Deux camarades de la commission État espagnol d’ENSEMBLE! font état de l’évolution des rapports de force entre partis politiques au sein de la société basque. Ils l’illustrent par un article (traduit en français) de Petxo Idoiaga paru sur le site de Viento Sur. Nous publions ce document en deux parties.
Panorama politique des élections en Euzkadi 1/2
Par François Cassarieu et Richard Neuville, le 17 février 2024
La commission État espagnol d’ENSEMBLE! a décidé de suivre avec plus d’attention l’évolution de la situation politique en Euskadi et en Navarre. En effet, il y a une évolution des rapports de force au niveau institutionnel à travers le renforcement de l’influence d’EH Bildu (gauche nationaliste « abertzale »), notamment après sa victoire aux élections municipales de mai 2023 en Euskadi, mais aussi avec la forte poussée aux élections législatives générales en juillet 2023, ce qui est aussi significatif. Ce renforcement institutionnel d’EH Bildu ne réduit pas pour autant son ancrage dans les organisations de base sociales, féministes, écologiques, syndicales… Au contraire. Pour autant, cela traduit une évolution en termes de pratiques et de stratégie qui interpelle parfois.
Depuis peu, EH Bildu1EH Bildu : Euskal Herria Bildu est une coalition de la gauche abertzale créée en 2012, transformé en parti en 2017. Elle est présente dans la communauté autonome basque et en Navarre. Elle regroupe Sortu (Créé en 2011, il se situe dans la Gauche abertzale, il est l’héritier de Batasuna), Eusko Alkartasuna (Solidarité basque – scission du PNV en 1986. Social-démocrate. Présent dans les 7 provinces basques, y compris celles situées dans l’Etat français), Alternatiba (Parti politique espagnol présent dans la Communauté autonome basque et dont le rayon d’action est Euskal Herria, entité qui intègre le Pays basque espagnol, la Navarre et le Pays basque français) et Aralar (Parti politique socialiste et indépendantiste basque, présent en Navarre comme au sein de la Communauté autonome du Pays basque. Rattaché à la gauche abertzale, mais opposé à la violence d’ETA et issu d’un courant critique au sein de Herri Batasuna). se trouve même concurrencé sur sa gauche par un parti anti-institutionnel, Mugimendu Sozialista (Mouvement socialiste), sur une ligne mouvementiste et « prolétarienne ». De son côté, le Parti nationaliste basque2PNV : Parti nationaliste basque, il est favorable à la reconnaissance d’une nation basque, dans une Europe fédérale. Issu du catholicisme social et de la démocrate chrétienne, il a été créé en 1895. Il est devenu non-confessionnel, lors du congrès de Pampelune, en 1977. Il a dirigé la Communauté autonome basque entre 1980 et 2009 et de 2012 à aujourd’hui. (PNV – démocrate-chrétien, allié du PSOE au gouvernement régional) qui a dominé largement la scène politique institutionnelle basque sans interruption depuis la « transition démocratique » est en recul dans les élections récentes. Mais nous sommes loin d’un écroulement de cette organisation qui conserve un poids politique et social considérable en Euskadi. Nous aurons l’occasion de revenir dans quelque temps sur ces différents aspects. En attendant, il nous a paru intéressant de traduire l’article de Petxo Idoiaga, « PNV et EH Bildu, entre pactes mutuels et compétition électorale », paru sur le site de Viento Sur car il dresse un panorama assez complet de la situation politique en Euskadi à l’approche des élections autonomiques.
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PNV et EH Bildu, entre pactes mutuels et compétition électorale
Par Petxo Idoiaga, publié sur le site Viento Sur le 10 février 2024
La date des prochaines élections législatives dans la Communauté autonome basque (CAB) n’a pas encore été fixée, et cela relève de la prérogative du président basque, Iñigo Urkullu. La seule certitude est qu’il doit s’écouler 54 jours entre la convocation des élections (qui signifie également la dissolution du Parlement) et les élections. Quatre projets de loi doivent être approuvés : Transition écologique et changement climatique [approuvé le 8 avec les votes du PNV, du Parti socialiste et d’EH Bildu] et Coopération et solidarité, Enfance et adolescence et Réforme de la loi sur les trans, en cours d’approbation, mais tous avec un avis favorable de la Commission parlementaire correspondante.
