimé par la Chambre de commerce et d’industrie à 70 millions d’euros. Selon la Procureure de la République, à la date du 19 octobre, il y a 650 procédures en cours, et une centaine de personnes ont été placées en garde à vue. Cela donne une idée de l’importance des événements. En même temps, en Guadeloupe, quelques barrages ont été érigés et des exactions commises sans revendications apparentes ni lien avec le mouvement contre la vie chère.2Des blocages des routes, que cela soit par les syndicats, des associations ou de simples groupes de citoyens sont quasi quotidiens en Guadeloupe, et aboutissent rapidement à la paralysie du réseau routier, d’un quartier ou d’une zone commerciale. La sympathie ou la compréhension pour ces actions dans la population, mélangée à de l’exaspération, traduit un sentiment de ras-le-bol général. La situation sociale dans l’île est caractérisée par la précarité et l’appauvrissement d’une grande partie des classes populaires, qui contribuent à une insécurité croissante, l’émigration de nombreux-ses jeunes et une baisse importante de la natalité. Mais aussi par un grave problème d’approvisionnement en eau potable qui dure depuis plusieurs années et plus conjoncturellement par des coupures répétées d’électricité. Celles-ci sont liées à deux conflits sociaux séparés, l’un à EDF, l’autre au fournisseur privé d’électricité renouvelable, Albioma. Dans ces derniers cas, la colère de la population semble plus dirigée contre le principal syndicat concerné, la CGTG, que contre la direction ou le gouvernement. Le tout dans des conditions météorologiques qui rendent la vie quotidienne difficile, conséquence, il est clair, du réchauffement climatique.

Désobéissance

Un fait est particulièrement marquant dans cette initiative – en dehors de son originalité et son recours à des actions de désobéissance civile (toujours précédées d’appels à la non-violence). Elle a été lancée sans concertation avec les syndicats et les partis de gauche ou indépendantistes – lesquels dans le meilleur des cas ont été obligés de suivre le mouvement.3L’ancien dirigeant du syndicat nationaliste guadeloupéen UGTG et porte-parole du Lyonnaj Kont Pwofitasion (LKP), Élie Domota, a dénoncé ce qu’il décrit comme « des idées proches de l’extrême-droite » chez les animateur-rices du collectif. Cela qui reste à vérifier. On note par ailleurs le soutien au RPPRAC de Ludovic Tolassy, le porte-parole du collectif Moun Gwadloup [traduire « Peuple de la Guadeloupe »‘] – qu’on peut qualifier d’ « afro-nationaliste ». Il n’est autre que le frère du député européen du Rassemblement National (RN), Rody Tolassy. Au 2ᵉ tour de l’élection présidentielle de 2024, Marine Le Pen a obtenu 60% des voix en Martinique, avec une participation de 45%, après un 1ᵉʳ tour largement dominé par Jean-Luc Mélenchon. Même phénomène en Guadeloupe où les chiffres sont de 69% et 47%.

Le nom du collectif, le Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens, est loin d’être neutre. Tout comme un des slogans les plus populaires des manifestants·es : « On est chez nous ! ». Derrière l’objectif de faire baisser le prix des produits de consommation courante, que tous les « partenaires » jusqu’à l’Élysée trouvent justifié – en paroles au moins ! –, il y a un ressenti profond de toute une population.

Le RPPRAC ne limite pas ses ambitions à la Martinique. Des collectifs ont été créés en Guadeloupe, à la Réunion et parmi les originaires des DROM-COM (c’est la nouvelle appellation des DOM-TOM) installé·es en France. Il est vrai que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, une extension du mouvement paraît inévitable. Les Guadeloupéens et les Martiniquais souffrent du même système économique. Une poignée de familles – souvent héritières des anciens propriétaires esclavagistes – et quelques grandes enseignes françaises, profitent de la faiblesse de l’appareil de production locale et de leur mainmise sur les chaînes d’importation et de distribution.

Circuits de distribution

Qui plus est, les circuits de distribution et les mécanismes de fixation des prix sont complétement opaques. Tout le monde peut constater des anomalies. Ainsi, les produits locaux (quand on en trouve) coûtent plus cher que l’équivalent qui a parcouru des milliers de kilomètres. Les enseignes type Monoprix ne vendent que du café, de la confiture ou de la bière importés de France alors que la Martinique et la Guadeloupe en produisent en quantité.

