C’est un honneur de publier ce texte de Philippe Tancelin. Comme une suite de son poème de février 2023 : Les amants de Gaza. Depuis les années 1970, son écriture résonne de ses rencontres sur les fronts de résistance contre l’exclusion, l’exploitation des démunis, le soutien aux peuples opprimés (Tiers-monde, Palestine…). Dans le courant des années 1990, il a créé de nombreux ateliers de création poétique dans différents milieux : universitaire, scolaire et marginalisé. Aux éditions l’Harmattan, il a dirigé avec Bela Velten EFFRACTION I Fragments, lambeaux recueil d’un collectif de Poètes des cinq continents1EFFRACTION I Fragments, lambeaux Collectif de Poètes des cinq continents Philippe Tancelin Bela Velten Collection : Poètes des cinq continents.
« Mort » d’un écrivain poète : Nour EL-Din Haggag (27 ans)
Par Philippe Tancelin2Philippe Tancelin cultive une approche poétique de l’histoire et de la relation témoin-événement. Docteur d’État en Philosophie-Esthétique. Professeur Émérite des Universités de Paris 8.. Le 7 décembre 2023 à 18h
Gaza dernière heure…
Le jeune écrivain poète Palestinien Nour El-Din Haggag vient de mourir le 5 décembre, suivi le 7 décembre du poète Refaat Alareer, après le bombardement de leur maison à Gaza. Un des derniers écrits, de Nour-El-Din explicitait pourquoi, au risque de sa vie, il refusait de quitter sa terre et demeurait à Gaza.
Ces écrivains-poètes en qui le peuple palestinien se reconnaissait à hauteur de sa résistance par le poème sont ce jour parmi des 17 000 victimes de la guerre ordonnée contre les Palestiniens.
À ce titre, il n’est pas plus à pleurer que toutes les autres victimes et parmi elles, les 6 000 enfants massacrés, sans compter les milliers de mutilés.
Compte tenu de l’usage de l’intelligence artificielle à dessein de cibler des bombardements, avec les projections que cela offre, les prévisions que cela donne sur les cibles visées, on ne peut s’empêcher de penser qu’il était intentionnel de la part de l’agresseur de viser la maison des poètes avec toute la charge symbolique que cela implique.
Si ce voulait être ici la preuve d’un « esprit » de l’IA, tel esprit n’aura été que bien artificiel dans sa fonction symbolique. En effet c’est oublier d’une part que Nour El-Din et Refaat Alareer, au nom du traumatisme de la Nakba, représentent comme d’autres Palestiniens le refus d’abandonner terre et maison sous la contrainte de l’oppresseur, mais c’est surtout ne rien comprendre à l’esprit palestinien, à la culture palestinienne de résistance et ses figures symboliques.
Depuis 75 ans, toute l’histoire culturelle des Palestiniens est habitée du poème. Le poète y est perçu tout autant comme celui qui inspire son peuple que comme celui que le peuple, dans sa résistance, inspire. Il n’est qu’à lire et relire le lien qui unit la poésie palestinienne et son peuple comme jadis en leur temps des Villon, Hugo, Eluard, tant d’autres et le peuple des Français résistants, se sont mutuellement inspirés.
Si Aujourd’hui Gazaouis, Palestiniens de Cisjordanie et tous ceux de la diaspora pleurent Nour El-Din Haggag , ils pleurent l’Homme comme tous les autres parmi leurs frères, ils pleurent ce qui, à travers eux, est atteint de la poésie. Ils pleurent sur ce qui en eux-mêmes a voulu être brisé de leur lien poétique à la nature, à l’olivier, au citronnier, au jasmin, à leurs parfums issus de la terre sur laquelle ils sont nés, dont ils cultivent, chérissent les fruits autant naturels que spirituels.
Mais ces pleurs désaltèrent la terre et son esprit meurtris par les bombes ; cela l’intelligence artificielle, jamais ne saura l’intégrer, le faire rentrer dans ses données insensibles à la présence.
Tuer le poète encensé par son peuple n’aura d’autre effet que la poursuite confirmée, voire renchérie du poème de résistance écrit par le peuple palestinien depuis si longtemps.
Nour El-Din Haggag et Refat Alareer sont ce jour spirituellement plus vivants que morts. Leur plume tombée de leurs doigts resurgit d’entre toutes les mains que son esprit guide à travers les pages d’histoire vivante que l’IDÉE palestinienne écrit et écrira pour le meilleur d’un peuple-poème de libération.
Tout regard funèbre ne voit que la concurrence
des yeux clos avec les yeux ouverts
Il ignore l’entrée du rêve dans le vivant
La mort n’interrompt pas
le poème dont court le fleuve
et jamais ne s’attarde
à ses reflets
Loin avec lui
est la porte donnant sur le réel
Merci à l’AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine) de nous permettre de donner à lire « Bonsoir le monde », les derniers mots de l’écrivain palestinien Nour el-Din Haggag depuis Gaza.
Nour El-Din Haggag, âgé de 27 ans, écrivain palestinien de Gaza. Israël l’a assassiné le 5 décembre. Il voulait être entendu, c’est pourquoi il a écrit ceci le 28 novembre. Nous vous entendons !
Pour lire son texte, cliquez sur la photo
Notes
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- 2Philippe Tancelin cultive une approche poétique de l’histoire et de la relation témoin-événement. Docteur d’État en Philosophie-Esthétique. Professeur Émérite des Universités de Paris 8.