Terminer la législature en respectant la plupart des normes légales engagées a été une détermination particulière d’Urkullu, et c’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que le PNV l’a écarté, contre sa volonté personnelle, du poste de lehendakari3Lehendakari : Chef de gouvernement de la communauté autonome basque (CAV), en le remplaçant par Imanol Pradales, une décision prise pour mettre fin à la chute des résultats électoraux.
Compétition électorale PNV vs EH Bildu
Comme il est actuellement impossible pour un seul parti d’obtenir la majorité absolue des sièges, le prochain gouvernement basque sera un gouvernement de coalition. Seul un tremblement de terre politique pourrait empêcher que la base de cette coalition soit PNV-Parti socialiste.
Mais, dans le système électoral basque, les trois territoires historiques (Araba, Bizkaia et Gipuzkoa) ont le même nombre de sièges (25) au Parlement, et le PNV s’inquiète des effets que la chute répétée de ses résultats électoraux et la montée d’EH Bildu pourraient avoir sur la répartition des sièges.
Entre les élections régionales de 2016 et 2020, le PNV est passé de 398 168 voix à 349 698 et EH Bildu de 225 172 à 249 960. Entre les élections au Congrès des députés de 2019 et 2023, le PNV est passé de 379 002 voix à 275 782, tandis qu’EH Bildu est passé de 221 073 à 274 676.
Mais, c’est lors des élections du 28 mai (aux conseils provinciaux des trois territoires historiques et dans toutes les municipalités) que le déclin électoral relatif du PNV et la progression d’EH Bildu sont devenus plus perceptibles par rapport aux résultats de 2019. En ajoutant les résultats des trois territoires historiques aux Juntas Generales (organes législatifs qui élisent, dans chaque province, son organe exécutif, la Diputación Foral), il est passé de 43,11 % à 38,41 % et EH Bildu a augmenté de 19,69 % à 24,97 %. De plus, en Araba, la différence n’était que d’un siège par procuration et, en Gipuzkoa, EH Bildu a obtenu 22 procurations, contre 17 pour le PNV (qui ne gouverne le Conseil provincial que grâce au soutien du Parti socialiste).
Par rapport aux élections municipales de 2019 où il avait obtenu 408 766 voix, le PNV est tombé en 2023 à 322 377 et a obtenu 981 sièges (en perdant 79). EH Bildu, qui en 2019 avait obtenu 280 381 voix, passe à 297 181 et obtient 1 050 sièges (gagnant 119) et devient le premier parti aux municipales. En Navarre, EH Bildu a largement devancé Geroa Bai – la coalition dans laquelle le PNV est intégré – en termes de votes et de sièges municipaux.
Ces données attestent du déclin électoral relatif du PNV et de la montée en puissance d’EH Bildu. Et même si l’on sait que les sondages sont à prendre avec beaucoup de précaution, il y en a deux très importants ces jours-ci. L’un, publié le 2 février par EITB, attribue 28 sièges au PNV (3 de moins que le nombre actuel) et 26 à EH Bildu (5 de plus que le nombre actuel). L’autre, publié le 4 par Vocento, donne une majorité de sièges à EH Bildu, avec une différence d’un siège par rapport au PNV, et considère que la somme des sièges du PNV et du Parti socialiste pourrait ne pas être équivalente à une majorité parlementaire absolue.
Les causes du déclin électoral du PNV
Le déclin du PNV n’est pas catastrophique. Il ne lui fait pas perdre le pouvoir ni au Gouvernement Basque (où le Parti Socialiste en a besoin pour garantir ses propres sièges) ni, depuis le 28 mai, dans les conseils provinciaux des trois territoires historiques et dans les conseils municipaux où il gouverne. Mais si le déclin continue à s’accentuer, le PNV risque de perdre son caractère politique dominant et même de perdre sa majorité électorale dans une grande partie de ces institutions représentatives de la CAB.
