Cette conférence a été donnée, le 5 avril 2024, lors d’une soirée à l’initiative du collectif 05 pour une paix juste et durable en Palestine (*). C’est Pierre Stambul qui avait été invité à intervenir. Nos camarades d’ENSEMBLE! 05 – qui sont parties prenantes de ce collectif – ont jugé utile de faire largement connaître son contenu. Nous le publions en 4 parties. Voic la partie 2/4.
Palestine-Israël : quelles perspectives de paix et quelles solutions ? 2/4
Par Pierre Stambul, le 5 avril 2024
Sionisme et religion
Autre idée que je veux vous enlever, le rapport entre sionisme et religion.
Aujourd’hui, on a les pires intégristes religieux, farouchement armés et fanatiques qui sont à la manœuvre en Cisjordanie. Mais le sionisme a été créé par des laïcs. Il a été créé par des gens qui ne croyaient pas en dieu. Herzl était agnostique.
Ben Gourion était athée et on lui prête le mot « Dieu n’existe pas, mais il a donné sa terre au peuple juif ».
Ils se sont servis d’une bible à laquelle il ne croyait pas comme d’un cadastre.
Quelle était la position des religieux ?
La religion juive historiquement est une religion non territorialisée, c’est-à-dire qu’on peut étudier la Torah et commenter le Talmud n’importe où. On n’a pas besoin d’un territoire.
Et c’est même plus ! Comme c’est une religion messianique, dans la religion qui a été majoritaire avec cette conception jusque dans les années 1960, il est interdit aux Juifs de retourner en terre sainte avant l’arrivée du messie : les Juifs sont punis, punis par dieu pour s’être mal conduits.
Ils sont en exil, ça se dit Galuth en hébreu, et tant qu’il y a l’exil, ils n’ont pas le droit d’y retourner.
L’hébreu est réservé à un usage strictement religieux. Sinon, les Juifs ont leurs propres langues, le Ladino, pour les Juifs séfarades, descendants des Juifs espagnols, le judéo-arabe pour les Juifs maghrébins ou pour les Juifs yéménites, et le yiddish, langue germanique avec des mots slaves et hébraïques pour les Juifs d’Europe de l’Est.
Dans la religion, « L’an prochain à Jérusalem » n’a jamais voulu dire « je vais à Jérusalem, je chasse les autochtones et j’y fais un état ». Dans la
religion juive, ça voulait dire « mes pensées vont vers Jérusalem » comme les pensées du musulman vont vers La Mecque.
Le peuple élu, ça ne voulait pas dire celui qui avait le plus de droits, ça voulait dire celui qui a le plus de devoirs. Donc, on comprend que… Et y compris la phrase « Dieu a donné cette terre au peuple juif ». La phrase complète, c’est « quand l’exil sera terminé, s’il se conduit bien ».
Donc, on comprend que la conception aujourd’hui ultra-majoritaire de la religion juive n’est pas la conception historique, ce qui explique qu’il y a toujours eu, historiquement, une très forte opposition des religieux au sionisme.
Cette opposition était très forte et majoritaire au moment de la création de l’idéologie, vers les années 1900, et elle s’est progressivement estompée. C’est le grand rabbin de la Palestine mandataire, qui s’appelait Abraham Cook, qui, le premier, dans les années 1930, a fait le lien entre sionisme et religion. Mais historiquement, le sionisme, ce n’est pas la religion.
Le colonialisme
Troisième idée qu’on doit avoir : le colonialisme
Il est totalement indubitable que le sionisme, idéologie colonisatrice, c’est un colonialisme un peu particulier.
Le colonialisme français, britannique en Afrique visait à exploiter terriblement l’indigène, jusqu’à la mort parfois, et à en tirer le maximum de richesses.
Le colonialisme sioniste dès le début est différent. C’est un colonialisme qui vise à expulser l’indigène, à nier son existence : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Des années après, Golda Meir disait : « les Palestiniens ? Je ne vois pas de quoi vous parlez ».
Nier son existence, nier sa dignité, l’expulser et le remplacer.
Et depuis 120 ans, la position fondamentale des sionistes, c’est un maximum de terre pour un minimum d’arabes.
C’est ce que vous devez comprendre de ce qui se passe à Gaza : la tentative de réalisation d’une nouvelle Nakba, d’un nouveau nettoyage ethnique.
