Cette conférence a été donnée, le 5 avril 2024, lors d’une soirée à l’initiative du collectif 05 pour une paix juste et durable en Palestine (*). C’est Pierre Stambul qui avait été invité à intervenir. Nos camarades d’ENSEMBLE! 05 – qui sont parties prenantes de ce collectif – ont jugé utile de faire largement connaître son contenu. Nous le publions en 4 parties. Voici la partie 4/4
Palestine-Israël : quelles perspectives de paix et quelles solutions ? 4/4
Par Pierre Stambul, le 5 avril 2024
Gaza
Je vais finir sur deux choses : sur Gaza et sur « Comment en sortir ? ».
Gaza, j’y suis allé deux fois : en 2013, en 2016. En 2013 par l’Égypte, en 2016 par Israël, avec la complicité du consul de France de l’époque.
C’est une société incroyablement calomniée. Qu’est-ce que je peux en dire ?
75% des Gazaouis sont des réfugiés venus de tout le sud d’Israël, ou ce sont leurs descendants. 72% ont la carte de l’UNRWA (l’office des nations unies des réfugiés).
L’UNRWA assure : l’éducation, la santé, l’alimentation. Couper les vivres à l’UNRWA ça veut dire la famine pour tout le monde.
Gaza, c’est une population, comme toute la Palestine, incroyablement éduquée. Il y a 1% d’illettrisme à Gaza. En Égypte voisine, il y en a 35%.
L’école est gratuite, que ce soit l’école de l’UNRWA ou l’école gouvernementale, payée par Ramallah, du cours préparatoire au bac.
Mais il y a tout le reste : le préscolaire, le périscolaire, une véritable prise en charge des enfants, qui sont la majorité de la population à Gaza.
Il y a aussi le post-scolaire, l’université. La société s’organise d’une façon extraordinaire. Il y a un fourmillement d’associations qui assurent le préscolaire, le périscolaire, énormément d’associations de femmes.
Pour les universités, c’est payant, c’est très cher, les familles se saignent pour pousser les jeunes à l’université. Quand j’y étais en 2016, la statistique qu’on m’a donnée, c’est 100 000 étudiants dans 6 universités, 21 000 diplômés chaque année.
J’ai visité plusieurs universités et je peux vous garantir que les programmes sont du même niveau que les universités françaises. Mais il n’y a pas de boulot à l’arrivée.
Et dans Gaza, la stratégie, ce sont les gens qui sont formés, qui parlent des langues, qui n’ont pas de boulot, qui mettent toutes leurs compétences pour que leur société ne s’écroule pas.
Je vais vous donner un exemple qui m’avait vraiment frappé.
Le fameux hôpital Al Shifa vient d’être réduit en bouillie, avec plusieurs centaines de morts. Des malades ont été éventrés dans leur lit. Des malades ont été envoyés sur ce qui restait de la route côtière, qui est transformée en colline. Les pseudos tunnels qui ont été trouvés ressemblent étrangement aux armes de destruction massive en Irak il y a quelques années…
Quand je visite Al Shifa, on est reçu par la seule psychologue salariée de l’hôpital.
Elle nous dit : il y a un tel besoin psychologique pour les malades et pour les soignants, que je ne pouvais pas faire front.
Donc, j’ai pris ma page Facebook et j’ai demandé : « je veux des psychologues diplômés qui acceptent de travailler gratuitement ». Elle a eu 100 réponses, elle ne pouvait pas prendre 100 personnes.
Elle a fait passer un examen écrit et oral. Elle a pris les 26 meilleures, 23 femmes et 3 hommes, ce qui dit aussi pas mal de choses sur l’éducation à Gaza.
Et je rencontre ces gens. Je leur dis : mais vous venez, vous payez votre taxi, vous avez payé votre superbe uniforme (les femmes et les hommes ont chacun un très bel uniforme), et pourquoi vous faites ça ? Et la réponse a été : « un, on a fait cinq ans d’études. On ne peut pas laisser notre société s’écouler. Deux, un jour, le blocus s’arrêtera, on aura de l’expérience et on aura du travail ».
Le rôle des femmes
Gaza, c’est une société dans laquelle les femmes s’expriment énormément. Si vous avez vu le film Yallah Gaza, vous avez vu le nombre d’associations de femmes qui existent à Gaza.
Nous avions organisé une discussion à l’Institut français, qui était sur « faut-il éduquer de la même façon les petits garçons et les petites filles ? » je vous garantis que les femmes se sont exprimées, et super exprimées, dans ce genre de débat.
Gaza, ce ne sont absolument pas des fanatiques prêts à tuer, ni des gens terrorisés par le Hamas.
Il y a un pluralisme politique total. Nous avons rencontré la direction politique de tous les partis de Gaza : Hamas, Fatah, Jihad islamique, FPLP, Parti Communiste, Union Démocratique Palestinienne, Initiative Palestine, etc.
