Les élections législatives portugaises ont eu lieu le 10 mars 2024. Le PS a subi une importante défaite électorale, tandis que l’Alliance démocratique (AD) menée par le Parti social-démocrate (PPD/PSD) est arrivé de justesse en première place. Les élections ont surtout profité au parti Chega (CH) qui arrive troisième et quadruple sa présence à l’assemblée. Voici de premières remarques sur les élections du dimanche précédent.
Par Fernando Rosas1Historien. Professeur émérite à l’Université nouvelle de Lisbonne. Fondateur du Bloc de gauche. publié par ESQERDA le 12 mars 2024
Cinq remarques sur les élections législatives
La situation appelle à la concertation et au dialogue de la gauche portugaise pour agir ensemble, défendre l’essentiel et ouvrir de nouvelles voies.
1 – Les résultats des élections législatives du 10 mars montrent un net glissement vers la droite et l’extrême droite, avec pour principale force le développement de l’extrême droite raciste et fasciste (18% des voix et 48 députés). L’impact de ce résultat sur les partis centraux du système politique a été immédiatement visible.
La chute brutale du PS (il a perdu un demi-million de voix, principalement au profit de l’extrême droite, et 43 députés) et la stagnation de la droite traditionnelle (l’AD a moins de voix que le PSD en 2022), en d’autres termes, l’impasse globale du centrisme, s’accompagnent des symptômes de la désintégration.
La droite du PS conspire et fait pression sur la nouvelle direction pour une politique de collaboration et de viabilisation du gouvernement AD, jurant qu’il n’est pas question de ressusciter le « bloc central ». Et l’aile droite du PSD intrigue et mène des conversations discrètes pour forcer le dirigeant de leur parti – Luis Monténégro – à une entente de fait (gouvernementale, parlementaire, extra-parlementaire…) avec l’extrême droite, faute de quoi il sera renversé tôt ou tard au profit de celui qui s’alliera avec lui.
Il va sans dire que chacune de ces solutions revient à céder l’hégémonie du pouvoir politique à court terme, avec ou sans nouvelle élection, à l’extrême droite autoritaire et antidémocratique. C’est aussi une manœuvre puérile que de penser que l’extrême droite peut être externalisée dans le cadre politique post-électoral et que, sans elle, la gauche parlementaire dépasserait en nombre de députés l’AD et l’IL.
La réalité qui émerge des élections est celle d’un bloc majoritaire de régression politique et sociale comprenant la droite traditionnelle et l’extrême droite, avec une forte pression hégémonique de cette dernière en tant que force ascendante. C’est dans ce contexte politique que la gauche doit se comprendre et se définir comme une résistance et une alternative.
2 – Il est bien connu que l’émergence de l’extrême droite fasciste est un phénomène international qui s’affirme aujourd’hui de manière forte au Portugal. En réalité, en Europe et au-delà, nous vivons la deuxième crise historique des systèmes libéraux occidentaux et du modèle d’économie et de société basé sur le long turn-over et monopole du pouvoir entre les partis au centre du système politique.
Transformés en partis gestionnaires de la crise du capitalisme néolibéral, la social-démocratie européenne et les formations de la droite traditionnelle se sont rendues complices du long cortège d’injustices sociales, d’inégalités, de discriminations et de régressions économiques et sociales que leur politique a engendré. Elles ont créé un océan de frustration, d’aversion, d’abandon, de peur, un amalgame de protestations désenchantées facilement manipulables par la démagogie bouffonne et mensongère de l’extrême droite.
Si, historiquement, au Portugal, les partis porteurs de ce « centre » marécageux et néolibéral, le PSD et le PS, ont été, chacun à leur manière et seulement épisodiquement ensemble. La vérité est que, dans l’immédiat, l’actuel virage à droite est le fruit de deux années désastreuses de majorité absolue du PS (après la rupture avec la « geringonça »).
Le copinage, la promiscuité public-privé et la désintégration gouvernementale s’y croisent avec l’incapacité de répondre à la crise du système de santé, NHS, de défendre les écoles publiques et les droits des enseignants, ou d’entrevoir une politique d’accès au logement pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se le payer avec leur salaire.
Les « bons comptes » étaient le manteau diaphane qui couvrait la politique structurelle des bas salaires et le refus persistant de revenir sur la législation du travail dictée par la troïka. C’est sur le terrain social du mécontentement généralisé à l’égard de la majorité absolue du PS que l’on peut comprendre la lourde défaite électorale du parti et la tendance générale du vote.
3 – Le vote d’extrême droite est un vote complexe et contradictoire qui mérite d’être analysé avec attention. Si nous l’examinons, même brièvement, du point de vue de sa structure sociale et politique, nous pouvons peut-être trouver quatre votes principaux.