À mon avis, ils ne vont pas y arriver. Mais, en tous cas, ce massacre absolument ignoble et innommable qui est en train de se passer, c’est toujours sur l’idée « un maximum de terre pour un minimum d’arabes ».
Le sionisme est un nationalisme
C’est quelque chose de très grave. À la fin du 19ᵉ siècle, dans toute l’Europe, sur les ruines des trois grands empires : l’empire Ottoman, l’empire Russe, l’empire Austro-Hongrois, naissent toute une série de nationalismes qui seront des nationalismes antisémites.
Pourquoi ils sont antisémites ? Parce qu’ils ont une conception qu’ils développent partout, la conception de l’État ethniquement pur, qui est une atrocité.
Mais pour tous ces nationalismes qui voulaient un État ethniquement pur, il y avait des endroits en Europe où la grosse majorité de la population était polonaise donc on pouvait penser à un État polonais là. Ailleurs, la grosse majorité de la population était serbe, ou était lituanienne. Sauf que les Juifs, il n’y avait aucun endroit en Europe où ils représentaient plus de 10% de la population.
C’était en gros 10% de la population de la zone de résidence de l’empire Russe, entre mer Baltique et mer Noire, et partout ailleurs, c’était moins.
Et donc cette idée d’États ethniquement purs ne pouvait évidemment résulter que d’une politique coloniale, puisqu’en Europe, il n’y avait aucun endroit où ils avaient la possibilité de faire ça.
Et leur conception d’État ethniquement pur va aller complètement à l’encontre des Juifs français ou allemands qui étaient majoritairement assimilationnistes. Pour eux, c’était : on va essayer d’avoir petit à petit l’ensemble de la citoyenneté et des droits dans les pays où on vit. C’était aussi contre l’avis des Juifs d’Europe de l’Est qui, très majoritairement, vont abandonner la religion, vont s’engager dans des partis révolutionnaires ou progressistes, simplement parce que les rabbins prônaient la soumission : les Juifs sont en exil, ils n’ont pas le droit de se révolter.
L’existence d’un aussi grand nombre de Juifs révolutionnaires à l’est – qui fera qu’Hitler parlera de judéo-bolcheviques – vient aussi de la réaction qui se passe à ce moment-là.
Il y aura même un parti révolutionnaire juif, le Bund, qui était farouchement antisioniste, qui ne voulait pas d’état juif. Il prônait une forme intéressante de vivre ensemble qui, je pense, est énormément d’actualité dans la France d’aujourd’hui : c’est l’autonomie culturelle sans territoire. C’est-à-dire l’entièreté des droits culturels, politiques et sociaux, sans territoire au milieu des autres.
D’ailleurs, les Palestiniens d’Israël aujourd’hui revendiquent pour eux l’autonomie culturelle. Dans une France de plus en plus raciste, la solution au racisme, ce n’est pas l’effacement des minorités. C’est comprendre que la différence, c’est un enrichissement et pas un appauvrissement. Ce débat-là existait déjà à l’époque.
Donc, on comprend que le sionisme va être minoritaire chez les Juifs pratiquement jusqu’à la 2ᵉ guerre mondiale. Mais s’il est minoritaire chez les Juifs, il a le soutien actif des impérialistes.
our les Britanniques qui s’emparent de la Palestine en 1920, le sionisme, c’est un moyen de coloniser. Et donc, il va y avoir tout un colonialisme qui va se développer avec le soutien du gouvernement britannique, avec le soutien du mandat britannique.
Une réparation
Une autre idée que je vais enlever, est-ce que la création de l’état d’Israël, c’est une réparation du génocide nazi.
Il est certain que sans le génocide nazi, l’état d’Israël n’aurait pas existé.
Mais vous devez comprendre que l’entièreté des institutions qui ont expulsé le peuple palestinien de son propre pays, vont être créées 10 ans, 20 ans, 30 ans, 40 ans avant Auschwitz.
La banque coloniale juive – celle qui collecte les fonds pour acheter les terres à des féodaux absents et expulser les métayers présents – est créée en 1898.
Le KKL, Keren Kayemeth LeIsrael, le Fond National Juif, celui qui plante des arbres là où il y avait des villages palestiniens, est créé en 1901.
Mais il était impossible de conquérir la Palestine avec un colonialisme individuel. C’est ce qui explique que les sociaux-démocrates – les ancêtres des travaillistes d’aujourd’hui – deviennent majoritaires dans le mouvement sioniste à partir de 1920.
