Entretien avec Julien Durand, porte-parole de l’ACIPA
La préparation de la manifestation du 22 février à Nantes est entrée dans sa phase active. Y compris pour les promoteurs du projet qui tentent de convaincre de l’inéluctabilité démocratique de la destruction du bocage de Notre Dame des Landes et n’hésitent pas à propager la rumeur. Dernier exemple en date, le titre en une du quotidien nantais Presse Océan du 30 janvier, « Et si l’aéroport ne se faisait pas », interrogeant sur le coût pour les contribuable d’un éventuel arrêt. C’est dans ces circonstances que nous avons demandé à Julien Durand, porte-parole de l’ACIPA, Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes constituée en 2000 pour lutter contre le projet d’aéroport du Grand Ouest, de faire le point sur la situation actuelle à Notre Dame des Landes et sur les enjeux du 22.
La signature par le Préfet, fin décembre, des quatre décrets sur l’eau, la protection des espèces protégées, la desserte routière et la plate-forme aéroportuaire confirme la volonté du gouvernement de passer en force. As-tu le sentiment que nous allons vers un affrontement inexorable ?
Julien Durand : A première vue, ce n’est pas à écarter. Mais, je pense que s’ils ont su tirer les leçons de leur opération de 2012, ils devraient hésiter à revenir.
Quelles sont les échéances juridiques qui peuvent encore leur donner une porte de sortie ?
JD : C’est d’abord tout ce qui concerne la loi sur l’eau et la destruction des espèces protégés. Ca ne fait que commencer puisque les recours seront déposés au tribunal administratif de Nantes le 3 février prochain à 11h. J’en profite pour vous y convier. On a toujours l’arrêté de cessibilité qu’on avait attaqué en 2011, pendant la tracto-vélo à Paris. Le jugement d’appel vient de passer mardi dernier et le rendu sera prononcé dans un mois. Nous demandons la nomination avec assistance d’un collège d’expertise judiciaire. Si nous sommes déboutés, nous irons devant le Conseil d’Etat. Et ce n’est qu’après la décision du Conseil d’Etat, que la Cour de Cassation, à la demande de Vinci, se saisira du dossier. Rappelons que contrairement à la demande de Vinci, la Cour de Cassation a estimé ne pouvoir juger ce dossier qu’à l’issue des procédures en cours tant devant le tribunal Administratif que le Conseil d’Etat. En clair, si le PS respecte sa parole politique, tant que la Cour de Cassation ne se sera pas prononcée aucune expulsion de paysans ou d’habitants dans les maisons avec un contrat précaire ne devrait avoir lieu. On peut donc raisonnablement considérer avoir une année tranquille devant nous. Nous avons, enfin et à nouveau, saisi les instances européennes en leur transmettant les arrêtés préfectoraux.
La question de la protection des espèces protégées, c’est d’abord pour Vinci ne pas perdre encore un an ?
JD : Vrai. Ca se réglera au 30 mars. Après cette date, Vinci ne pourra ni faire des défrichages ni des coupes de bois, il pourra seulement déplacer des arbres morts avec les capricornes jusqu’au mois de mai. Après il faudra attendre juillet. D’ores et déjà, Vinci est en retard pour le déplacement annoncé de plusieurs espèces.
L’action des naturalistes, outre qu’elle complique singulièrement le lancement des travaux, ne vous amène-t-elle pas à porter un autre regard sur le bocage ? Là encore la mobilisation en cours est une véritable éducation populaire.
JD : L’oeil des naturalistes n’est effectivement pas celui des paysans quand ils ont les yeux sur la charrue ! Grâce à leurs travaux, j’ai moi même découvert plein de trucs tant au niveau des plantes que des espèces. On était tellement là depuis tout le temps qu’on ne faisait pas toujours attention. Les travaux des naturalistes ont réussi à radicaliser notre opposition au projet pour que cette richesse ne soit pas détruite. Oui, on est bien là dans une lutte formatrice dans tous les sens.
Peux-tu nous parler de l’organisation locale de la résistance, avec une opposition qui semble chaque jour plus soudée, avec le pilier qu’est l’ACIPA, avec la coordination des opposants, avec le COPAIN (1) qui est un apport considérable à la mobilisation et qui a largement permis de positiver l’apport important qu’a la ZAD ?