Mais les habitant·es des deux territoires n’ont pas que la vie chère en commun. Iels ont également une histoire et une culture unique – une culture qu’iels partagent avec la population des autres îles de la région, devenues pour la plupart indépendantes depuis un demi-siècle. Ainsi, le leader charismatique du RPPRAC martiniquais, Rodrigue Petitot4Les fondateurs du RPPRAC étaient auparavant connus pour leur participation à une association, RVN (pour Rouge Vert Noir), qui militait pour l’utilisation du drapeau « officieux » martiniquais, symbole de la montée d’une certaine conscience nationale. On observe le même phénomène dans l’île sœur, où le « drapeau guadeloupéen » est devenu omniprésent en quelques années, sans bien sûr bénéficier d’un statut officiel. Rodrigue Petitot a vécu en Martinique et dans le Val-d’Oise. Il a été condamné plusieurs fois pour des délits, souvent en lien avec le trafic des stupéfiants. Le « R », comme on le surnomme, est devenu une figure de la contestation à travers notamment sa maîtrise des réseaux sociaux comme TikTok. Ses deux co-porte-paroles, Aude Goussard et Gwladys Roger, qu’on présente comme des « militantes indépendantistes », sont également de formidables communicantes. Il est intéressant de constater qu’à la différence des syndicalistes nationalistes, ils s’expriment la plupart des fois devant les médias en français plutôt qu’en créole., pouvait déclarer à son arrivée dans l’île « sœur » que son mouvement ne représentait ni le « peuple guadeloupéen » ni le « peuple martiniquais » mais le « peuple caribéen ». Guadeloupe-Martinique, affirme-t-il, « Même combat, même ennemi ».

Cette identité distinctive a été forgée par opposition à la violence et aux discriminations du système colonial. L’aspiration à l’indépendance ou, au moins, à une plus grande autonomie n’a pas complètement disparu. Certains parlent de « relocaliser le pouvoir » sans trancher la question de la souveraineté, d’autres mettent l’accent sur l’autonomie alimentaire et le « produire local ». Mais la population revendique, en même temps et à juste titre, l’égalité de traitement avec les autres Français·es. À chaque crise de ce type, on entend souvent la question : « On est français ou on n’est pas français ? » C’est le cas face au refus d’agir des autorités françaises. Plus fortement encore face à la répression et aux violences policières.

Contestation

Les dirigeant·es politiques locaux·ales ont exprimé de la sympathie pour le mouvement, tout en déplorant les violences. Iel pouvaient difficilement faire autrement. Car le problème de la vie chère est connu et ancien. Il était à la base du grand mouvement de contestation de 2009 dont l’épicentre était la Guadeloupe. Ce problème n’a pu être résolu par les canaux institutionnels. Le désintérêt des gouvernements successifs pour les DROM-COM est flagrant. Il y a eu, par exemple, cinq ministres ou ministres délégués de l’Outre-mer depuis 2022 ! Il faut que des grèves, des blocages et des émeutes fassent la une des journaux pour susciter à nouveau l’intérêt.

Le gouvernement Barnier a réagi comme à l’accoutumée. Il utilise une combinaison de répression – y compris pour la première fois en Martinique depuis les années 1950 en envoyant les CRS – et de négociations. Le RPPRAC s’est constitué en association il y a seulement quelques mois. Alors que son principal porte-parole est un ancien détenu, il a obtenu un résultat remarquable. En quelques semaines, il a entraîné le patronat et les acteurs économiques locaux, le président de la collectivité territoriale – Serge Letchimy – et d’autres responsables politiques, le préfet et des chefs des services de l’État à la table des négociations. Ses représentants, forts d’une grande popularité,  ont renoncé à l’objectif d’un alignement complet des prix. Mais, ils ne se sont pas laissés intimider et n’ont pas cédé aux injonctions d’arrêter le mouvement. Tout le monde a pu le constater, grâce à leur sens de la communication et aux réseaux sociaux qui ont diffusé leurs interventions.5Alors que Rodrigue Petitot participait aux négociations, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, l’a indirectement, mais clairement, menacé en annonçant « un travail avec la justice pour judiciariser un certain nombre d’individus ».

Entre volonté de « casser » le mouvement – au risque de provoquer des troubles plus graves encore – et prudence liée à la situation politique en France, le gouvernement doit hésiter. Ceci d’autant que la grave crise que traverse la Kanaky n’est pas résolue. Il sait que les territoires d’outre-mer sont de véritables poudrières prêtes à exploser à tout moment.

