Il nous a semblé utile de partager cet article écrit par une citoyenne israélienne qui milite en faveur des droits humains en Palestine. Quelques jours après les attaques perpétrées par plusieurs groupes palestiniens – dont le Hamas – elle exprime son ressenti.

Notre humanité est mise à l’épreuve

Par Orly Noy1Orly Noy est rédactrice en chef de Local Call, militante politique, et traductrice de la poésie farsi et de la prose. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem et militante du parti Balad.. Publié par +972 Magazine2https://www.972mag.com/edition/our-humanity-is-being-put-to-the-test/. Le 11 octobre 2023. Traduit par nos soins.

Lorsqu’il s’agit d’attaquer Gaza, la politique israélienne, en ce moment, est plus axée sur les dommages que sur la précision.

Nous vivons dans une réalité infernale, motivée par une soif de vengeance qui se manifeste par des crimes de guerre. L’objectif israélien n’est pas de frapper des cibles militaires ou des infrastructures terroristes. Il s’agit de cibler plus de deux millions de personnes – leurs enfants, leurs personnes âgées. L’ampleur de la catastrophe attendue est difficile à concevoir.

Ces derniers jours, en Israël, des voix de personnes par ailleurs raisonnables – des personnes associées aux valeurs humanistes et aux droits de l’homme – ont exprimé cette soif de vengeance. Ils ont justifié l’effacement de Gaza sous prétexte de sécurité, voire sous prétexte humanitaire. J’en ai entendu d’autres qui ont adopté la rhétorique des extrémistes de droite qui insistent sur le fait que chaque Gazaoui est un antisémite sanguinaire qui soutient les atrocités commises par le Hamas, ce week-end.

Mais c’est justement notre humanité qui est mise à l’épreuve. Chaque image et chaque témoignage de l’enfer dans le sud d’Israël, tous les appels désespérés et déchirants de ceux qui sont encore à la recherche d’êtres chers, chaque mise à jour du nombre de morts qui ne cesse de grimper – tout cela menace de détruire nos valeurs et de nous livrer à l’exigence de vengeance.

L’attaque criminelle du Hamas a rempli de nombreux Israéliens d’une peur existentielle que nous ne connaissions pas auparavant – du moins pas dans cette génération. Maintenant, la peur, la rage, la haine et la douleur menacent de faire des ravages non seulement sur Gaza, mais sur nous en tant qu’individus et au sein de notre société.

La morale n’est jamais un privilège, un luxe, un accessoire que nous pouvons accorder quand c’est commode ou supprimer quand ça l’est moins. La morale n’est pas quelque chose qu’on n’aurait pas les moyens de s’offrir lors d’une catastrophe.

Insister sur la morale, c’est s’attacher au contexte, sans lequel cette violence horrible perd son sens et se réduit à « des animaux humains qui veulent nous détruire sans raison ». Insister sur la morale et le contexte, ce n’est pas justifier un crime. Au contraire, il s’agit de garantir que notre compréhension de la réalité englobe tous les facteurs qui y contribuent, afin que nous puissions la modifier plus efficacement.

Si les crimes du Hamas justifient la destruction totale par une punition collective de la population de Gaza, au nom de quelle morale pouvons-nous prétendre condamner le Hamas, surtout en raison du préjudice qu’Israël a infligé à Gaza au fil des ans ? Si l’élection du Hamas à Gaza, il y a pas mal d’années, justifie l’effacement de sa population de la planète, quelle devrait être la punition de l’opinion publique israélienne pour avoir élu des dirigeants fascistes et des criminels de guerre, qui imposent régulièrement des destructions et des morts aux Palestiniens ?

Notre engagement envers la morale et les principes des droits de l’homme ne peut être conditionné à nos sentiments subjectifs. Le but est de dessiner les lignes rouges qui ne peuvent pas être franchies même en temps de guerre. Aucune fureur ne justifie les crimes de guerre.

Le besoin de se replier sur le tribalisme israélien et de s’y accrocher est compréhensible. Mais pas en sacrifiant, à l’occasion, notre communauté politique. La solidarité judéo-arabe que nous avons réussi à construire sur ce territoire a été difficile à obtenir. Elle est faible et fragile, et fait face à un terrible défi. Nous ne devons pas échouer.

Aucun civil n’est un « dommage collatéral ». Les crimes de guerre sont une abomination qui ne peut jamais être justifiée. On peut seulement espérer que, une fois cette situation toxique calmée, le camp dit des « droits de l’homme » pourra se regarder dans un miroir.

 

 

Notes