En 2013, la France adoptait enfin une loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, petit pas vers l’égalité des droits. Les opposant-es à cette loi, organisés notamment au sein de la mal nommée « Manif pour tous », ont alors pris l’école pour cible, et plus particulièrement le dispositif des ABCD de l’égalité, destiné à déconstruire les stéréotypes de sexes à l’école primaire. Dans la continuité de l’offensive contre les manuels de SVT qui avait eu lieu en 2011, ils ont mis en avant tout un argumentaire outrancier : l’école allait inciter les enfants à changer de sexe, et mettre en place des démonstrations de masturbation en classe dès la maternelle ! Malheureusement, tractages et « Journées de retrait » ont passablement perturbé l’école publique, et les diffamations et rumeurs ont fini par avoir raison du dispositif, le ministère préférant revoir à la baisse les ambitions du pays en matière d’égalité afin « d’apaiser » la situation…
Comme les syndicats enseignants l’avaient dénoncé à l’époque, cette reculade n’a même pas eu l’effet escompté. Dès février 2016, les « vigi-gender », issus de la Manif pour tous, ont enclenché une nouvelle opération de propagande en diffusant auprès d’un nombre important d’écoles une brochure intitulée « le genre en image », une cinquantaine de pages agrémentées de nombreuses photographies en couleurs qui a dû avoir besoin d’un financement considérable, dont il serait intéressant de connaitre l’origine ! Et ils ont redoublé d’ardeur en ce mois de septembre, vraisemblablement dans la double perspective des élections de parents d’élèves et de la « manif pour tous » du 16 octobre. Parallèlement, des lycéen-nes scolarisé-es dans le privé ont dénoncé la présence dans un certain nombre d’établissements d’un livret de la fondation Lejeune, publication ouvertement anti-IVG, également sur la base de mensonges. Signes multiples de la révolution conservatrice à l’œuvre… Les droits des femmes ne sont jamais acquis, l’exemple de la Pologne, après l’Espagne et le Portugal, est suffisamment parlant…
Dans ce contexte, les propos du pape fustigeant la « théorie du genre » dans les manuels scolaires français n’ont rien d’anodin. Globalement, la presse française a réagi dans le bon sens, dénonçant la polémique inutile relancée par le pape, et rétablissant la vérité sur les missions et les activités de l’école publique, depuis le Huffington jusqu’à Alteréco, en passant par quelques titres de la Presse Quotidienne Régionale ! Certains médias ont même mis -ou remis- à l’honneur des argumentaires très bien documentés sur la notion de genre, de même que des structures militantes. Non, la théorie du genre n’existe pas, n’en déplaise au pape !1
Les réactions des politiques, elles, n’ont rien eu d’exemplaire ! Quoi ? Un chef religieux vient critiquer vertement ce qui se passe à l’école publique et personne ne s’en offusque ? Où sont tous les prétendus défenseurs de la laïcité qu’on a tant entendus cet été ?? A l’inverse, Fillon et Estrosi s’indignent qu’une ministre ait pu tancer le pape.
Mais si Najat Vallaud-Belkacem a fait une mise au point très claire sur France Inter, elle a été plus qu’indulgente avec le pape. Elle a laissé entendre qu’il aurait été « lui aussi victime de la campagne de désinformation massive conduite par les intégristes ». C’est oublier la « croisade anti-genre » que mène le Vatican depuis les années 90, quand un certain cardinal Ratzinger, chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi, s’adressait aux évêques dans une longue lettre pour les alerter sur « le genre », offensive des féministes et des homosexuel-les pour détruire la famille ! Il s’agissait pour l’Église de contrer les revendications pour l’égalité, alors que la conférence de Pékin organisée par l’ONU débouchait justement sur une charte mondiale des droits des femmes !
Enfin, revenons sur l’exemple cité par le pape : s’il s’en est pris une nouvelle fois aux manuels scolaires, c’est parce qu’un père de famille français, catholique, a raconté comment son fils, interrogé pendant un repas sur ce qu’il voulait faire plus tard, avait répondu : « Être une fille. »2 Avec un peu de compassion, on peut facilement imaginer que, si les manuels scolaires ont joué un rôle dans cette histoire, c’est peut-être en permettant à ce jeune d’exprimer quelque chose qu’il ressent depuis toujours. Le pape ferait bien de se renseigner sur la souffrance des jeunes en questionnement sur leur identité ou leur orientation sexuelles, et notamment le phénomène de sursuicidalité qui les touche, au lieu de vouloir à tout prix maintenir les cadres rigides de l’hétéro-normativité, présentés comme « naturels » ! La prévention du suicide ne ferait-elle plus partie de la charité chrétienne ? De même, il devrait s’indigner non pas d’une théorie-épouvantail qui n’existe pas, mais des violences faites aux femmes, qui trouvent leur origine dans la domination masculine, et dans la culture du viol, dénoncée actuellement par une campagne du Haut Conseil à l’Egalité.
Alors oui, au regard de ces enjeux, c’est bien le rôle de l’école de déconstruire les stéréotypes et de promouvoir la diversité, des identités et des sexualités, dans une logique de prévention des discriminations et des violences, c’est bien le rôle de l’école d’assurer l’éducation à l’égalité, et l’éducation à la vie affective et sexuelle, bien loin de l’ordre moral, dans une perspective d’émancipation de toutes et tous !
Apolline
1http://droitsfemmescontreextremesdroites.org/spip.php?article10
2http://www.lemonde.fr/religions/article/2016/10/03/le-pape-accuse-les-manuels-scolaires-francais-de-propager-la-theorie-du-genre_5007002_1653130.html