Tout d’abord, le vote d’une partie importante des grands intérêts qui financent (légalement et illégalement) le parti d’extrême droite. Comme on le sait, on y trouve les descendants de l’ancienne capitale financière (Champalimaud, Mello, Ricciardi – Espírito Santo) avec les grands hommes d’affaires du tourisme, de la spéculation immobilière et de la distribution. Ils sont probablement la véritable âme du parti.
Deuxièmement, le vote pour le vieux et le nouveau fascisme. Les nostalgiques du salazarisme, ceux qui sont passés par le MDLP ou les néo-fascistes formés par l’endoctrinement d’Alain de Benoist et de la Nouvelle Droite française, exilés jusqu’à présent au CDS, au PSD, à l’abstention ou dans des groupes fascistes sans expression électorale et qui découvrent aujourd’hui leur parti.
Troisièmement, un certain vote masculin de jeunes (18-24 ans), puritains, homophobes, antiféministes, réactionnaires, qui pensent trouver dans le machisme traître et bouffon de l’extrême droite, ou dans les myriades de triomphes solitaires du marché, la solution aux frustrations, impasses et difficultés auxquelles les misères du capitalisme néolibéral les confrontent.
Quatrièmement, et surtout, cette marée de protestations non informées émane de petits et moyens propriétaires terriens, de salariés du secteur tertiaire, de précaires, de chômeurs, de laissés-pour-compte et de marginaux dont le droit à la santé, au logement, au travail avec un salaire décent et à l’école publique est sévèrement limité par les politiques dominantes. Un long secteur qui a quitté l’abstention ou le vote pour le PS (ou, dans une moindre mesure, le PSD) et qui est devenu vulnérable à la manipulation démagogique des instincts primitifs, aux arguments racistes et xénophobes contre les immigrés (le bouc émissaire, ceux qui sont plus faibles et plus désarmés que les faibles et les désarmés que l’extrême-droite suscite contre elle).
Il n’y a qu’une seule façon pour la gauche de répondre à ce bouleversement. Il s’agit de lutter pour la mise en œuvre de politiques qui résolvent à court terme les problèmes les plus immédiats d’injustice sociale et distributive. Elle doit combattre et dénoncer les politiques racistes, homophobes et antiféministes qui contribuent à soutenir et à reproduire l’extrême droite. Il s’agit d’assécher leur soutien social et politique.
4 – À la gauche du PS, le Bloc de gauche a amélioré son score, bien que les distorsions de la proportionnalité du scrutin fassent que 46 % des voix du parti ne se traduisent pas par des mandats2Avec 274 000 voix, 4,46%, le Bloc de gauche progresse légèrement en voix, plus 20 000, et maintient son groupe parlementaire avec ses cinq députés : Mariana Mortagua, coordinatrice nationale, et Fabian Figueiredo, sont élus sur le district de Lisbonne, Marisa Mattias et José Moura, sur le district de Porto, et Joanna Mortagua sur le district de Setubal.. Il a toutefois conservé son groupe parlementaire.
Les nouveaux députés de Livre – petit parti se réclamant de l’écosocialisme – ont compensé les pertes de la CDU et, dans l’ensemble, l’aile à gauche du PS a gagné un nouveau député et amélioré ses votes. Elle a résisté au tremblement de terre et, je l’espère, se retrouvera, dans toute sa diversité, pour les temps difficiles à venir.
5 – C’est sans doute une coïncidence douloureuse et paradoxale que nous célébrions le 50ᵉ anniversaire du 25 avril à un moment où la démocratie sociale et politique subit les menaces les plus graves depuis la chute du régime fasciste. Cette situation exige de la gauche portugaise qu’elle travaille ensemble et qu’elle dialogue pour défendre l’essentiel et ouvrir de nouvelles voies. Les manifestations marquant le 50ᵉ anniversaire du mois d’avril en sont la première occasion. Qu’elles soient une grande et massive démonstration de la volonté du peuple portugais de ne permettre aucun recul par rapport à ce qu’il a si durement acquis.
Traduction Deepl et François Préneau
Pour compléter, vous pouvez lire : « Résolution du Bureau national du Bloco de Esquerda »
Notes
- 1Historien. Professeur émérite à l’Université nouvelle de Lisbonne. Fondateur du Bloc de gauche.
- 2Avec 274 000 voix, 4,46%, le Bloc de gauche progresse légèrement en voix, plus 20 000, et maintient son groupe parlementaire avec ses cinq députés : Mariana Mortagua, coordinatrice nationale, et Fabian Figueiredo, sont élus sur le district de Lisbonne, Marisa Mattias et José Moura, sur le district de Porto, et Joanna Mortagua sur le district de Setubal.