L’usure du PNV est sans doute due au fait que son contrôle du pouvoir autonome est déjà ancien et que cela finit par l’user. Elle est également due à l’émergence d’une force, EH Bildu, qui se présente comme une alternative, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Mais il y a aussi des lacunes croissantes dans sa politique sociale qui expliquent la perte électorale du PNV :
Le plus important, sans aucun doute, est le service de santé publique – Osakidetza – qui est passé d’une reconnaissance très positive de ses professionnels et de ses services à une détérioration croissante, avec des protestations régulières auxquelles la réponse du ministère régional de la Santé est de tout nier et de proclamer qu’il est reconnu dans les dépenses par habitant. Il est significatif que le candidat du PNV au poste de lehendakari, Imanol Pradales, ait déclaré que sa priorité était Osakidetza, le système de santé basque.
Le fait qu’il y ait plus de manifestations syndicales dans la Communauté Autonome Basque que dans d’autres communautés autonomes est dû à l’existence d’un syndicalisme plus organisé et plus combatif ; c’est précisément pour cette raison que l’on ressent comme un mépris antisocial le fait que le gouvernement insiste sur le fait qu’il s’agit seulement d’une stratégie d’usure contre lui et qu’il nuit à l’économie et à la stabilité productive (ce que toutes les données démentent).
L’important Mouvement des retraités du Pays basque (MPEH) s’est vu infliger des camouflets répétés par le gouvernement, le dernier en date étant le refus de couvrir en 14 versements la différence entre les pensions les plus basses et un revenu de 1 080 euros par mois, refus soutenu localement par le PNV dans de nombreuses mairies où des motions de soutien au MPEH ont été déposées.
Contre toute perspective écologique et sociale, le PNV maintient qu’il va construire (« oui ou oui » selon leurs termes) un nouveau musée Guggenheim dans les marais de la réserve de biosphère d’Urdaibai, malgré son caractère agressif pour la nature et malgré le refus majoritaire dans toute la région d’Urdaibai.
Et ce n’est pas fini, car il existe de nombreux exemples similaires. Tout cela indique également un changement dans le scénario sociopolitique basque. La transition de l’illusion à un changement réel dépendra, dans une large mesure, des pratiques de résistance des mouvements sociaux et des pratiques politiques de la gauche basque, en particulier de son point de référence actuel : EH Bildu.
Pour lire la suite de l’article sur le Panorama politique des élections en Euzkadi 2/2
Notes
- 1EH Bildu : Euskal Herria Bildu est une coalition de la gauche abertzale créée en 2012, transformé en parti en 2017. Elle est présente dans la communauté autonome basque et en Navarre. Elle regroupe Sortu (Créé en 2011, il se situe dans la Gauche abertzale, il est l’héritier de Batasuna), Eusko Alkartasuna (Solidarité basque – scission du PNV en 1986. Social-démocrate. Présent dans les 7 provinces basques, y compris celles situées dans l’Etat français), Alternatiba (Parti politique espagnol présent dans la Communauté autonome basque et dont le rayon d’action est Euskal Herria, entité qui intègre le Pays basque espagnol, la Navarre et le Pays basque français) et Aralar (Parti politique socialiste et indépendantiste basque, présent en Navarre comme au sein de la Communauté autonome du Pays basque. Rattaché à la gauche abertzale, mais opposé à la violence d’ETA et issu d’un courant critique au sein de Herri Batasuna).
- 2PNV : Parti nationaliste basque, il est favorable à la reconnaissance d’une nation basque, dans une Europe fédérale. Issu du catholicisme social et de la démocrate chrétienne, il a été créé en 1895. Il est devenu non-confessionnel, lors du congrès de Pampelune, en 1977. Il a dirigé la Communauté autonome basque entre 1980 et 2009 et de 2012 à aujourd’hui.
- 3Lehendakari : Chef de gouvernement de la communauté autonome basque (CAV)