JD : Je partage la description. J’ai vécu l’ACIPA. J’ai vécu COPAIN(1) car j’ai été paysan et responsable syndical local de la Confédération Paysanne avant d’être à l’ACIPA. Le COPAIN a su élargir l’opposition au projet d’aéroport à d’autres associations du monde agricole, ça a donné une ossature plus large à l’opposition que celle portée par la seule Confédération paysanne. Il a permis de retrouver un nouveau souffle à la mobilisation au niveau paysan et c’est sans doute ce qui a contraint le pouvoir à reculer. Ils n’ont pas osé s’attaquer à l’agriculture, au symbole que ça porte. Et nous savons, d’expérience, que lorsque le monde agricole réussit à faire partager ses exigences au point d’en faire une revendication populaire, ça a souvent permis la victoire dans de grands conflits. Bernard Lambert (2) nous a souvent mis en garde sur le rôle de « versaillais », de briseurs de grève ou de freins à l’évolution de la société qu’ont joué les paysans Et là, dans la mobilisation contre le projet d’aéroport, on retrouve ce qu’a semé Bernard, avec une nouvelle génération. Et cela marquera pour les générations qui vont venir.
La résistance au projet d’aéroport n’est-elle pas d’abord, surtout, une lutte paysanne pour la terre ?
JD : Au départ oui. Mais il ne faut pas oublier que le monde paysan a diminué en audience et que les victoires pour la terre ne peuvent être obtenues qu’avec l’appui de toute une frange de la société qui adhère à ce projet. Nous sommes bien dans une opposition à l’agriculture capitaliste et productiviste, pour une agriculture paysanne.
N’empêche que dans cette mobilisation, la Conf’ a une place centrale, tant nationalement que localement, notamment avec le COPAIN pour renforcer ce front contre l’aéroport ?
JD : Je dirais que la Confédération Paysanne joue avec le COPAIN le même rôle que l’ACIPA avec la coordination. L’opposition à l’aéroport c’est un mouvement pour conserver la terre, pour une agriculture proche des consommateurs. Si on veut faire avancer les idées pour une agriculture paysanne, il faut mobiliser la société, quitter le corporatisme pour se faire aider par des gens qui adhèrent à nos idées. C’est ce qu’on fait.
Le rôle du COPAIN, avec l’occupation de la ferme de Bellevue, n’a-t-il pas facilité une unité stratégique parfois difficile avec la ZAD ?
JD : L’essentiel, ici, c’est l’utilisation du sol, de la terre et COPAIN est légitime plus que n’importe qui pour mener le dialogue avec la ZAD, notamment avec celles et ceux qui ont des projets pour l’occupation du terrain. Oui, là, le pilier est solide. On a semé ensemble, on récoltera ensemble.
Comment la population de Notre Dame des Landes réussit-elle à résister au rouleau compresseur des pro-aéroports ? L’opposition s’est-elle solidifiée ?
JD : Avoir subi deux années d’enquêtes publiques n’a pas été simple. Ca a été dur dans le bourg ! Et la lassitude est grande, avec, ne le cachons pas, chez plusieurs un rejet de la ZAD. Mais depuis la chaîne humaine, ça a largement changé, positivement, et la défiance qui a pu exister un temps vis à vis de nous a disparu. Notre Dame des Landes est aussi devenue une commune dortoir, avec une nouvelle population. On a donc, en septembre, refait une réunion à Notre Dame des Landes, entre nous. Et depuis on constate qu’à nouveau le nombre d’auto-collants grandit, et que des jeunes, nouveaux dans la commune, nous rejoignent et nous donnent un coup de main.
Quels sont, pour toi, les enjeux de la manifestation du 22 février prochain ?
JD : Cette manifestation, on en a lancé l’idée à une dizaine, paysans, militants de l’ACIPA, du COPAIN et de la ZAD, réunie à la Vacherie. La date a été choisie en fonction de celle des municipales et des risques d’intervention policière. Et l’idée a été repris par la coordination des opposants.