Les gens parlent. L’opposition au Hamas en dit le plus grand mal. Le Hamas dit le plus grand mal de l’Autorité Palestinienne et ça discute. Vous rentrez dans un taxi collectif, c’est : « Vive le Hamas », ou « À bas le Hamas, ce sont des corrompus ». En tout cas, il y a une liberté de ton et de critique.
Le Hamas a, bien sûr, cherché à imposer ses conceptions obscurantistes sur la société. Il y a des trucs où il y est arrivé, il y a des trucs où il a totalement échoué, où la société s’y est opposée et il a dû rendre les armes.
Le Hamas n’est absolument pas Daesh. Il y a eu une apparition de Daesh en 2015, le Hamas les a exterminés.
C’est une société sur laquelle on raconte les pires conneries, excusez-moi, qui ne correspond pas du tout, du tout à la réalité.
Si je devais conclure sur Gaza, je dirais : Gaza, c’est une société complètement normale dans une situation entièrement anormale. Vous devez comprendre que ce sont des gens qui ont été victimes d’un nettoyage ethnique il y a 75 ans, qui sont occupés depuis 57 ans, qui sont enfermés, bouclés par terre, par mer et par air depuis 17 ans, avec des bombardements réguliers.
Chaque fois qu’on bombardait Gaza, avant le 7 octobre, la première cible, c’était la centrale électrique. Après, c’était la station d’épuration des eaux. Et après, c’étaient les fermes à poulets.
Nous, l’UJFP, on a notre nom à Gaza. Depuis 2016, si vous allez sur notre site, on travaille avec les paysans de la bande de Gaza, une solidarité qu’on veut non coloniale. Ce sont eux qui prennent les décisions et c’est nous qui cherchons à trouver les fonds et à les envoyer pour y arriver.
Ils ont construit un magnifique château d’eau, de 17 mètres de haut. Ils ont écrit en haut du château d’eau UJFP. Quand le château d’eau a été abattu le 6 février, on a publié un communiqué : « la destruction du château d’eau de Khuza’a, un acte antisémite » et, bien sûr, on le pense très profondément.
Donc à Gaza, on s’est présentés partout « Union Juive Française pour la Paix ». La réponse, c’était toujours : « nous sommes contre l’occupation, nous n’avons rien contre les Juifs ». C’est la position historique des Palestiniens.
Comment en sortir ?
Je vais terminer. Comment en sortir ?
Il y a le fameux débat « un État, deux États », que je ne vais pas reprendre. Mais je vais quand même dire : deux États, ce n’est ni possible ni souhaitable.
Ce n’est pas possible. Si vous allez là-bas, notamment en Cisjordanie, dès que vous avez franchi ce qui était la ligne verte – la frontière internationalement reconnue – la première question est : « elle est où la Palestine ? ».
Ce que vous voyez partout : le mur, les colonies, la captation des richesses, les routes de contournement.
Le Monde diplomatique avait publié il y a quelques années une carte de l’archipel palestinien. Maintenant, c’est plus un archipel, c’est un confetti.
Sans unité territoriale, avec des check-points partout, avec 900 000 colons qui ont pillé l’essentiel des richesses. Donc ce n’est pas possible.
Et pourquoi ce n’est pas souhaitable, et là, j’insiste : parce que le sionisme, c’est une théorie de la séparation et que la séparation a mené au fascisme. Parce que l’État juif, c’est une monstruosité — j’en parle en tant que Juif. Il ne peut pas y avoir un État qui ne soit pas un État de tous ses citoyens.
Et donc quelque part, et c’est ce qu’on va développer, il n’y a pas d’alternative au vivre ensemble dans l’égalité des droits.
Je ne vais pas parler d’un État, parce que c’est de la pure utopie. Il y a eu la position de l’OLP (l’Organisation de Libération de la Palestine) jusqu’en 1988. C’était un seul état laïc et démocratique. Ils l’ont abandonné. À mon avis, ils ont eu tort, mais bon, le résultat, en tout cas, c’est que maintenant, il n’y a plus les forces pour porter ça.
Il y a eu chez les Juifs de Palestine, à l’époque du mandat britannique, un assez fort courant qui était pour le binationalisme, pour un état binational. Mais, ce courant a volé en éclats au moment de la guerre de 1948. Donc c’est une belle utopie, l’État laïc et démocratique, c’est une utopie aujourd’hui.
La position de l’Union Juive Française pour la Paix, vous pourrez dire ce que vous en pensez, nous demandons que le droit international soit appliqué aux Palestiniens. Nous ne confondons pas le droit international et l’ONU, parce que l’ONU, en 47-48, a violé le droit international contre les Palestiniens. Le droit international, c’est un certain nombre de textes, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Qu’est-ce que ça veut dire le droit international pour les Palestiniens ?
Ça veut dire la liberté : fin de l’occupation, fin de la colonisation, destruction du mur, fin du blocus de Gaza, libération des prisonniers.
Ça veut dire l’égalité des droits pour tous les habitants de la région, quelle que soit leur origine, leur identité réelle ou supposée, leur religion ou leur non-religion.
