En trois mois, le panorama politique du pays a changé. La mobilisation unitaire intersyndicale exprime le rejet des choix imposés par les gouvernements. Elle dit : « non à l’abandon des garanties liées à la socialisation d’une partie des richesses, oui aux solidarités liées aux principes de la Sécurité sociale ».

Moins de 10% de la population est vraiment favorable au projet de loi contre les retraites.

De ce fait, les réflexions que le mouvement social avait développées ressortent. Négligées par les forces politiques de la gauche, elles vont marquer la seconde phase, que le gouvernement soit assez sage pour suspendre une procédure législative en échec ou qu’il s’entête comme la droite avec le CPE, au printemps 2006.

Résumons quelques apports et rappels qui jalonnent le chemin.

Les enjeux

Récemment, Henri Sterdyniak  (Les Économistes Atterrés), dans un article « Retraites : une reforme imposée, un choix social nécessaire » publié sur le site lesmondesdutravail.net a souligné quelques points forts, qui ne réduisent pas les questions à « deux ans de plus »… Ainsi, écrit-il : « Les emplois doivent devenir plus attrayants et moins stressants, cela nécessite des embauches, en particulier dans les services publics. Les inégalités de salaires et de statuts, comme les rapports hiérarchiques, doivent être repensés ; les salariés doivent avoir plus de pouvoir dans l’entreprise, ceci à tous les niveaux, de l’atelier au Conseil d’administration ».

 Changer le travail devrait être un préalable à la réforme des retraites…

C’est vrai depuis longtemps ; mais la démobilisation, la déception d’avoir subi les reculs gérés par « la gauche » (y compris la « Gauche plurielle » de 1997 à 2002), le scepticisme devant les forces politiques de la gauche depuis… avaient produit les 50% d’abstention aux législatives de 2022. Malgré les nombreuses revendications d’entreprises, le gouvernement s’était cru protégé d’une répétition de « novembre 1995 ». Mais l’accumulation des fausses promesses de « discussions », les mauvais coups annoncés et la vie déjà rendue plus pénible ont fait apparaître, en quatre mois, une volonté de ne pas subir, renforcée de voir le plus grand nombre entrer en mouvement. Arrêtons cela et on y verra mieux. Ce qui est refusé, rouvre la discussion sur ce que nous avons le droit de vouloir demain, sur ce qui a trop duré…

Un nouveau statut du travail salarié

Rappelant, le 31 janvier, une exigence de la CGT, Philippe Martinez avait montré que « toutes les années d’étude et d’apprentissage devaient être validées pour la retraite ». La formation des capacités de travail fait tout de même partie de la richesse de la société !

Cette proposition nous amène aussi à une exigence élaborée à la fin des années 1990 et adoptée par le congrès de la CGT en 2003 : un Nouveau Statut du Travail Salarié (NSTS). Une des fiches des repères revendicatifs du syndicat : Nouveau statut du travail salarié – Droits individuels et collectifs et transférabilité précise la proposition. En rendant sa place à la cotisation sociale, libérée du carcan étatisé imposé, la Sécurité sociale peut prendre en charge le droit au travail salarié toute la vie, à partir de la sortie de l’enseignement obligatoire et jusqu’à la retraite ; avec, au cours de la vie, le droit à la formation pour les salarié·es. Des discussions voisines avaient alors abouti à des exigences communes de congrès de Solidaires ((Solidaires – Nos positions)) et de la FSU.

Maryse Dumas, ancienne dirigeante confédérale, explique – dans un article intitulé « Démarchandiser le travail pour contrecarrer le capital » paru dans La Pensée 2022/4 (N° 412), pages 17 à 26 – qu’il faut savoir répondre à la crise du capitalisme et au triomphe du libéralisme. Elle rappelle le contexte social : «  À la fin du 20e siècle, devant l’offensive néolibérale, le rapport de forces devient très défavorable aux salariés. La CGT estime alors le moment venu de construire une nouvelle vision de la condition salariale susceptible de donner des perspectives aux luttes et de rééquilibrer les rapports de forces en faveur de celles et ceux qui vivent de leur travail. Elle met alors en cohérence ses propositions revendicatives pour gagner un « Nouveau statut du travail salarié » et passer ainsi d’une démarche syndicale en « défense » à une démarche en « conquête ». Unifier les statuts, assurer des garanties pour toutes et tous, voilà un moyen sûr de réduire les pénibilités et de permettre aux salarié·es d’avoir au moins un début de prise collective sur l’organisation et les buts de leur travail.

 

Qualifiée de « révolutionnaire » par les uns, de « réformiste » par les autres, cette revendication comporte des jalons pour refonder une gauche de lutte et d’alternative, avec la démocratie radicale et le zeste d’autogestion pour ne pas laisser du flou sur la dynamique.

 

Le 8 mars 2023
Pierre Cours-Salies