Nicolas Bultot, homme de conviction et d’action
Par Jacques Fontaine, Jean-Paul Bruckert, Daniella Chaillet, Jacques Ménigoz… et avec la participation de Martine Bultot. Le 14 septembre 2023
Nicolas Bultot, né le 23 août 1938 à Barcelone, est décédé le 21 mai 2023 à Tronche (38). Sa mère est une militante républicaine espagnole originaire des Asturies, son père un volontaire belge des Brigades internationales. Il connaît très tôt les chemins de l’exil avec sa mère qui arrive en Franche-Comté vers 1940. Ses premières années, pendant la seconde guerre mondiale, sont particulièrement difficiles et il en restera marqué toute sa vie.
Dès qu’il est salarié de l’usine Rhodiaceta, Nicolas s’engage au Parti communiste et à la CGT. À la fin de la guerre d’Algérie, au cours d’un rassemblement de travailleurs étrangers, il a demandé une minute de silence à la mémoire de toutes les victimes, c’est-à-dire aussi bien les soldats français que les algériens. Cela a créé un scandale, et l’État français a demandé une 1ʳᵉ fois son expulsion. Grâce à la mobilisation de la population, de la CGT et du PC, il est resté en France. Il en est l’un des militants les plus actifs, participant à toutes les actions dont la grève de 1967. La Rhodiaceta produit sur Besançon du fil polyester et compte à son apogée, en 1966, 3 283 salariés, faisant d’elle la plus importante des grandes entreprises de la capitale comtoise, devant les usines d’horlogerie Lip et Kelton.
Les grèves de 1967 à la Rhodiaceta dans les régions bisontine et lyonnaise préfigurent la grève générale ouvrière de Mai 1968. Pendant ce mois de mai, tentant de lier les luttes ouvrières et étudiantes, Nicolas est l’un des rares responsables syndicaux du monde du travail à être venu à plusieurs reprises à la Faculté des Lettres, avec quelques camarades, assister aux assemblées générales étudiantes qui se tenaient tous les jours à l’amphi Donzelot. Mettant ses actes en accord avec ses idées, il demande à être accompagné d’étudiants pour populariser et étendre la grève à Baume-les-Dames.
Il n’accepte pas la consigne de reprise du travail donnée par la CGT fin mai, estimant que le mouvement doit aller plus loin. Au cours de l’été qui suit, il est exclu du Parti communiste, puis démis de toutes ses fonctions syndicales. Cela le met dans une situation difficile, car il est de nationalité espagnole, et son titre de séjour vient à échéance début 1969. Il risque le renvoi vers l’Espagne de Franco. L’expulsion signifie automatiquement l’incarcération dans les geôles franquistes. Diverses organisations de gauche, regroupées dans le « Secours rouge » (mais sans le PCF, ni la CGT), le soutiennent et son titre de séjour est renouvelé en 1969, grâce aussi à son avocat Me Kohler.
Nicolas quitte la Rhodiaceta en 1974 et travaille dans une entreprise agroalimentaire, Juradou, de 75 à 83. C’est à cette époque que sont mises en place les préretraites, l’augmentation des salaires uniformes, l’obtention de la RTT et le passage à 38h alors que tout le monde était à 44h, une avancée importante pour l’époque.
Après plusieurs licenciements, à plus de 45 ans, armé de son certificat d’étude, il reprend des études et obtient un diplôme d’éducateur, puis un poste éducateur spécialisé en Haute-Saône. Il continuera à militer syndicalement à la CFDT qui lui confie l’animation du travail syndical en direction des travailleurs immigrés, et en particulier dans les entreprises para-agricoles dans lesquelles ils sont nombreux.
Nicolas et son épouse Martine – médecin à Besançon dans le quartier populaire de « Planoise » – adhèrent au PSU en 1971. Au début des années 1970, Nicolas est très actif localement dans l’importante section bisontine de ce parti et au niveau national dans la commission « entreprises ».
Pour orienter le Manifeste autogestionnaire du PSU vers un nouveau programme de transition, il cosigne dans Tribune Socialiste n° 554 du 18 novembre 1972 la contribution « Pour un programme marxiste ». Après le retrait des amendements du courant Rocard, le Manifeste autogestionnaire du PSU : « Contrôler aujourd’hui, pour décider demain » est adopté au congrès de Toulouse de décembre 1972 avec 80% des mandats, les 20% restant votant pour le texte « Vers le communisme » de la Gauche Ouvrière et Paysanne (GOP).
