Jean-Claude Mamet interroge la communication du Nouveau Front populaire. Se focaliser sur la recherche de la bonne personne pour le poste de Premier·ère ministre, n’est pas la meilleure solution. Pour lui, la priorité est de dire ce qui est possible immédiatement. Donc des mesures d’urgence. Il en cite un certain nombre.

Débats Nouveau Front populaire : le bon dosage du rapport entre « incarnation » et « propositions »

Par Jean-Claude Mamet. Le 16 juillet 2024.

Depuis la proposition de Laurence Tubiana comme Première ministre issue de ladite « société civile », le débat s’amplifie à gauche et vire au découragement.

La raison principale vient de la signature par Mme Tubiana d’une tribune appelant le NFP à « négocier » pour gouverner (sous-entendu : vers des députés du « centre » macronien).

Ne connaissant pas L. Tubiana (à part ses compétences écologiques et aussi son souci démocratique), je ne sais pas ce qu’il en est réellement. Elle a signé l’appel dit « Cagé », ce que peu de macroniens ont dû faire…

Mais, dans cette affaire, il me semble que les questions sont mal posées : la charrue avant les bœufs. Je crois qu’il y a un problème de priorité dans la communication publique du NFP, entre les propositions d’incarnation et celles de propositions. Certes, il faut un·e premier·ère ministre ! Mais il faudrait surtout dire publiquement pour quoi faire à court terme.

Visiblement, Macron n’est pas pressé, il nous laisse nous diviser. C’est pourquoi il faudrait dire, avant tout, ce que nous voulons pour les semaines à venir. Et de là, en faire découler un gouvernement.

Ce n’est peut-être pas aussi mécanique que cela, mais quand même. Il faut arrêter de focaliser sur les noms, car cela dépossède tout le monde et créée des suspicions.

Évidemment, pour dire ce qu’on veut, il faut d’abord clarifier un point : on ne pourra pas à court terme appliquer tout le projet NFP.

Ce ne sera pas tout le programme du NFP (pas tout de suite), mais des mesures d’urgence oui !

À court terme, si nous arrivons à faire admettre un gouvernement NFP (ce qui est loin d’être gagné, c’est même peu probable), il faut être clair sur un point : ce sera d’abord un gouvernement pour l’urgence.

La population attend des mesures qui changent sa vie concrètement. Toute attitude qui dirait : « c’est tout le programme ou rien », signifierait que nous avons des intérêts particuliers passant avant ceux des smicards, des précaires, des mal-logé·es, avant l’amélioration immédiate des services publics, etc.

Le NFP doit gouverner, mais dire ce qui est possible, même sans majorité absolue à la Chambre.

Je ne suis pas très au fait de ces questions, mais il ne doit pas manquer dans le NFP de personnes qualifiées pour le préciser. Par exemple, il me semble qu’il est possible :

  • D’augmenter le SMC tout de suite. Même si ce n’est pas 1 600, une première hausse de 100 euros serait une première depuis 12 ans ! Car le SMIC n’a été augmenté ces derniers temps que sur la base légale de l’inflation. Jamais depuis 2012 par volonté politique.
  • Augmenter le RSA dans les mêmes proportions, et les minimas sociaux.
  • Augmenter dans les mêmes proportions le point d’indice de la Fonction publique.
  • Modifier les décrets des facteurs de pénibilité au travail et inclure les 10 facteurs énumérés avant que Macron n’en retienne que 3. Avec cela, on aurait enfin une première parole publique nationale sur le travail réel !
  • Abolir le décret sur les indemnités prudhommales au forfait en cas de licenciement injustifié, décret déclaré illégal par la Cour européenne des droits de l’homme.
  • Rétablir si possible les CHS-CT par décret. Mais comme il s’agissait d’ordonnances, peut-être faut-il une loi. À regarder de près.
  • On peut sans doute faire un moratoire sur les décrets d’application de la réforme des retraites. Pour abolir la loi, il faut les voix du RN ce qui demande une réflexion préalable, car c’est… compromettant.
  • adopter un moratoire cet été sur les méga-bassines. Il y a des mobilisations en cours.
  • Suspendre l’A 69.
  • Abolir les groupes de niveau dans l’Éducation nationale.
  • Mettre en place des certificats signés lors des contrôles d’identité.
  • Etc.

Si les « quatre partis » et les député·es du NFP organisaient une conférence de presse pour dire : « Nous voulons gouverner, et voilà les premières mesures que nous voulons prendre », je pense que les débats sur les ministres prendraient une autre dimension.

En tout cas, on saurait pourquoi on propose unetelle ou untel. Car depuis une semaine, on ne sait pas ! À part que certains disent : « tout le programme » et d’autres disent : « ce n’est pas possible ». Disons ce qui est possible tout de suite !

On va me dire : ton truc n’est pas crédible. Il faut des têtes pour faire cela, sinon c’est abstrait. OK, mais jusqu’à maintenant, on n’a que les têtes (et les polémiques). Ce qui correspond à une pression médiatique à laquelle il faut apprendre à résister calmement, y compris si on veut une seule tête pour… plus tard.

Comment gouverner à plus long terme ?

À supposer qu’un gouvernement NFP se mette en place, même à minima à court terme, il devra dire comment il s’y prend pour la suite.

Je vois une solution et une condition.

a) La solution est de miser sur la démocratie citoyenne extra-électorale. Cette démocratie peut combiner plusieurs éléments :

      • Les partis du NFP doivent s’entendre pour proposer de généraliser les Assemblées citoyennes à l’automne, et permettre l’adhésion directe, par exemple par des associations locales.
      • Il y a un point d’appui important pour aller dans cette direction : les élu·es territoriaux·ales. Si les maires et président·es de départements à majorité NFP se concertent pour mettre leurs moyens au service des assemblées, alors des pas en avant significatifs sont possibles, bien sûr sans empiéter sur l’indépendance des assemblées ou des collectifs de base. Mais, là encore, il faudrait que les partis se mettent d’accord, ou peut-être par accords de proche en proche, sur la base d’initiatives qui font mouche et donnent envie.
      • Quant au gouvernement provisoire, il peut lancer à l’automne un projet de Convention citoyenne nationale sur 4 ou 5 grands chantiers, dont les problèmes de financement. Sur tirage au sort. Le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) pourrait être sollicité pour superviser sur le plan administratif. Quel est le but ? Proposer une médiation démocratique pour débloquer l’absence de majorité, à partir de l’examen des projets des partis et des forces citoyennes, syndicales et associatives. Et au passage faire un grand pas en avant pour la réforme nécessaire des institutions vers une autre République démocratique, sociale, écologique.

b) La condition, c’est le maintien d’une mobilisation populaire et citoyenne. Elle peut exister s’il y a une confiance, notamment à partir des premières mesures d’urgence. Le monde du travail et la population se diront : cela vaut le coup d’agir avec les syndicats, les associations et de faire pression sur le gouvernement.

Et si la mobilisation est au rendez-vous, alors on pourra, peut- être, appliquer tout le programme.