La réunion des comités de soutien, avec plus de 200 présents, a permis de mesurer le développement national du mouvement de solidarité et l’effort de communication qui a été fait. Les nombreuses réunions que nous faisons à l’extérieur font salle pleine. A l’évidence, il se passe quelque chose.
Mustière, président des Ailes de l’Ouest, la pseudo association pro-aéroport piloté par MEDEF/PS/UMP annonce aujourd’hui dans Ouest-France que même s’il y a 20 000 manifestants le 22, ça ne changera rien.
JD : 20 000. Il met quand même la barre haut ! C’est aussi la preuve qu’ils se raidissent parce qu’ils ont la trouille. On est à la veille d’une possible intervention policière, on relèvera le défit.
Electoralement, qu’est-ce qu’il pourrait y avoir de mieux pour la mobilisation ? Demandes-tu la démission d’Ayrault ?
JD : Le départ d’Ayrault, j’y crois pas. Aux copains de la coordination, j’ai toujours dit qu’Ayrault en haut, c’est notre meilleur panneau publicitaire pour la lutte de Notre Dame des Landes. Premier Ministre, il a emmené son boulet avec lui. S’il tombe, peut-être que son boulet tombera vec lui. Côté politique, je suis en colère contre les loustics comme Auxiette (président PS de la Région) et l’UMP qui, quand on les interroge dans les réunions publiques, ne cessent de dire que la question de l’aéroport n’est pas le sujet de la réunion, mais, dès qu’ils sont élus, ils affirment que leur élection a plébiscité le projet. Un accroc juridique pourrait être l’occasion pour des politiques intelligents de dire : le dossier est mal ficelé, il n’y a pas accord, il n’est pas possible d’aller sur le terrain, on arrête. Il nous faut donc continuer d’articuler la bataille juridique, mobilisation et interpellation des politiques pour qu’ils renoncent à ce qui est d’abord un projet d’Etat.
Interrogé par Ouest France, tu as eu des mots très forts sur les conséquences qu’aurait une intervention policière ?
JD : Je sens que beaucoup de monde est prêt à réagir, localement bien sur où la mobilisation ne faiblit pas, mais aussi de plus en plus largement. Dans les réunions extérieures je sens que cette envie de ne pas laisser faire s’articule avec le ras l’bol de ce qui nous tombe sur la tête, la crise économique, l’austérité. Le chantier de Notre Dame cristallise tout le monde. C’est notre force. L’expulsion des paysans et des habitants et le commencement des travaux sonneraient la voie de l’affrontement et il y aurait du monde partout. Nous ne le souhaitons pas mais nous y sommes prêts.
Vous avez réussi quelque chose d’extraordinaire en faisant travailler ensemble des gens d’horizons, d’histoire et de cultures différentes qui n’en n’avaient pas l’habitude. Toi, qui es au premier rang, comment vis-tu ça ?
JD : Je vous renverrai simplement à la conclusion du débat public de 2013 où Bergougnoux, le président de la Commission du débat public, concluait son rapport en indiquant qu’il constatait « un fort relent d’altermondialisme ». C’est d’ailleurs la seule chose que j’ai retenu de son rapport et qui m’a fait le plus plaisir. Bien sûr, dans la mobilisation, parfois ça brasse, nous et vous ça a brassé, comme ça brasse parfois avec la ZAD, mais on avance. Il avait raison le Bergougnoux, la résistance ça se cultive au présent. Reste qu’aujourd’hui rien n’est gagné. Et que l’année qui commence s’annonce sans doute décisive.
Propos recueillis par Philippe Champigny, Rémy Querbouet et François Préneau (Ensemble 44).
1 – le COPAIN 44, Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles INdignées par le projet d’Aéroport, a été constitué en avril 2011. Outre la Confédération Paysanne, il regroupe le Centres d’Initiatives et de Valorisation de l’Agriculture et du Milieu rural Civam44, Terroir 44, Accueil Paysan, Groupement des Agriculteurs Biologiques GAB44, et Manger Bio 44.
2 – Syndicaliste paysan en Loire Atlantique, Bernard Lambert a été l’initiative de la constitution des Paysans Travailleurs qui ont largement contribué à la naissance, en 1987, dela Confédération paysanne.