Mercredi 16 octobre, un accord a été signé entre tous les participants à la table ronde. Seul le RPPRAC a aussitôt annoncé la poursuite du mouvement. « Les promesses, a déclaré Rodrigue Petitot, n’engagent que ceux qui y croient ». Le collectif a donc intérêt à maintenir la pression. L’accord prévoit une baisse moyenne de 20% du prix de 6 000 références dans les supermarchés. Cette baisse est largement financée par des suppressions de taxes (TVA, octroi de mer, etc.). L’accord comprend des mesures conçues pour réduire le coût d’acheminement des produits importés (comme le sont la grande majorité) ou assurer le respect des engagements par des contrôles renforcés. Ce qui n’était pas possible avant est soudainement devenu possible. Mais, la vigilance s’impose !

Mais selon le RPPRAC, qui demandait l’application des mesures à l’ensemble de l’alimentaire, soit 40 000 références, l’accord représente un échec.

Samedi 19 octobre, environ 2 000 personnes ont pris part à un rassemblement à Fort-de-France où les dirigeant·es du mouvement ont annoncé de nouvelles actions à partir du lundi suivant.


Pour compléter, vous pouvez lire sur notre site :

Notes
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  • 2
    Des blocages des routes, que cela soit par les syndicats, des associations ou de simples groupes de citoyens sont quasi quotidiens en Guadeloupe, et aboutissent rapidement à la paralysie du réseau routier, d’un quartier ou d’une zone commerciale. La sympathie ou la compréhension pour ces actions dans la population, mélangée à de l’exaspération, traduit un sentiment de ras-le-bol général. La situation sociale dans l’île est caractérisée par la précarité et l’appauvrissement d’une grande partie des classes populaires, qui contribuent à une insécurité croissante, l’émigration de nombreux-ses jeunes et une baisse importante de la natalité. Mais aussi par un grave problème d’approvisionnement en eau potable qui dure depuis plusieurs années et plus conjoncturellement par des coupures répétées d’électricité. Celles-ci sont liées à deux conflits sociaux séparés, l’un à EDF, l’autre au fournisseur privé d’électricité renouvelable, Albioma. Dans ces derniers cas, la colère de la population semble plus dirigée contre le principal syndicat concerné, la CGTG, que contre la direction ou le gouvernement. Le tout dans des conditions météorologiques qui rendent la vie quotidienne difficile, conséquence, il est clair, du réchauffement climatique.
  • 3
    L’ancien dirigeant du syndicat nationaliste guadeloupéen UGTG et porte-parole du Lyonnaj Kont Pwofitasion (LKP), Élie Domota, a dénoncé ce qu’il décrit comme « des idées proches de l’extrême-droite » chez les animateur-rices du collectif. Cela qui reste à vérifier. On note par ailleurs le soutien au RPPRAC de Ludovic Tolassy, le porte-parole du collectif Moun Gwadloup [traduire « Peuple de la Guadeloupe »‘] – qu’on peut qualifier d’ « afro-nationaliste ». Il n’est autre que le frère du député européen du Rassemblement National (RN), Rody Tolassy. Au 2ᵉ tour de l’élection présidentielle de 2024, Marine Le Pen a obtenu 60% des voix en Martinique, avec une participation de 45%, après un 1ᵉʳ tour largement dominé par Jean-Luc Mélenchon. Même phénomène en Guadeloupe où les chiffres sont de 69% et 47%.
  • 4
    Les fondateurs du RPPRAC étaient auparavant connus pour leur participation à une association, RVN (pour Rouge Vert Noir), qui militait pour l’utilisation du drapeau « officieux » martiniquais, symbole de la montée d’une certaine conscience nationale. On observe le même phénomène dans l’île sœur, où le « drapeau guadeloupéen » est devenu omniprésent en quelques années, sans bien sûr bénéficier d’un statut officiel. Rodrigue Petitot a vécu en Martinique et dans le Val-d’Oise. Il a été condamné plusieurs fois pour des délits, souvent en lien avec le trafic des stupéfiants. Le « R », comme on le surnomme, est devenu une figure de la contestation à travers notamment sa maîtrise des réseaux sociaux comme TikTok. Ses deux co-porte-paroles, Aude Goussard et Gwladys Roger, qu’on présente comme des « militantes indépendantistes », sont également de formidables communicantes. Il est intéressant de constater qu’à la différence des syndicalistes nationalistes, ils s’expriment la plupart des fois devant les médias en français plutôt qu’en créole.
  • 5
    Alors que Rodrigue Petitot participait aux négociations, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, l’a indirectement, mais clairement, menacé en annonçant « un travail avec la justice pour judiciariser un certain nombre d’individus ».