Naomi Klein, journaliste, essayiste était pour quelques jours en France pour assurer la promotion de son dernier livre « Tout peut changer. Capitalisme & changement climatique » paru chez Actes Sud. A cette occasion une conférence était organisée ce mardi 31 mars à Saint-Denis par le laboratoire d’économie dionysien (LED) de l’Université Paris 8 (Saint-Denis), son éditeur Acte Sud, ATTAC France, 350.org, mais aussi Médiapart et Bastamag.
Naomi Klein démarre son intervention en rappelant comment, à la veille de la Conférence climat de Paris (COP21), qui se tiendra au Bourget à la fin de l’année, les habitants de cette planète font preuve de beaucoup de procrastination. Déjà avec une augmentation de 1 °C, par rapport au début de l’ère industrielle, nous voyons apparaître de premières catastrophes climatiques (typhon, etc.). Dès lors, nous ne pouvons envisager sereinement une augmentation supérieure, entre 4 à 5 °C par exemple. Ce qui, pour elle, est le plus préoccupant (le plus terrifiant), ce n’est pas seulement les conséquences climatiques de ce réchauffement, mais la brutalité de la société libérale et du modèle économique qui l’accompagne. Ne rien faire, laisser le système capitaliste assurer toutes les régulations, nous conduit tout droit à une catastrophe annoncée. La bonne nouvelle, nous confirme-t-elle c’est qu’il n’est pas encore trop tard pour agir, pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Mais pour ce faire, il nous faut modifier, changer notre modèle économique. Toutefois, prisonniers de ce système libéral qui a pour seul but de continuer à emmagasiner des profits, nous inventons, nous élaborons de fausses solutions à connotation scientifique.
Elle nous explique qu’une autre caractéristique de ce système, c’est l’incapacité de nos gouvernants à prendre des décisions en la matière (ce serait trop complexe, contraire aux tendances de la nature humaine, etc.) ; du coup, rien ne bouge hormis l’augmentation des profits des entreprises. Ce qui est surprenant c’est que, si les États n’aboutissent pas dans les négociations climatiques, ils arrivent très bien à négocier des traités commerciaux sophistiqués avec, par exemple, des sanctions ou des dispositifs contraignants, et à se mettre d’accord avec une rare efficacité. La raison de ce décalage, de cette incapacité à traiter de la question climatique réside, d’après elle, dans le fait que personne ne semble souhaiter la remise en cause de notre système libéral et au-delà même tout débat sur cette question. Le mode de pensée dominant part du postulat que l’homme est égoïste et agit toujours dans son intérêt et qu’il n’est donc pas enclin à des sacrifices pour le climat. Pour autant, le système a mis en place une politique d’austérité et la précarisation des plus fragiles, que les gens semblent pour le moment accepter.
Autre élément de la problématique : fin 1988, c’est la création du GIEC. Dès cet instant, plus personne ne peut remettre en cause la parole des scientifiques qui nous montrent la réalité du réchauffement climatique. Mais dans cette même période, se signe l’accord de libre-échange entre les USA et le Canada et débutent des négociations mondiales sur les échanges commerciaux. Le réchauffement climatique a pour origine l’activité humaine dans les pays du Nord avec des conséquences dramatiques pour les pays du Sud. Il met en exergue des notions éthiques et pointe les inégalités de traitement entre les hommes et la nécessité de modifier nos comportements économiques dans le Nord. Dans ces mêmes périodes, les pays du Nord ont au contraire engagé des logiques de privatisation des grands services publics en particulier de l’énergie, laissant ainsi à la libre concurrence le soin de tout réguler. Pour autant, certains pays nous donnent des exemples positifs comme l’Allemagne qui a mis en place une transition énergétique particulièrement efficace d’une part en abandonnant le nucléaire et d’autre part en atteignant (en quelques années) l’objectif d’avoir 30 % de son électricité produite par des sources renouvelables. À noter que ce changement de cap s’est fait sous la pression des citoyens qui ont montré la nécessité de remettre dans le secteur public des entreprises qui avaient été privatisées.
Pour Naomi Klein, il y a manifestement conflit entre la réduction indispensable de nos émissions de gaz à effet de serre et les profits des grands groupes industriels. En plus, cela se situe dans un discours accompagnant une politique d’austérité et affirmant il n’y aurait plus d’argent. Ainsi, nous serions dans l’incapacité de faire les investissements indispensables pour assurer une transition énergétique. Enfin, les questions climatiques sont traitées dans un discours particulièrement technocratique, avec un vocabulaire « jargonneux » (sous prétexte de la complexité de ces questions !), d’où une incompréhension et un manque d’implication des populations qui n’ont aucune raison d’être.
Aujourd’hui, elle nous confirme que nous ne pouvons pas nous contenter de réduire nos émissions au niveau d’avant la période néo-libérale. De fait réduire ces émissions à un niveau suffisant ne peut se faire sans remettre en cause le système capitaliste lui-même. Pour illustrer son propos, elle nous explique comment le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius lui-même, affirme que s’il est indispensable d’arriver à un accord lors de la COP21, il ne faudrait pas, pour autant, que cet accord remette en cause la croissance économique ! Pour Naomi Klein, cela en dit long sur la réelle volonté d’aboutir.
En fait, nous dit-elle, nous sommes face à une crise du discours, du propos. Depuis plusieurs siècles nos civilisations sont dans une logique de domination du monde, au service de l’homme. L’ensemble des machines inventées par l’homme nous confirme que nous pouvons nous affranchir de toute contrainte pour produire plus. La planète est vite perçue comme un système sans limites à disposition du productivisme. Elle explique qu’il nous faut accepter l’idée que nous ne sommes pas des « dieux tout puissants » en capacité de contrôler la planète. Il faut que nous inventions un nouveau récit, de nouveaux concepts, pour décrire les relations entre les êtres humains d’une part et entre les êtres humains et le monde naturel (la planète) d’autre part. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant et il nous faut agir, d’autant plus que le système capitaliste néo-libéral est en crise. De nouvelles organisations ont pris conscience le la nécessité de mettre fin aux politiques extractivistes (charbon, gaz de schistes, etc.), aux politiques de grands projets inutiles et imposés. De plus en plus nombreux sont les humains qui pensent indispensable d’arrêter le pillage de la planète.
Elle termine son intervention en insistant sur l’opportunité que représente la tenue en décembre prochain de la conférence climat au Bourget. À côté des mouvements de justice climatique qui prennent de plus en plus d’importance dans le monde, se développent en Europe des mouvements luttant contre l’austérité imposée par le système. Et de citer comme exemple Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, mais aussi ce qui s’est exprimé lors de la manifestation contre l’inauguration de la BCE à Francfort. Car tous ces gens ont compris que les politiques d’austérité mises en œuvre par la « troïka » s’attaquent aux salaires, aux services publics, au pouvoir d’achat, mais jamais n’abordent la question de la transition énergétique et du réchauffement climatique.
Naomi Klein conclura son intervention en rappelant que la conférence sur le climat de Paris doit servir de porte-voix contre toutes les crises, celles générées par le dérèglement climatique, mais aussi par le système néo-libéral. Elle appelle tous les Français à se mobiliser lors de la COP21 et à faire entendre leurs voix.
René Durand