Pour moi, il n’y a évidemment pas de gauche sioniste. Il n’y a pas de gauche de l’apartheid. Mais je vais un petit peu en rajouter sur ce courant, parce qu’il y a tellement d’illusions là-dessus.
Parmi les gens qui m’ont invité, il y a des syndicalistes. Or, des syndicats seront le moteur du colonialisme de cette pseudo-gauche sioniste. Certains syndicats, comme la Histadrout, qui est fondée en 1920, a pour article numéro 1 de ses statuts, la défense du travail juif.
Vous imaginez si Solidaires ou la CGT avait la défense du travail français comme article numéro 1 ? Ça ne sentirait pas très bon.
La première action de la Histadrout en 1921, c’est un appel au boycott des magasins arabes pour acheter juif. C’est-à-dire qu’en 1920, leur seul et unique modèle, c’est la société séparée, c’est le colonialisme de remplacement. Curieux socialisme, n’est-ce pas ?
C’est la Histadrout qui va créer la compagnie Mekorot des eaux, celle qui aujourd’hui pille l’eau de la Cisjordanie et la revend 10 fois plus cher aux Palestiniens qu’aux colons.
Elle va fonder la Compagnie Solel Boneh des travaux publics, celle qui a construit toutes les colonies.
Elle va fonder la compagnie Zim de navigation, celle qui permet aux bateaux israéliens de commercer, d’aller dans nos ports.
Elle va créer les deux grandes banques du pays : la Bank Leumi, la banque Hapoalim.
Elle va créer les caisses de Sécurité sociale qui, aujourd’hui, doivent des centaines de millions de Shekels aux travailleurs palestiniens qui ont été obligés de cotiser quand ils ont travaillé en Israël et qui n’ont jamais vu l’argent quand ils ont été malades ou quand ils ont été à la retraite puisqu’ils avaient été licenciés.
C’est la Histadrout qui va fonder la Haganah – l’ancêtre de la vaillante Tsahal qui est en train de perpétrer un génocide à Gaza – dès 1920, avec le parapluie britannique, et qui va créer l’Agence juive. C’est aussi ce courant social-démocrate qui va créer les kibboutz.
Moi-même, quand j’avais seize ans, j’étais sioniste, j’ai travaillé en kibboutz. Les illusions ont mis un certain temps à s’estomper, mais je suis à peu près entièrement d’accord avec ce qu’en dit Shlomo Sand. Le kibboutz n’était pas un instrument de socialisme, c’était un instrument de conquête.
Pourquoi ce n’était pas un instrument de socialisme ? Parce qu’il était interdit à l’écrasante majorité de la population, qui était palestinienne. Si un kibboutznik avait l’idée malencontreuse de tomber amoureux d’une Palestinienne, il était expulsé instantanément du kibboutz.
Ce socialisme ethnique, est-ce qu’il a pu perdurer dans une société coloniale ? Aujourd’hui, les kibboutz sont cotés en bourse, les cantines ont été privatisées et l’activité agricole est devenue minoritaire. Ils fabriquent essentiellement des gilets pare-balles et des munitions.
C’est pour vous dire que penser le socialisme dans un cadre colonialiste et raciste n’est pas possible. Le socialisme, c’est pour tout le monde, ça ne peut pas être pour une minorité. Et l’expérience des kibboutz, c’était un instrument de conquête. Les kibboutz ont été installés là où il y avait beaucoup de Palestiniens, en Galilée, sur les frontières au nord du Néguev, autour de Gaza. Et, véritablement, ils étaient tous armés, ils ont véritablement servi à la conquête.
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(*) Le collectif a été créé après le 7 octobre et manifeste tous les samedis matin dans Gap pour exiger le cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Ce collectif rassemble :
- Des associations : ATTAC, le Mouvement de la Paix, la Ligue des Droits de l’Homme, l’AFPS, l’Association France-Palestine Solidarité 05, les Gilets Jaunes
- Des syndicats : Solidaires, Sden-CGT 05, FO
- Des organisations politiques : le NPA 05, la FI 05, Ensemble! 05, EELV 05, PCF 05
La conférence s’est tenue à la Cinémathèque d’Images de Montagne (CIM de Gap) avec la présence de la Librairie la Loupiote.
Elle a été suivie d’un moment convivial d’échanges avec un repas partagé par la Cantine Solidaire et le Trio Musical.