Dans un article d’un numéro double de Critique Socialiste consacré au vingtième anniversaire du PSU, Yvan Craipeau rappelle :
« […] pour la première fois, le parti disposait d’un corps de doctrine qui lui permettait d’intervenir en éclairant politiquement les positions autogestionnaires que venait de prendre la CFDT. J’avais fait des propositions pour appliquer la ligne du manifeste au lendemain des élections législatives de 1973. Nous en avions discuté avec les militants ouvriers du Doubs (NDLR : dont Nicolas Bultot). Ils avaient conclu à la possibilité d’engager dans la région un nouveau type de lutte. En fait elle ne s’engagea pas là où nous l’avions prévu, mais chez Lip, où la personnalité rayonnante de Charles Piaget lui donna le retentissement national que l’on sait. »
Nicolas et Martine Bultot vont participer à la constitution de la tendance B du PSU qui regroupe des militants du courant marxiste-révolutionnaire et les anciens militants de l’Alliance Marxiste-Révolutionnaire (AMR) qui ont officiellement rejoint le PSU en février 1975 après le départ des rocardiens sur la base d’un protocole d’accord. Il devient membre de la direction politique nationale du PSU à la suite du congrès de Strasbourg de janvier 1977 au titre de la Tendance B qui a réuni 20% des mandats.
En mai 1977, il participe à la constitution des Comités Communistes pour l’Autogestion (CCA). Le 4ᵉ congrès des CCA en juin 1983 se tient à Besançon. Nicolas et Martine Bultot vont suivre le parcours militant et politique dans la continuité des CCA et de certains courants du PSU.
Avec Martine, il fait partie des fondateurs de l’Alternative autogestionnaire 25 vers 1982, mais cette tentative de recomposition et de dépassement politique, isolée géographiquement et sans ampleur suffisante, ne perdurera pas dans sa dimension unitaire et large de départ. En 1988, Nicolas et Martine participent aux Comités Juquin. Aux élections municipales de mars 1989, quatre militants issus des comités Juquin, dont Martine Bultot entrent dans la municipalité d’union de la gauche dirigée par Robert Schwint (PS), sous l’étiquette « Nouvelle gauche ». Logiquement, Nicolas et les militants de la « Nouvelle gauche » rejoignent l’AREV (Alternative rouge et verte) dès sa création (novembre 1989). À son rôle d’animateur du groupe politique, Nicolas ajoute celui d’attaché politique auprès de son épouse, adjointe au Maire de Besançon, et des autres élus de l’AREV. En 1995, l’AREV est intégrée à la liste conduite par R. Schwint pour son dernier mandat.
En 2001, la question des alliances municipales divise le groupe des Alternatifs (qui a succédé à l’AREV en 1998). Nicolas et Martine Bultot souhaitent maintenir l’alliance avec le PS dirigé par Jean-Louis Fousseret alors que d’autres camarades préféraient une alliance avec les Verts qui avaient le vent en poupe à l’époque. La position défendue par Nicolas fut majoritaire, mais le désaccord au sein du groupe laissa des traces qui amenèrent ultérieurement son éclatement. Nicolas et Martine fondent en 2007 un mouvement (« La Gauche alternative et écologique ») distinct des Alternatifs. Ce mouvement disparut en 2010. Après la création d’ENSEMBLE! (2013), L’Alternative Rouge et Verte, journal des Alternatifs de Franche-Comté, devint celui d’ENSEMBLE!
En 2011, Nicolas et Martine s’installent dans la région de Grenoble, près de leur fils. Martine a quitté ses fonctions d’élue le 31 décembre 2010 (après avoir occupé pendant 22 ans un poste d’adjointe au maire) et souhaite tourner la page, « considérant que le projet de créer une force unifiée, large, à gauche du PS, a peu de chance de voir le jour ». Plus tard, ils apportent leur soutien à la France Insoumise.
Enfin, en dehors du syndicat et de la politique, dès qu’il avait un coin de terre, Nicolas y aménageait des terrasses pour cultiver des légumes, semer des fleurs, planter des arbres fruitiers. Il a planté plusieurs centaines d’arbres dans sa vie. Il était écologiste dans l’âme !
Nicolas a milité toute sa vie au service des autres, des plus démunis. Il a gardé ses convictions de révolté. Il disait en forme de plaisanterie qu’il appréciait beaucoup l’insurrection de la Commune de Paris en 1871, parce que « ceux-là avaient fait une chanson pour lui ». Cette chanson « Elle n’est pas morte ! » d’Eugène Pottier (l’auteur de L’Internationale) a pour refrain « Tout ça n’empêche pas Nicolas que la Commune n’est pas morte ! ».