Aucune personne ne mérite la mort au nom de la loi

Depuis le 18 septembre 1981, la peine de mort est abolie sur l’ensemble du territoire de la République Française. Du moins, le pensions-nous.

Par Jean-Paul Leroux – 17 juillet 2023

En réalité, la « peine de mort » en France est un phénomène en pleine expansion. Depuis 2021, au moins 18 personnes sont mortes lors de contrôles de véhicules et du fait que la loi autorise à procéder à des tirs « réglementaires ». Cela en application de l’article L435-1 du code de la sécurité intérieure.

Ainsi la célèbre loi contre la peine de mort, œuvre de Robert Badinter, se trouve en fait contredite par l’application d’un article du code de procédure de la sécurité intérieure, découlant de la loi du 28 février 2017, portée par Bernard Cazeneuve. Le Conseil constitutionnel n’a jamais remarqué qu’il y avait une contradiction entre ces deux lois. Il semble pourtant qu’on ne peut pas interdire la peine de mort et légaliser celle-ci en enveloppant l’usage des armes létales dans un texte « flou » selon l’avis des commentateurs. Ce « flou » est ce qui permet de tuer légalement.

La loi Badinter se veut universelle, la loi Cazeneuve se veut spécifique. Le passage de l’universalité aux cas concrets est toujours périlleux et dépend essentiellement des acteurs et de l’usage qu’ils font des particularités de la loi. Les acteurs qui usent et abusent de cette loi, sont connus, ce sont certains policiers.

Cette loi institutionnalise l’usage de la violence dans des conditions qui, à chaque fois, posent le problème de sa légitimité. Elle met à mal l’idée que l’État a le monopole de la violence légitime puisque celle-ci ne peut être dite « légitime » ou « illégitime » qu’a posteriori. Il faut l’enquête de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) et l’intervention possible de la justice.

En clair, la loi Cazeneuve crée un trou dans la légitimité a priori de l’usage de la violence par l’État. Il est d’ailleurs à souligner que la thèse de Max Weber, déclarant que l’État s’approprie « le monopole de la violence légitime », n’a pas été utilisée par les membres du gouvernement tant il est clair qu’il a été fait un usage « illégitime » de la force armée dans le cas du meurtre de Nahel.

La pratique policière se trouve ainsi dans une zone où « tirer » sur un automobiliste peut être justifié ou pas. Ce point essentiel du droit ne peut être éclairé que dans l’après coup… de feu, le meurtre ayant eu lieu ! Et, comme, dans la plupart des cas, les policiers sont blanchis, il est possible de comprendre le jugement de Fabien Jobard (in Le Monde1Fabien Jobard, politiste : « Le législateur a consacré l’ascendant de la police sur la jeunesse postcoloniale » Article réservé aux abonnés.) : « notre droit républicain n’a pas corrigé les pratiques [de la police] mais les a, au contraire, garanties ».

La loi Cazeneuve a pour effet d’instaurer un droit mortifère antagoniste avec le droit à la vie de la loi Badinter. Dans ces conditions, on comprend pourquoi Yassine Bouzrou, l’avocat de Nahel, estime que le problème est « judiciaire plutôt que policier »(in Huffingtonpost2Yassine Bouzrou, avocat de la famille de Nahel, estime que le problème est « judiciaire » plutôt que « policier »).

Il faut dire que ces deux jugements se complètent tant les pratiques de la police et la loi Cazeneuve s’épaulent mutuellement. Cette complétude, fruit d’une incohérence logique, ne peut que créer des drames à répétition comme on le constate.

Il est urgent et nécessaire d’abolir l’article L435-1 du code de la sécurité intérieure, de rétablir une cohérence des lois et de revenir à un respect scrupuleux du droit classique de la légitime défense. Il convient d’assurer ainsi la prééminence de la loi Badinter pour qui aucune personne ne mérite la mort au nom de la loi.

 

Notes