Ça y est. Elles et ils l’ont fait. On l’a fait. Non pas Hulot et Macron, mais les milliers de résistant-e-s, d’occupant-e-s, de paysan-ne-s, de zadistes, d’amoureux du bocage et de la nature, de militant-e-s associatifs, de syndicalistes (notamment la CGT de Vinci), de ruraux, d’urbains, de chômeurs, de travailleurs…
Toutes et tous ont infligé sa grande défaite aux gouvernements en place sous François Hollande. Et même si c’est à retardement, même si cela se produit sous la présidence d’Emmanuel Macron, la fin de l’aéroport est à mettre sur le compte uniquement de ces résistances multiples, diverses, ponctuelles ou durables, tant sur place que dans les collectifs de soutien qui ont essaimé dans tout le pays, tant par l’occupation et la défense pied à pied des occupants de la ZAD qu’à travers l’action de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA) et celle du Collectif d’élus Doutant de la pertinence de l’aéroport et de la coordination unitaire des opposants.
Ces résistances viennent de loin, au moins aussi loin que le projet d’aéroport, mais elles ont sans doute des racines plus anciennes, inscrites dans une région nantaise marquée par une riche histoire de luttes, d’un syndicalisme paysan depuis longtemps combatif, et d’une tradition de collaborations entre différents secteurs de luttes, depuis l’unité ouvriers-paysans-étudiants en mai 1968 jusqu’à la création du réseau Cagette qui cherche depuis 2016 à soutenir matériellement, notamment avec de la nourriture, les diverses luttes locales.
La décision de Hulot et Macron n’est pas une totale surprise. Elle a été précédée en décembre dernier de la remise du rapport des médiateurs qui donnait déjà un certain nombre d’indications sur ce que pourraient être les décisions du gouvernement. La mission dirigée par une préfète, un ancien président de l’Autorité environnementale et un ancien pilote de ligne visait à remettre le projet à plat et à proposer une solution de sortie de crise, à partir d’une alternative entre la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes et le réaménagement de l’actuel, Nantes Atlantique.
Plusieurs arguments plaident en faveur de ce réaménagement : absence d’impacts majeurs de l’augmentation du trafic aérien sur la ville de Nantes, des coûts bien inférieurs au projet de nouvel aéroport, absence d’impacts négatifs significatifs sur la zone Natura 2000 qui environne l’aéroport….
Par ailleurs, l’argument principal des pro-aéroport était le respect de la consultation de 2016 lors de laquelle 55% des votants s’étaient prononcés pour le projet de nouveau aéroport ; mais cette consultation avait été limitée au seul département de la Loire Atlantique, alors que le projet concerne bien plus de territoires et que le non avait été majoritaire dans les communes directement impactées. Cependant ce référendum a été minimisé dans le rapport des médiateurs qui ont relevé que depuis le début d’importants manquements à la démocratie, à l‘information et à la transparence avaient entaché le débat public autour de ce projet.
Enfin, la prise au sérieux de l’hypothèse de réaménagement de Nantes Atlantique, ce que demandent les opposants depuis de nombreuses années, a permis d’envisager, selon le discours officiel, de répondre aux besoins futurs du trafic aérien de la région.
Si sortie de crise il y a, elle est donc envisagée par le gouvernement par la construction d’une nouvelle piste sur l’actuel aéroport.
Mais il y a un second état de crise, du moins du point de vue du pouvoir, qui demeure en suspens, c’est l’avenir de la ZAD, c’est-à-dire une zone qui a vécu pendant des années au rythmes des résistances et des alternatives, des projets les plus variés et les plus enthousiasmants. Aujourd’hui la ZAD c’est 70 lieux de vie, de multiples activités agricoles, boulangères, du travail du bois, des activités culturelles, un atelier de création de hip-hop, une bibliothèque, une réhabilitation et une protection du bocage… bref, un espace où s’invente un autre futur, une bifurcation par rapport aux modèles dominants des sociétés capitalistes. C’est également des expérimentations démocratiques, avec depuis six mois une AG des usages qui mène la réflexion sur les avenirs possibles de la ZAD, autour des différentes composantes du mouvement.
Comment est-ce qu’un gouvernement pourrait laisser perdurer une telle zone (1650 ha) de libertés, d’utopies et d’émancipations, alors que le projet macroniste vise à asphyxier tout espoir d’une société débarrassé du capitalisme, du productivisme et des oppressions ?
