Centre de stockage profond des déchets radioactifs français
Echange avec Claude KAISER,  secrétaire de l’association des élus de France opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs, adjoint au maire à Ménil-la-Horgne, et impliqué dans cette mobilisation depuis 25 ans.

Quelle est la situation à Bure, après l’intervention des forces de police pour évacuer les occupants de la zone du Bois Lejuc le 22 février dernier ?
D’un point de vue physique, il n’y a plus d’occupants dans le bois sur la zone qui était occupée depuis l’été 2016 par un nombre variable de personnes.
Depuis, des tentatives de réoccupation se sont faites ponctuellement mais elles sont immédiatement ré-expulsées par les forces de l’ordre restées sur place.
Moralement, la situation est paradoxale car il y a eu un choc et un abattement suite à la brutalité de l’intervention. Les plus impliqués, notamment ceux qui ont passé l’hiver dans le bois, ont vécu très durement ce coup porté. En même temps, les pouvoirs publics par cette action ont suscité une émotion et des dizaines de comités de soutien aux opposants de Bure se sont créés. C’est une situation inédite dans l’histoire de la mobilisation, et qui de fait la renforce.

Quelles sont les formes que prend la répression ?
Le secteur de Bure est quasi militarisé, drones et hélicoptères survolent tous les jours les alentours. La maison de la résistance est contrôlée par les militaires lorsque nous nous y réunissons. Les barrages avec fouilles de véhicules sont monnaie courante. Il y a eu des procès avec des demandes de condamnation de plusieurs militants (3 à 4) dont certains ont passé un temps important en détention.
A titre d’exemple, un militant a été arrêté avec 2 opinels, un câble électrique et une pelle à tarte dans son véhicule : 2 mois de prison avec sursis ont été requis contre ce militant lors de son procès qui a eu lieu la semaine dernière !
Cette criminalisation est sans précédent. Un autre militant a été condamné à 8 mois de prison ferme pour rassemblement non autorisé à proximité de Bure suite à la manifestation des 3 et 4 mars. Cette manifestation a été interdite et le cortège bloqué. Il s’en est suivi 8 arrestations.  Toutes les réunions même situées loin de Bure, sont sous haute surveillance, toutes nos conversations sont écoutées, nos carnets d’adresse sont connus. Le procureur a monté un dossier pour « association de malfaiteurs en bande organisée ». C’est de nature à rebuter beaucoup de personnes.

Quelles sont les réactions de la population et des élus locaux ?
Une grosse majorité d’élus est silencieuse voire favorable en raison des moyens de pression utilisés par l’ANDRA (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) ainsi que des retombées financières (déjà versées sous le terme « accompagnement financier » de 30 millions d’euros par département pour la Meuse et la Haute Marne alors que le projet n’est pas encore autorisé : un fait totalement inédit en état de droit…).
Du côté de la population, c’est l’opposition au projet qui domine mais également la résignation face aux moyens de force déployés.

Quelles sont les revendications actuellement ?
Les opposants demandent que l’abandon du projet puisse être discuté réellement. Même si le problème des déchets demeure et que l’urgence est la sortie du nucléaire, nous préconisons une solution de stockage en faible profondeur à proximité des sites de production dans des conditions de sécurité optimum.
Enfouir les déchets c’est pour dire « on les a mis quelque part et on passe à autre chose » alors qu’il faut que cela reste un sujet de recherche permanent. En outre, le projet Cigéo implique de transporter et de stocker de manière massive et concentrée tous les déchets produits en France, ce qui représente un danger totalement inconnu et non maîtrisable.
L’enfouissement sans recherche réelle et sérieuse est un abandon face à la question de déchets nucléaires. C’est indigne pour les générations futures. Une fois les déchets enfouis pour un coût faramineux, il n’y aura pas de réversibilité.

Quelles sont les perspectives pour la mobilisation par rapport au calendrier annoncé par le gouvernement et l’ANDRA ?
L’autorité sûreté nucléaire et la cour des comptes  ont chiffré le projet entre 40 et 50 milliards mais les producteurs de déchets l’estimaient bien en dessous, l’Etat a tranché à 25 milliards d’euros pour une mise en service à l’horizon 2025. C’est totalement farfelu de marchander ainsi !
La date d’autorisation du projet a été repoussée de 2018 à 2019 notamment face aux arguments d’expertise des opposants sur les risques d’explosion et d’incendie du fait de certains cocktails (bitume-hydrogène) qui seront concentrés là.
Les pouvoirs publics annoncent un nouveau débat public à grand renfort de média qui sera une mascarade comme les précédents car l’Etat n’a aucune intention de remettre en cause le projet.
Pourtant nous demandons depuis 25 ans qu’un véritable débat ait lieu. Si ce n’était pas aussi grave, on pourrait railler le reniement de Hulot qui s’est ridiculisé puisqu’il avait déclaré s’opposer au projet … mais c’était avant d’entrer au gouvernement !!

Côté mobilisation, quelles sont les raisons d’espérer ? 
Les gens se disent que l’abandon de l’aéroport de Notre Dame des Landes est une victoire qui rend possible aussi une victoire à Bure. Les militants qui étaient mobilisés sur la ZAD là bas ou dans des comités locaux, peuvent aussi venir à Bure.
La dizaine d’associations d’opposants  qui sont constituées autour de Bure fait preuve d’une grande solidarité, y compris entre ceux qui utilisent différentes méthodes d’action (hiboux/chouettes …). Les tentatives de division du gouvernement dont le secrétaire d’Etat voulait recevoir seulement certaines associations vues comme plus « respectables » ont échoué, collectivement les associations ont refusé de jouer ce jeu.
La prochaine échéance d’importance est la Grande MANIFESTATION à BAR-LE-DUC LE 16 JUIN 2018
Cette manifestation rassemblera sans doute beaucoup plus que les fois précédentes du fait de l’élargissement et de la médiatisation du mouvement. Nous avons observé un nouvel intérêt des journalistes et des medias. Nos arguments sont entendus.
Nous avons de nombreux contacts, y compris dans les pays limitrophes européens (Allemagne, Belgique …) et des soutiens qui arrivent par message de partout dans le monde. Cette solidarité qui a franchi les frontières est une formidable source d’optimisme et d’enthousiasme. On peut les battre !
Propos recueillis le 14 mars 2018 par Laurence Lyonnais,
Merci à Claude Kaiser pour sa confiance et son témoignage,  Rejoignons la mobilisation !