Ça veut dire la justice. Le crime fondateur de 48 ayant été l’expulsion programmée des palestiniens, c’est le droit au retour des réfugiés, et c’est aujourd’hui, vu ce qui se passe à Gaza, le jugement des criminels de guerre.
Nous pensons que c’est ça qui doit être affirmé. C’est le rôle de ce qui peut rester de la communauté internationale, si on ne veut pas retourner à la loi de la jungle, parce qu’aujourd’hui les Israéliens détruisent le droit international.
Aussi à Gaza, c’est affirmer : ce droit international doit être appliqué en Palestine.
Et, sur la base de ce droit qui sera appliqué, il y aura des négociations pour voir la forme étatique que ça prendra. C’est notre position. Et je pense qu’elle est plus juste parce qu’elle lie en même temps le fait que défendre la Palestine, ce n’est pas un supplément d’âme : défendre la Palestine, c’est nous défendre nous-mêmes.
Défendre la Palestine, c’est défendre nos droits, c’est comprendre ce qu’Israël est devenu.
Pourquoi Israël est soutenue tellement par les dominants de cette planète :
- parce que c’est un État qui a effectué une reconquête coloniale. Donc tous les nostalgiques du colonialisme, évidemment, sont avec Israël
- parce que c’est un État qui montre comment on peut enfermer une population, comment on peut réprimer une population réputée dangereuse
- parce que c’est une start-up technologique : c’est un pays qui vend les armes les plus sophistiquées en expliquant qu’elles marchent bien puisqu’on les a expérimentées sur les Palestiniens.
Ce type d’État doit être vaincu. Il doit être vaincu, pas militairement. Il doit être vaincu politiquement, c’est absolument obligatoire.
Donc, défendre la Palestine, ça veut dire nous défendre nous-mêmes, défendre le droit international, comprendre qu’Israël ne tue pas seulement des Palestiniens aujourd’hui. Il tue le droit, il tue la mémoire du judaïsme.
Quand j’étais petit, Juif, ça voulait dire ceux qui ont survécu à un terrible génocide, et aujourd’hui, ça veut dire être le soutien d’un État génocidaire.
Je vous rassure quand même sur une question que vous allez me poser : il y a moins de 30% de la population d’Israël qui est liée au génocide. Le reste, c’est de la propagande, mais ce n’est pas leur histoire familiale. Donc quand ils avancent ça, évidemment, c’est faux.
Dernière chose : est-ce que tout ce que j’ai dit, ça veut dire les Juifs à la mer ?
C’est l’inverse. Qu’est-ce qui a permis aux Sud-africains blancs de rester ? Est-ce que c’est la fin de l’apartheid ou le maintien de l’apartheid ? C’est clairement la fin de l’apartheid. Sinon, tôt ou tard, ils allaient partir.
Qu’est-ce qui permettra aux Juifs israéliens de rester et de pas terminer comme les croisés ? C’est la fin du sionisme, c’est le vivre ensemble dans l’égalité des droits, c’est l’application du droit international.
Ça ne peut pas être le maintien d’une domination. Donc l’idée d’Oslo : on va faire la paix, on maintient l’État juif, on maintient le sionisme était une idée fausse, dès le départ. Si vous maintenez ça, vous maintenez automatiquement le colonialisme et la guerre.
Donc oui, c’est dans le cadre du vivre ensemble complet, avec une égalité de tous les habitants de la région, qu’il pourra y avoir une solution. Toute solution qui voudrait s’imposer par la force ne marchera pas. Nous avons ici une responsabilité fondamentale.
On en a une double : on doit empêcher une défaite du peuple palestinien, parce que des peuples vaincus, ça existe : les Amérindiens ont été vaincus aux États-Unis, les Aborigènes ont été vaincus en Australie.
C’est important et ici, nos gouvernements complices, c’est une horreur, nos médias complices, c’est une horreur. Mais vous sentez bien, et il suffit de voir que la salle est pleine : l’opinion est en train de changer.
C’est à vous qu’il appartient qu’elle change complètement et qu’on impose autre chose.
Merci !
(*) Le collectif a été créé après le 7 octobre et manifeste tous les samedis matin dans Gap pour exiger le cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Ce collectif rassemble :
- Des associations : ATTAC, le Mouvement de la Paix, la Ligue des Droits de l’Homme, l’AFPS, l’Association France-Palestine Solidarité 05, les Gilets Jaunes
- Des syndicats : Solidaires, Sden-CGT 05, FO
- Des organisations politiques : le NPA 05, la FI 05, Ensemble! 05, EELV 05, PCF 05
La conférence s’est tenue à la Cinémathèque d’Images de Montagne (CIM de Gap) avec la présence de la Librairie la Loupiote.
Elle a été suivie d’un moment convivial d’échanges avec un repas partagé par la Cantine Solidaire.
Elle s’est terminée par la prestation du Trio Musical.