Dans les semaines précédant la décision du gouvernement, une campagne de presse calomnieuse concernant les zadistes et leurs supposés préparatifs violents ainsi que la montée au créneau des pro-aéroport ont remis en ébullition la région, d’autant plus que quelques articles de presse montraient également les préparatifs policiers en cours. Mais une éventuelle menace d’expulsion de la ZAD ne se résumerait pas à un face-à-face entre les forces de l’ordre et 300 militants radicaux armés jusqu’aux dents. Depuis des années, rassemblement après rassemblement, manifestation après manifestation, le soutien à la lutte contre l’aéroport, aux paysan-ne-s et aux habitant-e-s menacé-e-s d’expulsion ne s’est jamais démenti.
Une des questions importantes pour l’avenir de la ZAD est la question foncière. Aujourd’hui les terres sont officiellement sous la coupe de Vinci à qui l’Etat a délégué la construction de l’aéroport. 450 ha sont encore cultivés par les paysans qui ont refusé d’être expulsés, 450 ha sont composés de bois, de friches, de haies, de maisons de récents habitants, et 850 ha qui étaient redistribués par Vinci aux paysans qui avaient vendus leurs terres pour l’aéroport mais qui continuaient à cultiver en attendant les débuts du chantier. Depuis 2012, une partie de ces terres (270 ha) a été utilisée par le mouvement de résistance pour mener à bien divers projets. Le reste des terres est toujours cultivé par les paysans qui ont accepté l’argent de Vinci pour partir mais qui exploitent les terres en attendant. Avec la fin du projet, les terres doivent revenir à l’Etat. Ceux et celles parmi les paysans qui avaient refusé de vendre pourraient retrouver leurs droits à cultiver leur part de terres ; reste à imaginer sous quelle forme pourrait être organisée une gestion collective du foncier pour mettre en œuvre les projets décidés collectivement par le mouvement. Déjà un certain nombre de projets paysans ont vu le jour depuis cinq ans, de jeunes paysans se sont installés, et il s’agit de permettre à des idées hors normes ou non, de se réaliser, à une plus grande échelle.
Beaucoup ont en tête à juste titre les parallèles avec le Larzac. Dans un entretien à Mediapart en décembre dernier, plusieurs acteur-trice-s de la lutte évoquaient 1981 et les solutions juridiques trouvées pour la gestion des terres lors de l’abandon du projet militaire sur le plateau du Larzac en 1981, à savoir un bail emphytéotique, c’est-à-dire de longue durée qui privilégie l’usage et la mise en valeur des espaces plutôt que la propriété privée. Dans le cas du Larzac, l’usage des terres était lié au travail de la terre. Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, les terres ne sont pas envisagées uniquement sous l’angle des paysans qui habitent sur la zone, mais doivent accueillir des projets menés par des personnes extérieures à la ZAD et qui ne se limitent pas à la production agricole. D’où la demande de moratoire sur la vente des terres pendant trois ans pour mettre en œuvre l’entité juridique la plus ) même de permettre de mener tous ces projets.
Dans leur rapport, les médiateurs ont proposé une maitrise foncière de la ZAD par l’Etat, ce qui est un des gros points noirs pour la suite. Est-ce que l’Etat va vouloir se débarrasser des zadistes et disposer comme bon lui semble les terres pour revenir à une gestion privée du bocage ? Est-ce que vont être écoutées les propositions de gestion collective émises par les composantes du mouvement ? Il s’agit en tout cas d’avancer ensemble pour l’avenir de la ZAD, ce qui avait été synthétisé en six points qui composent la base politique commune de cet avenir.
Pour le moment, le gouvernement joue les gros bras, promet l’évacuation des « radicaux » et fait revenir les forces de l’ordre autour de Notre-Dame-des-Landes. Les leçons de l’opération César en 2012 n’ont-elles pas été tirées ? Non, il n’y aura pas d’expulsion à Notre-Dame-des-Landes. Alors qu’un non-lieu vient d’être rendu quant au meurtre de Remi Fraisse tué par la grenade offensive d’un gendarme mobile en octobre 2014, on n’oublie où peut mener la violence d’Etat. Nous serons tous et tous présents pour défendre la ZAD, dès le 10 février prochain, pour le rassemblement de la victoire.
Vincent Gay